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Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE DEUXIÈME
SONGE D'HIVER
IX
À ce festin, plus froids que le flot du Cydnus, 12
Buvaient tous les don Juans et toutes les Vénus. 12
D'abord tous les don Juans des pièces espagnoles 12
Ayant le fol orgueil de leurs amours frivoles. 12
5 Et puis tous ces don Juans sans nulle profondeur 12
Qui tuaient pour la forme un petit commandeur. 12
Puis, après ces bandits, le don Juan de Molière 12
Avec sa théorie atroce et singulière. 12
Le don Juan de Mozart et celui de Byron, 12
10 Tous deux songeant encore à leur décaméron ; 12
Et celui qui trouva chez notre Henri Blaze 12
L'amour qui sauve après la volupté qui blase. 12
Et ce don Juan, pareil au poëte persan, 12
Que Musset déguisa sous le surnom d'Hassan ; 12
15 Et, plus lourd qu'un archer du temps de Louis Onze, 12
Celui qui descendit d'un piédestal de bronze. 12
À ce festin royal, couronnés de lotus, 12
Buvaient tous les don Juans et toutes les Vénus : 12
La vénus Aphrodite ou l'Anadyomène, 12
20 Caressant les cheveux d'un triton qui la mène ; 12
Vénus Hélicopis au regard doux et prompt, 12
Vénus Basiléia, le diadème au front ; 12
Cypris, vénus Praxis, et vénus Coliade, 12
Guerrière dont la danse est toute une iliade ; 12
25 Puis vénus Barbata, puis vénus Argynnis, 12
Qui tient dans une main les flèches de son fils ; 12
Vénus Victrix sans bras, Astarté, ce prodige, 12
Et vénus Mélanide, et vénus Callipyge ; 12
Et celles dont Paphos a connu les douceurs, 12
30 Et les vénus avec des carquois de chasseurs ; 12
Et vénus Pandémie et vénus de Cythère, 12
Courant d'un pas rapide et sans toucher la terre ; 12
Celle de Titien, allongeant sur son lit 12
Son corps d'ambre, et ses bras que le temps embellit ; 12
35 Et celle dont Corrège, en sa grâce première, 12
Caressait les seins nus dans la chaude lumière. 12
Là, plus blancs que les fronts neigeux de l'Imaüs, 12
Buvaient tous les don Juans et toutes les Vénus. 12
La reine de ces jeux était la femme blonde 12
40 Qui d'abord près de moi parlait d'amour profonde. 12
Et les gens de la fête, émus à son aspect, 12
Semblaient la regarder avec un grand respect. 12
Par terre, dans un coin, dormait la femme pâle, 12
Avec une attitude insoucieuse et mâle. 12
45 Dans ses longs doigts aussi dormait un chapelet, 12
Où l'ivoire à des grains d'ébène se mêlait. 12
Pour servir au festin, de très belles servantes 12
Apportaient les plats d'or avec leurs mains savantes : 12
C'était d'abord la sœur des grands astres, Phœbé, 12
50 Dont le regard d'argent sur la terre est tombé ; 12
Puis Hélène De Sparte, insaisissable proie 12
De tes enfants, Hellas, combattant devant Troie ; 12
Et Rachel, et Judith la femme au bras nacré, 12
Ensanglantée encor de son crime sacré ; 12
55 Et celle d'Orient, la jeune Cléopâtre, 12
Dont la lèvre de flamme éblouissait le pâtre ; 12
Et la Rosalinda, qui chante sa chanson 12
De rossignol sauvage, en habit de garçon ; 12
Et toutes les beautés que les yeux de poëtes 12
60 Vêtirent de rayons pour les plus belles fêtes. 12
Tous ces convives fous avaient la joie au cœur 12
Et chantaient. Or, voici ce qu'ils chantaient en chœur : 12
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