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Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE TROISIÈME
À VICTOR HUGO
1842
Sur ton front brun comme la nuit, 8
Maître, aucun fil d'argent ne luit, 8
Et nul décembre sacrilège, 8
Ne met sa neige. 4
5 Pourtant, dans ton labeur sacré, 8
Tu te vois déjà vénéré, 8
Ô génie immense et tranquille, 8
Comme un Eschyle. 4
À ta lèvre où passe un rayon 8
10 De la charmante illusion, 8
La gloire, innocente comme elle, 8
Tend sa mamelle. 4
Tu braves l'oubli meurtrier, 8
Car l'ombre noire du laurier, 8
15 Que rien ne ternit et n'efface, 8
Est sur ta face. 4
Près de toi, sous un clair manteau 8
Veille la chanteuse Érato, 8
Qui tourmente la sainte lyre 8
20 De son délire ; 4
Vers Oreste, son louveteau, 8
Fuyant sous le sombre couteau, 8
La tragédie aux yeux de spectre 8
Conduit Électre, 4
25 Et se mirant dans tes yeux clairs 8
Avec sa foudre et ses éclairs, 8
La mystérieuse épopée 8
Tient son épée. 4
Ces muses se penchent vers toi 8
30 En te disant : tu seras roi, 8
Et leurs yeux baignent de lumière 8
Ta face altière. 4
Cependant tu souris au jour ! 8
Le souffle embrasé de l'amour 8
35 Caresse encor de sa brûlure 8
Ta chevelure ; 4
Ta lèvre, faite pour oser, 8
N'a pas épuisé le baiser 8
Délicieux de la jeunesse, 8
40 Cette faunesse, 4
Et ta joue heureuse, où nul pli 8
N'a creusé de sillon pâli, 8
Peut encore à la Piéride 8
S'offrir sans ride. 4
45 Tel celui qu'on divinisa, 8
Lyœus, partait de Nysa, 8
Enfant encor, jeune et superbe, 8
La joue imberbe, 4
Pour dompter l'Inde au ciel de feu, 8
50 Qui respire le lotus bleu 8
Et qui prend les poses subtiles 8
De ses reptiles ; 4
Et qui près des flots radieux 8
Caresse et nourrit mille dieux, 8
55 Parmi ses fleurs où l'écarlate 8
Partout éclate ! 4
Mais toi, maître aux vœux absolus, 8
Tu poursuis une amante plus 8
Charmante qu'elle, une martyre 8
60 Qui nous attire ; 4
C'est la vierge à l'œil irrité, 8
L'inéluctable vérité 8
Qui montre sa blancheur d'étoile 8
Nue et sans voile. 4
65 Captive dans la tour d'airain, 8
Comme une perle en son écrin, 8
Mille eunuques hideux la gardent 8
Et la regardent. 4
Pour aller jusqu'à sa prison 8
70 Qu'on voit au bout de l'horizon, 8
Il faut franchir des monts, des cimes 8
Et des abîmes ; 4
Roi, pour gravir jusqu'à son cœur, 8
Il faudra terrasser, vainqueur, 8
75 Des hydres, des géants colosses, 8
De noirs molosses ; 4
Mais elle tend ses blanches mains 8
Vers toi, qui viens par ses chemins 8
Et dont l'armure d'or flamboie 8
80 Ivre de joie ; 4
Et toi, désir âpre et vivant, 8
Tu ne peux t'arrêter avant 8
D'avoir sur sa lèvre farouche 8
Posé ta bouche ! 4
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