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ARV_1/ARV21
Félix ARVERS
POÉSIES
1833
PIÈCES INÉDITES
L’Anniversaire
A MLLE L… D…
Le soleil une fois a parcouru l'année 12
Et ramené pour nous la fatale journée 12
Où sans pouvoir la plaindre, où sans la secourir, 12
Sur un lit étranger nous la vîmes mourir. 12
5 Des jours qui ne sont plus franchissant la barrière, 12
Rejetons un instant nos regards en arrière, 12
Interrogeons les cœurs, cherchons dans le passé 12
Quel pieux souvenir son trépas a laissé : 12
D'abord d'un monde vain la foule inattentive 12
10 A paru se prêter à notre voix plaintive. 12
Quelques uns, arrêtés près du tombeau récent, 12
Donnèrent à sa mort une larme en passant ; 12
Mais bientôt dans leurs cœurs l'égoïsme de glace 12
D'un regret passager vint reprendre la place, 12
15 Ils se sont éloignés, et dès le lendemain. 12
Sans détourner la tête, ils passaient leur chemin. 12
Sourd aux gémissemens de la douleur qui veille 12
Le monde avait repris sa marche de la veille, 12
Et rien n'était sorti de l'ordre accoutumé. 12
20 Rien… qu'un tombeau de plus qui s'était refermé. 12
Ainsi quand dans l'eau pure une feuille est tombée 12
Que d'un saule voisin le vent a dérobée. 12
L'onde qui voit troubler son cours silencieux 12
Un instant a cessé de réfléchir les cieux ; 12
25 Mais bientôt sur l'azur de l'humide fontaine 12
Les flots n'ont plus laissé qu'une trace lointaine. 12
Et le cristal limpide un moment agité 12
A retrouvé l'éclat et l'immobilité. 12
Mais quand tous en un jour se sont éloignés d'elle, 12
30 Moi-même à sa mémoire ai-je été plus fidèle ? 12
Sur de nouveaux projets, sur de nouveaux plaisirs 12
N'ai-je point tour à tour promené mes désirs ? 12
Un rêve n'a-t-il pas à mon âme inquiète 12
Fait soupçonner un jour que j'étais né poète ? 12
35 Parfois, vers les honneurs, mon orgueil n'a-t-il pas 12
Espéré des chemins aplanis sous mes pas, 12
Et soudain, oubliant la misère importune. 12
Dans un brillant lointain entrevu la fortune ? 12
Que dis-je ? malgré moi, malgré mes vains sermens, 12
40 Ai-je su maîtriser de vagues mouvemens ? 12
Ai-je su résister à ce charme qu’inspire 12
D’un souris enchanteur l’irrésistible empire, 12
Et l’éclat d’un regard ne m’a-t-il pas rendu 12
Un espoir de bonheur que je croyais perdu ? 12
45 Oui : mais lorsque bientôt de ce songe éphémère 12
Une affreuse clarté dissipait la chimère, 12
Quand d’un génie étroit les efforts impuissans 12
N’arrachaient à mon luth que de faibles accens, 12
Quand ma vue à l’erreur une fois arrachée 12
50 Retrouvait sur mes pas la misère attachée, 12
Quand mon amour déçu livrait à des mépris 12
De stériles soupirs qui n’étaient point compris, 12
Alors, et succombant au poids de la souffrance, 12
Mon âme détrompée et morte à l’espérance, 12
55 Ramenée aussitôt vers un doux souvenir, 12
Demandait au passé l’oubli de l’avenir : 12
Alors pour un moment son image exilée, 12
A l’heure du réveil aussitôt rappelée, 12
Revenait près de moi durant les mauvais jours, 12
60 Comme ces vieux amis qu’on retrouve toujours ! 12
Oh ! qui me donnera d’aller dans vos prairies 12
Promener chaque jour mes tristes rêveries, 12
Rivages fortunés où parmi les roseaux 12
L’Yonne tortueuse égare au loin ses eaux ! 12
65 Oui, je veux vous revoir, poétiques ombrages, 12
Bords heureux, à jamais ignorés des orages, 12
Peupliers si connus, et vous restes touchans 12
Qui m’avez inspiré jadis mes premiers chants, 12
— Avant que ces beaux lieux, si pleins de son absence, 12
70 D’un autre possesseur n’aient connu la puissance. 12
Hélas, qui me dira si ce maître nouveau 12
N’y viendra point porter l’inflexible niveau, 12
Si de ces bois touffus les ombres protectrices 12
Ne doivent pas un jour éprouver ses caprices, 12
75 Et s’il ne viendra pas proscrire en peu d’instans 12
Ces éloquens débris qu’eût épargné le temps ! 12
Car il ne saura pas qu’à ces fleurs dispersées 12
Notre amour attachait de pieuses pensées, 12
Et qu’aux moindres objets venait partout s’unir 12
80 Le charme douloureux d’un triste souvenir. 12
Comme alors, si jamais le destin plus facile 12
Prêtait à ma prière une oreille docile, 12
Si sa main à mes yeux daignait un jour montrer 12
Ces brillantes faveurs que je n’ose espérer, 12
85 J’irais, j’arrêterais les haches déjà prêtes 12
A promener la mort au sein de ces retraites, 12
Je prîrais pour ces murs, et me croirais heureux 12
De pouvoir, à prix d’or, intercéder pour eux ; 12
Riche, et maître à mon tour de ce vaste domaine, 12
90 Je saurais dérober à la faulx inhumaine 12
Ces bosquets, ces taillis, qui resteraient du moins 12
Des beaux jours envolés silencieux témoins ! 12
D’un maître sans pitié ces paisibles ombrages 12
N’auraient plus désormais à craindre les outrages ; 12
95 Et nous, qui la pleurons, dans ce triste séjour 12
Nous irions tous les ans solenniser ce jour, 12
Nous irions demander à ce lieu solitaire 12
S’il est vrai que la mort nous cache un grand mystère, 12
Et si dans le tombeau ceux qui sont endormis 12
100 N’entendent pas encor la voix de leurs amis ! 12
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