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Théodore de BANVILLE
IDYLLES PRUSSIENNES
1871
Les Allemandes
Dans leurs villes belles et grandes 8
Où glissent leurs foules accrues, 8
Les jeunes femmes allemandes 8
Vont lugubrement par les rues. 8
5 Toutes en noir, sous leurs longs voiles, 8
Murmurant le nom du ministre 8
Et plus blanches que les étoiles, 8
Elles marchent d'un air sinistre. 8
Rebuvant leurs larmes aigries, 8
10 De la guerre vivants emblèmes, 8
De leurs longues mains amaigries 8
Elles traînent des enfants blêmes. 8
Hélas ! murmure une d'entre elles 8
Avec une voix de fantôme, 8
15 La Victoire a pris sous ses ailes 8
Notre héros, le roi Guillaume ; 8
Monsieur de Bismarck nous informe 8
Qu'il va tailler une Allemagne 8
Plus magnifique et plus énorme 8
20 Que celle du roi Charlemagne ; 8
Il leur faudra mille ans pour boire 8
Les éloges qu'ils thésaurisent, 8
Et leur Fritz, écrasé de gloire, 8
Se porte bien, à ce qu'ils disent. 8
25 Mais nos Fritz à nous, ô martyre ! 8
Les pères de ces petits êtres 8
Dont la main tremblante nous tire, 8
Où sont-ils ? Qu'en ont fait leurs maîtres ? 8
Loin de nous, qui devons nous taire, 8
30 L'œil morne et la poitrine ouverte, 8
A peine recouverts de terre, 8
Ils sommeillent sous l'herbe verte. 8
Leur front de neige se soulève 8
Pendant les nuits éblouissantes, 8
35 Et quoique morts, parfois en rêve 8
Ils voient leurs femmes gémissantes. 8
Ils dorment là-bas dans les havres 8
Où jamais notre vois n'arrive, 8
Et sur tous leurs pauvres cadavres 8
40 On a jeté de la chaux vive. 8
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