Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Les Fontaines
Lorsque la Ville était heureuse, 8
Les fontaines, depuis l'aurore, 8
Disaient d'une voix amoureuse 8
Leur chanson tremblante et sonore. 8
5 Leurs gais jets d'eau, sous la feuillée 8
S'envolant en gerbes fleuries, 8
Dans la lumière ensoleillée 8
Éparpillaient des pierreries, 8
Et, baignés d'une clarté blonde, 8
10 Leurs bassins, riant sous les grilles, 8
Reflétaient dans leur eau profonde 8
Les visages des belles filles. 8
Même la nuit, quand sous la brume 8
Paris, toujours prêt aux extases, 8
15 Mettait à son front qui s'allume 8
Une parure de topazes, 8
Leur murmure disait encore 8
D'une voix amie et touchante : 8
Noble Ville que l'Art décore, 8
20 Vis et travaille en paix : je chante ! 8
Et j'aimais jusqu'à leur silence ! 8
Mais à présent, dans les ténèbres 8
Chacun de leurs jets d'eau s'élance 8
En jetant des plaintes funèbres. 8
25 Ainsi que des démons fantasques 8
Menant des danses illusoires, 8
Je vois tristement dans leurs vasques 8
Passer de vagues formes noires. 8
De mystérieuses Chimères 8
30 S'y viennent ébaucher en foule, 8
Et moi, plein de larmes amères, 8
Je songe à tout le sang qui coule, 8
Versé, versé comme un flot sombre 8
Par nos batailles incertaines, 8
35 Quand j'entends s'exhaler dans l'ombre 8
Le gémissement des fontaines. 8
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