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Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE DEUXIÈME
L'AURÉOLE
Par le ciel, cette enfant est belle ;
de ma vie je n'ai rien vu de pareil…
GŒTHE, Faust.
C'était la fin d'un bal ; nous étions presque à l'heure 12
Où sous la volupté l'archet frissonne et pleure, 12
Où sous les gants flétris les doigts serrent les doigts, 12
Où les fleurs et les pas, les rayons et les voix 12
5 Et la gaze envolée en un tourbillon frêle 12
Jettent au cœur troublé leur parfum qui se mêle ; 12
À l'heure où l'on croit voir en ces enivrements 12
Des maîtresses d'un jour caresser leurs amants, 12
Et les fresques sourire, et l'extase physique 12
10 Voler dans l'air, mêlée à des flots de musique ! 12
Tantôt c'était la joie, et le quadrille ardent 12
Qui se mêle et s'effare et s'élance en grondant, 12
Qui tantôt rit et chante en strophes inégales, 12
Puis s'arrête et bondit en éclats de cymbales, 12
15 Et penche sur les fronts plus d'un front endormi 12
Que des mots bégayés font rougir à demi ! 12
Puis la valse emportant dans son rhythme, pensive 12
Comme un myosotis incliné sur la rive, 12
Une vierge aux yeux bleus, et dont l'accent vainqueur 12
20 La met si près de nous qu'on sent battre son cœur, 12
Et que, dans cette fièvre ardente et souveraine, 12
L'enfant, sans rien comprendre au charme qui l'entraîne, 12
Parmi le chœur immense, a l'air, en se penchant, 12
D'un ange fasciné par le démon du chant ! 12
25 Comme dans la clarté les femmes étaient belles ! 12
Celles-ci laissant voir, sous leurs cheveux rebelles, 12
Des rayons éblouis qui baisaient leurs fronts blancs ; 12
D'autres, les yeux voilés, comme des lys tremblants 12
Qui par un soir d'été pleurent sous la rafale, 12
30 Baissant leur cou soyeux veiné de tons d'opale ; 12
Toutes ivres d'amour, et pour l'œil enchanté, 12
Surpassant l'hyperbole et l'idéalité ! 12
Et je noyais mes yeux dans ces cheveux en tresses, 12
Et je jetais mon âme à ces enchanteresses 12
35 Si pâles qu'on eût dit ces essaims de Willis 12
Qui sortent en dansant des corolles de lys ! 12
Mais tout changea bientôt et je n'en vis plus qu'une 12
De même, quand Phœbé sur le char de la lune 12
Apparaît dans les cieux de saphir et d'azur, 12
40 Tout se voile et s'efface, et son front seul est pur. 12
Celle que j'entrevis en oubliant les autres, 12
Madame, avait des yeux brillants comme les vôtres, 12
Des cheveux d'or, des mains qui n'avaient rien d'humain, 12
Et des pieds à tenir dans le creux de la main. 12
45 Ajoutez un cou mat de cette blancheur rare 12
Qui fait paraître jaune un marbre de Carrare, 12
Et deux bras qui prouvaient, ineffable collier, 12
Que Lysippe à Samos ne fut qu'un écolier ! 12
Je cherchai donc en moi quelle rouerie exquise 12
50 Prendrait et séduirait cette blonde marquise 12
Plus rapide en sa course avec son front riant 12
Que n'était Lazzara, Camille D'Orient ! 12
Mais quand je m'approchai, je vis sa tête ceinte 12
D'un tel rayonnement de pudeur grave et sainte, 12
55 Il était si divin, le rhythme de ses pas, 12
Que, don Juan dérouté, je n'osai même pas 12
Comme le docteur Faust, en me penchant vers elle, 12
Lui dire à demi-voix : ma belle demoiselle ! 12
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