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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Un Prussien mort
Couché par terre dans la plaine 8
Sous une aigre bise du nord 8
Qui le fouettait de son haleine, 8
Nous vîmes un Prussien mort. 8
5 C'était un bel enfant imberbe, 8
N'ayant pas dix-huit ans encor. 8
Une chevelure superbe 8
Le parait de ses anneaux d'or, 8
Et sur son cou, séchée et mate, 8
10 Faisant ressortir sa pâleur, 8
La large blessure écarlate 8
S'ouvrait comme une rouge fleur. 8
Il montrait son regard sans flamme, 8
Étendant ses bras onduleux, 8
15 Et l'on eût dit que sa jeune âme 8
Errait encor dans ses yeux bleus. 8
Il dormait, le jeune barbare, 8
Avec un doux regard ami ; 8
Un volume grec de Pindare 8
20 Sortait de sa poche à demi. 8
C'était un poëte peut-être, 8
Divin Orphée, un de tes fils, 8
Qui pour un caprice du maître 8
Est mort là, brisé comme un lys. 8
25 Ah ! sans doute, au bord de la Sprée, 8
Une belle enfant de seize ans 8
A la chevelure dorée 8
En versera des pleurs cuisants, 8
Et toujours parcourant la route 8
30 Qu'il suivait en venant les soirs, 8
Une mère de plus sans doute 8
Portera de longs voiles noirs. 8
Il est parti bien avant l'heure, 8
Jeune et pur, sans avoir pleuré. 8
35 Pour quel crime faut-il qu'il meure, 8
Cet enfant à l'œil inspiré ? 8
Peut-être que sa mort est juste, 8
Et ne sera qu'un accident 8
S'il se peut que son maître auguste 8
40 Devienne empereur d'Occident, 8
Et qu'en sa tragique folie, 8
Monsieur le chancelier Bismarck 8
Prenne d'une main l'Italie 8
Et de l'autre le Danemark ! 8
45 Ah ! Bismarck, si tu continues, 8
De ces beaux enfants chevelus 8
Aux douces lèvres ingénues 8
Bientôt il n'en restera plus ! 8
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