Métrique en Ligne
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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
La bonne Nourrice
Portant, selon le rit ancien, 8
Un manteau de pourpre, et coiffée 8
Du sombre casque prussien, 8
La Mort, épouvantable fée, 8
5 Son échine ployée en arc 8
Et docile au moindre caprice, 8
Câline son enfant Bismarck, 8
Ainsi qu'une bonne nourrice. 8
Et doucement, avec amour, 8
10 Elle berce le rude athlète 8
Entre ses os lisses, à jour 8
Sur sa poitrine de squelette. 8
Arrangeant le front du héros 8
Sur un oreiller de dentelle 8
15 Disposée en riants carreaux : 8
O pauvre bien-aimé, dit-elle, 8
Il est fatigué du gala 8
Qu'il a fait avec ses ilotes. 8
Il revient de la fête ; il a 8
20 Du sang jusqu'au haut de ses bottes ; 8
Pour me préparer mon butin 8
Qu'une pourpre vivante arrose, 8
Il a veillé jusqu'au matin : 8
Il est bien temps qu'il se repose ! 8
25 Ainsi parle à mi-voix, sans bruit, 8
Avec sa bouche sans gencive 8
Dont les dents brillent dans la nuit, 8
La bonne nourrice attentive. 8
Cependant le chef des uhlans, 8
30 Rêvant du carnage écarlate, 8
Voit encor les blessés hurlants, 8
Et sa prunelle se dilate. 8
Enfin calme, heureux, sans remord, 8
Il ferme sa paupière sombre. 8
35 Il sommeille déjà ; la Mort, 8
Se penchant vers le faiseur d'ombre 8
Qui de tout temps la festoya, 8
Le caresse à chaque minute, 8
Et, jouant sur un tibia, 8
40 L'endort avec un air de flûte. 8
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