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Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE DEUXIÈME
AMOURS D'ÉLISE
VI
Tout vous adore, ô mon Élise, 8
Et quand vous priez à l'église, 8
Votre figure idéalise 8
Jusqu'à la maison du bon Dieu. 8
5 Votre corps charmant qui se ploie 8
Est comme un cantique de joie, 8
Et, frémissant d'amour, envoie 8
Son parfum de femme au saint lieu. 8
Votre missel a sur ses pages 8
10 Bien des gracieuses images, 8
Bien des ornements d'or, ouvrages 8
D'un grand mosaïste inconnu ; 8
Et fier de vous faire une chaîne, 8
Votre chapelet noir qui traîne 8
15 Redit son madrigal d'ébène 8
Aux blancheurs de votre bras nu. 8
Comme un troupeau leste et vorace, 8
On voit s'élancer sur la trace 8
De vos chevaux de noble race 8
20 Mille amants, le cœur aux abois ; 8
Derrière vous marche la foule, 8
Mugissante comme la houle, 8
Et dont le chuchotement roule 8
À travers les détours du bois. 8
25 Vous avez de tremblantes gazes, 8
Des diamants et des topazes 8
À replonger dans leurs extases 8
Les Aladins expatriés, 8
Et des cercles de blonds Clitandres 8
30 Dont le cœur brûlant sous les cendres 8
Vous redit en fadaises tendres 8
Des souffrances dont vous riez. 8
Vous avez de blondes servantes 8
Aux larges prunelles ardentes, 8
35 Aux chevelures débordantes 8
Pour essuyer vos blanches mains ; 8
Vous portez les bonheurs en gerbe, 8
Et sous votre talon superbe 8
Mille fleurs s'éveillent dans l'herbe 8
40 Afin d'embaumer vos chemins. 8
Moi, je suis un jeune poëte 8
Dont la rêverie inquiète 8
N'a jamais connu d'autre fête 8
Que l'azur et le lys en fleur. 8
45 Je n'ai pour trésor que ma plume 8
Et ce cœur broyé, qui s'allume, 8
Comme le fer rouge à l'enclume, 8
Sous le lourd marteau du malheur. 8
Mon âme était comme cette onde 8
50 Pleine d'amertume, qui gronde 8
En son délire, et dont la sonde 8
N'a jamais pu trouver le fond ; 8
Comme ce flot qu'un sable aride 8
Absorbe de sa bouche avide, 8
55 Et qui cherche à combler le vide 8
D'un abîme vaste et profond. 8
Et pourtant vous, type suprême, 8
Vous m'avez dit tout haut : je t'aime 8
Vous m'avez couché morne et blême 8
60 Sur un beau lit de volupté ; 8
Vous avez rafraîchi ma lèvre, 8
Encor toute chaude de fièvre, 8
Dans le doux vin pour qui l'orfèvre 8
Poétise un cachot sculpté. 8
65 Dans vos colères de tigresse, 8
Vous m'avez fait des nuits d'ivresse 8
Où le plaisir, sous la caresse, 8
Pleure le râle de la mort, 8
Où toute pudeur se profane, 8
70 Où l'ange le plus diaphane 8
Se fait bacchante et courtisane 8
Et grince des dents, et vous mord ! 8
Puis vous m'avez dit à l'oreille 8
Quelque étincelante merveille 8
75 Dont la mélancolie éveille 8
Les fibres de l'être endormi ; 8
Vous aviez la pudeur craintive 8
De la mourante sensitive 8
Qui renferme son cœur, plaintive 8
80 De n'être morte qu'à demi. 8
Et le doute railleur m'assiège 8
Lorsque, pris dans un divin piège, 8
Mon cou plus pâle que la neige 8
Est par vos bras blancs enlacé. 8
85 J'ai peur que le riant mensonge 8
Du lac d'azur où je me plonge 8
Ne soit l'illusion d'un songe 8
Qui tenaille mon front glacé. 8
Or, dites-moi, rêve céleste, 8
90 Pour que votre belle âme reste 8
En proie à mon amour funeste, 8
Les crimes que vous expiez ? 8
Parlez-moi, pour que je devine 8
De quel feu bout votre poitrine, 8
95 Et quelle colère divine 8
Vous met pantelante à mes pieds ? 8
Avez-vous surpris chez les anges 8
Le secret des strophes étranges 8
Qu'ils murmurent, quand leurs phalanges 8
100 S'envolent dans les airs subtils ? 8
Au Vatican, sur une toile, 8
Avez-vous dérobé l'étoile 8
Qu'une sainte paupière voile 8
Avec un réseau de longs cils ? 8
105 Ô vous que la lumière adore, 8
De quel astre et de quelle aurore 8
Venez-vous, radieuse encore ? 8
Je ne sais ; en vain, ce trompeur, 8
L'espoir, me caresse et me blâme ; 8
110 Je ne sais quel souffle en votre âme 8
Alluma cette mer de flamme, 8
Ô jeune déesse, et j'ai peur. 8
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