Métrique en Ligne
ARV_1/ARV27
Félix ARVERS
POÉSIES
1833
PIÈCES INÉDITES
Le Retour de la Bien-Aimée
I
Que ces vallons déserts, que ces vastes prairies 12
Où j'allais promener mes tristes rêveries, 12
Que ces rivages frais, que ces bois, que ces champs, 12
Que tout prenne une voix et retrouve des chants 12
5 Et porte jusqu'au sein de Ta Toute Puissance 12
Un hymne de bonheur et de reconnaissance ! 12
Celle, qui dans un chaste et pur embrassement, 12
A reçu mon amour et mon premier serment, 12
Celle à qui j'ai juré de consacrer ma vie 12
10 Par d'injustes parens m'avait été ravie ; 12
Ils avaient repoussé mes pleurs, et les ingrats 12
Avaient osé venir l'arracher de mes bras ; 12
Et jaloux de m'ôter la dernière espérance 12
Qui pût me soutenir et calmer ma souffrance, 12
15 Un message trompeur nous avait informés 12
Que sur un bord lointain ses yeux s'étaient fermés. 12
Celui qui fut aimé, celui qui put connaître 12
Ce bonheur enivrant de confondre son être, 12
De vivre dans un autre, et de ne plus avoir 12
20 Que son cœur pour sentir, et que ses yeux pour voir, 12
Celui-là pourra seul deviner et comprendre 12
Ce qu'une voix humaine est impuissante à rendre ; 12
Celui-là saura seul tout ce que peut souffrir 12
Un homme, et supporter de tourmens sans mourir. 12
25 Mais la main qui sur moi s'était appesantie 12
Semble de mes malheurs s'être enfin repentie. 12
Leur cœur s'est attendri, soit qu'un pouvoir caché, 12
Que sais-je ? ou que la voix du remords l'ait touché. 12
Celle que je pleurais, que je croyais perdue, 12
30 Elle vit ! elle vient ! et va m'être rendue ! 12
Ne demandez donc plus, amis, pourquoi je veux 12
Qu'on mêle ces boutons de fleurs dans mes cheveux. 12
Non ! Je n'ai point souffert et mes douleurs passées 12
En cet heureux instant sont toutes effacées ; 12
35 Que sont tous mes malheurs, que sont tous mes ennuis. 12
Et ces rêves de deuil qui tourmentaient mes nuits ? 12
Et moi ! J'osais du ciel accuser la colère ! 12
je reconnais enfin sa bonté tutélaire. 12
Et je bénis ces maux d'un jour qui m'ont appris 12
40 Que mes yeux ne devaient la revoir qu'à ce prix ! 12
II
Quel bonheur est le mien ! Pourtant — ces deux années 12
Changent bien des projets et bien des destinées ; 12
— Je ne puis me celer, à parler franchement, 12
Que ce retour me gêne un peu, dans ce moment. 12
45 Certes, le souvenir de notre amour passée 12
N'est pas un seul instant sorti de ma pensée ; 12
Mais enfin je ne sais comment cela s'est fait : 12
Invité cet hiver aux bals chez le préfet. 12
J'ai vu sa fille aînée, et par étourderie 12
50 Risqué de temps en temps quelque galanterie : 12
Je convins aux parens, et fus bientôt admis 12
Dans cette intimité qu'on réserve aux amis. 12
J'y venais tous les soirs, je faisais la lecture, 12
Je présentais la main pour monter en voiture ; 12
55 Dans nos réunions en petit comité, 12
Toujours près de la fille, assis à son côté. 12
Je me rendais utile à tout, j'étais son page. 12
Et quand elle chantait, je lui tournais la page. 12
Enfin, accoutumé chaque jour à la voir. 12
60 Que sais-je ? j'ai rendu, sans m'en apercevoir, 12
Et bien innocemment, des soins, que je soupçonne 12
N'être pas dédaignés de la jeune personne : 12
Si bien que je ne sais trop comment m'arranger : 12
On jase, et les parens pourront bien exiger 12
65 Que j'ôte ce prétexte à la rumeur publique, 12
Et, quelque beau matin, vouloir que je m'explique. 12
C'est ma faute, après tout, je me suis trop pressé, 12
Et, comme un débutant, je me suis avancé. 12
Mais, d'un autre côté, comment prévoir… ? N'importe, 12
70 Mes sermens sont sacrés, et mon amour l'emporte, 12
J'irai demain trouver le père, et s'il vous plaît,- 12
Je lui raconterai la chose comme elle est. 12
— C'est bien ! — Mais que va-t-on penser, que va-t-on dire ? 12
Le monde est si méchant, et si prompt à médire ! 12
75 — Je le brave ! et s'il faut, je verserai mon sang… 12
Oui : mais toujours est-il que c'est embarrassant. 12
III
Comme tout ici-bas se flétrit et s'altère, 12
Et comme les malheurs changent un caractère ! 12
J'ai cherché vainement, et n'ai point retrouvé 12
80 Cette aimable candeur qui m'avait captivé. 12
Celle que j'avais vue autrefois si craintive. 12
Dont la voix résonnait si douce et si plaintive, 12
Hautaine, au parler bref, et parfois emporté, 12
A rejeté bien loin cette timidité. 12
85 A moi, qui n'ai vécu, n'ai souffert que pour elle. 12
Est-ce qu'elle n'a pas déjà cherché querelle ? 12
Jetant sur le passé des regards curieux, 12
Elle m'a demandé d'un air impérieux 12
Si, pendant tout ce temps que j'ai passé loin d'elle. 12
90 Mon cœur à sa mémoire était resté fidèle : 12
Et de quel droit, bon Dieu ? nous n'étions point liés. 12
Et nous aurions très bien pu nous être oubliés ! 12
J'avais juré, promis ! — Qu'est-ce que cela prouve ? 12
Tous les jours, en amour, on jure ; et lorsqu'on trouve 12
95 Quelque distraction, on laisse rarement 12
Perdre l'occasion de trahir son serment : 12
il n'est pas défendu d'avoir un cœur sensible, 12
Et ce n'est point du tout un crime irrémissible. 12
Et puis d'ailleurs, après ce que j'ai découvert. 12
100 Entre nous, soyons franc, parlons à cœur ouvert : 12
J'en avait fait mon deuil, et la pauvre exilée 12
S'est bien de son côté quelque peu consolée ; 12
Et si je persistais à demander sa main. 12
C'était par conscience, et par respect humain ; 12
105 Je m'étais étourdi. Mais elle a, la première. 12
Fait ouvrir, par bonheur, mes yeux à la lumière, 12
Et certes, j'aime mieux encore, à beaucoup près, 12
Qu'elle se soit ainsi montrée avant qu'après. 12
Car enfin, rien n'est fait, au moins, et le notaire 12
110 N'a point à nos sermens prêté son ministère. 12
— Mais quels emportemens ! quels pleurs ! car elle croit 12
Exiger une dette et réclamer un droit. 12
Or il faut en finir : quoi qu'elle dise ou fasse, 12
J'en ai pris mon parti ; j'irai lui dire en face, 12
115 — Quoi ? — que son caractère est à n'y pas tenir. 12
— Elle avait bien besoin aussi de revenir ! 12
Nous étions si bien tous, quand son humeur altière 12
Vint troubler le repos d'une famille entière ! 12
On nous la disait morte ; et je croirais aussi 12
120 Qu'il vaudrait beaucoup mieux que cela fût ainsi. 12
logo du CRISCO logo de l'université