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Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE DEUXIÈME
SONGE D'HIVER
VII
Et tout fut transformé, tout. De ma sombre alcôve 12
Le cadre s'agrandit dans une lueur fauve. 12
Et ce fut un palais, vaste, immense, confus, 12
Une ample colonnade aux innombrables fûts. 12
5 Dans ce monde peuplé d'un monde de sculptures 12
Grinçaient les oripeaux de mille architectures. 12
Sous de vastes forêts de gothiques piliers 12
Disparaissaient au loin d'étranges escaliers. 12
C'étaient de lourds portails, des trèfles, des ogives, 12
10 Des rosaces sans fin peintes de couleurs vives, 12
Et, par endroits, jetés dans ce palais sans nom, 12
Des portiques païens, frères du Parthénon. 12
C'étaient des blocs géants, des degrés, des dentelles, 12
Des chimères ouvrant leurs gigantesques ailes, 12
15 Des anges, de vieux sphinx, des moines, des héros, 12
Et des dieux verts avec des têtes de taureaux, 12
Qui, rêvant en silence et baissant la paupière, 12
Chantaient confusément la symphonie en pierre. 12
Et moi pendant ce temps je flottais, alité, 12
20 Entre la rêverie et la réalité. 12
Et je voyais toujours. Au milieu de la salle, 12
Une table brillait, splendide et colossale. 12
Chaque plat ciselé contenait un trésor 12
Détaillé par l'éclat de cent torchères d'or. 12
25 Le festin fabuleux aux recherches attiques 12
S'illuminait de neige et d'iris prismatiques, 12
Et, comme la lumière, un doux parfum éclos 12
Semblait briller de même et rayonner à flots. 12
Chaque climat lointain, de l'Irlande à l'Asie, 12
30 Avait donné son luxe ou bien sa fantaisie : 12
Qui ses surtouts d'argent, qui son oiseau vermeil, 12
Qui ses fruits veloutés au baiser du soleil. 12
Et le nectar divin, mystérieux poëme, 12
Emplissait de ses feux les verres de Bohême. 12
35 Aux uns le doux aï, roulant dans ses glaçons 12
Tout l'or de la lumière et ses vivants frissons. 12
Aux autres, tourmenté comme dans une cuve, 12
Le breuvage divin que dore le Vésuve. 12
Pour les flacons d'argent façonné, l'hypocras 12
40 Et les flots pleins d'éclairs de l'immortel Schiraz. 12
Et je voyais s'emplir et se vider les coupes 12
Qu'ornaient des monstres d'or et des grâces en groupes. 12
Mais ces trésors ardents, ces luxes enviés, 12
Tous n'étaient rien encore auprès des conviés. 12
45 Car ils étaient plus grands à voir pour des yeux d'homme 12
Qu'un sénat solennel des empereurs de Rome, 12
Ou que les saints élus dont la phalange va 12
Jusqu'au zénith du ciel, en criant : Jéhova ! 12
Autour de cette table où les splendeurs sans nombre 12
50 N'avaient plus rien laissé pour la tristesse ou l'ombre, 12
Froids, divins, et leurs fronts couronnés de lotus, 12
Buvaient tous les don Juans et toutes les Vénus. 12
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