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ARV_1/ARV17
Félix ARVERS
POÉSIES
1833
MES HEURES PERDUES
La Mort de François 1er
DRAME
L'an mil cinq cent quarante-sept
Le Roi mourut à Rambouillet
De la rougeole qu'il avoit.
Vers du temps.
A mon ami E. Roger de Beauvoir
PERSONNAGES
FRANÇOIS 1er, roi de France.
FERRON, avocat au parlement de Paris.
LA BELLE FÉRONNIÈRE, sa femme.
UN PAGE, à la livrée du roi.
ACTE PREMIER
(1539)
(Chambre de la belle Féronnière)
SCÈNE I
LA FÉRONNIÈRE, seule
On frappe à la porte.
LA FÉRONNIÈRE
Qui frappe ?
UNE VOIX, en dehors.
Ami, venez ouvrir.
LA FÉRONNIÈRE
J'ai reconnu
Elle va ouvrir, Entre un Page.
Le son de cette voix. — Soyez le bien-venu, 12
Beau Page, en ce logis. — Mais avez-vous pris garde 12
Que l'on ne vous vît point ?
LE PAGE
Ce soin-là me regarde.
Déposant un coffre à ses pieds.
5 Le roi François 1premier dont vos divins attraits. 12
Madame, ont traversé le cœur de mille traits, 12
M'envoie auprès de vous, tout exprès, et vous prie. 12
Comme gage d'amour et de galanterie, 12
D'agréer de sa main ce coffre, et, s'il vous plaît. 12
10 Recevoir ce présent, tout indigne qu'il est. 12
LA FÉRONNIÈRE
Mais, lui, va-t-il venir ? Une si longue attente… 12
LE PAGE
Il est fort empêché d'une affaire importante ; 12
Sitôt qu'il sera libre, il viendra.
Il salue et sort.
LA FÉRONNIÈRE
Dieu vous gard'.
Seule.
Attendre ! et si Ferron !… Ah ! donnons un regard 12
15 A ces présens. — Eh quoi ! bonne Vierge Marie ! 12
C'est à moi tout cela ! — La riche orfèvrerie ! 12
Grand dieu, les beaux habits ! Une robe d'hiver, 12
En damas pers foncé, fourrée en menu-vair ! 12
Et puis une autre, en belle étoffe cramoisie ! 12
20 Mes commères en vont crever de jalousie. 12
Et puis des bracelets. — Un bandeau ! — Dieu ! combien 12
Cela me plaît à voir, et me doit aller bien ! 12
Essayons. — Ce miroir de Venise… à merveille ! 12
Mais n'est-il pas danger que tout ceci n'éveille 12
25 Le soupçon ? Mon mari qui m'aime… ah ! qu'ai-je fait ? 12
Se mirant.
Ah ! que ces perles sont d'un admirable effet ! 12
Mais quelqu'un vient céans ! — C'est lui ! je viens d'entendre 12
Ce pas si bien connu !
SCÈNE II
LA FÉRONNIÈRE, FRANÇOIS 1er
FRANÇOIS 1er entre par une petite porte dérobée : il s'approche vivement
LA FÉRONNIÈRE, et lui baise la main.
Je me suis fait attendre ;
Mais, foi de gentilhomme, il ne tint pas à nous 12
30 Que vous ne nous vissiez plus tôt à vos genoux. 12
C'est encor ce Luther, dont Satan nous délivre ! 12
Qui vient, à Wittemberg, de lancer un gros livre ; 12
Il y tallait pourvoir, et mettre empêchement 12
Aux progrès du scandale et du débordement. 12
35 Pour que les imprimeurs n'eussent la fantaisie 12
De semer en tous lieux ce levain d'hérésie, 12
Nous venons à l'instant de faire un bon édit, 12
Scellé de notre scel, contre cet art maudit. 12
— Oui, depuis trop long-temps mon œil se scandalise 12
40 Des tribulations de notre sainte Église ; 12
Contre tous ces docteurs et leur fougue à prêcher, 12
Moi j'ai deux argumens : la hart et le bûcher. 12
Sans laisser au torrent le temps de se répandre, 12
Je prétends… A propos, tu n'as jamais vu pendre ? 12
C'est une chose à voir.
LA FÉRONNIÈRE
45 Non, et je vous promets
Que je souhaite fort de ne le voir jamais. 12
Mais, mon seigneur et Roi, que votre courtoisie 12
Oublie en ce moment quelque peu l'hérésie, 12
Songe à son humble esclave, et lui daigne adresser 12
50 Un de ces mots d'amour, si doux à prononcer. 12
FRANÇOIS 1er.
C'est, foi de gentilhomme, une idée assez bonne ! 12
Adieu, Rome et Luther, Genève et la Sorbonne ; 12
Mettant un genou en terre.
Je te demande grâce, et veux rester ainsi 12
Jusqu'à ce que ta voix m'ait octroyé merci. 12
LA FÉRONNIÈRE, le relevant.
55 Vous, Sire, à mes genoux, à moi votre servante, 12
Las ! et de si bas lieu !
FRANÇOIS 1er.
Qu'importe ? je me vante
Qu'il n'est pas dans ma cour, qu'il n'est chez mes voisins 12
De Londre ou de Madrid, mes honorés cousins, 12
Fille de grand seigneur, femme portant couronne 12
60 Et traînant le manteau de duchesse ou baronne. 12
Qui se puisse prétendre égale en doux attraits 12
A celle dont les yeux m'ont percé de leurs traits. 12
Ce gentil regarder, ce parler, ce sourire. 12
Ce charme qui se sent et ne se peut décrire. 12
65 Tout cela me ravit, me transporte ! — Il faudrait 12
Léonard de Vinci pour faire ton portrait. 12
— Il le fera ! l'amour a si grande puissance, 12
Qu'il ne prend en souci le rang ni la naissance ; 12
Et l'on voit chez les Grecs monseigneur Cupido 12
70 Toujours représenté les yeux ceints d'un bandeau. 12
Jamais Clément Marot, en grâce poétique, 12
Rival d'Horatius, bien qu'il soit hérétique, 12
Jamais pour plus d'appas, Mellin de Saint-Gelais, 12
N'ont composé dizains, rondeaux ou virelais. 12
75 Eh ! j'y pense à mon tour ! Il me prend fantaisie 12
De chanter tes attraits en belle poésie ; 12
Car tout chacun s'en mêle, et n'est pas, Dieu merci, 12
Jusqu'à ton serviteur qui ne s'en pique aussi. 12
Je veux te célébrer sous le nom de Glycère, 12
Mot grec qui signifie…
LA FÉRONNIÈRE
80 Il n'est pas nécessaire
Que Votre Majesté, pour aussi peu vraiment, 12
S'aille mettre en dépense, et prenne du tourment. 12
On sait qu'elle manie et la plume et l'épée. 12
Comme le duc César qui prit le roi Pompée. 12
FRANÇOIS 1er, souriant.
Historique, historique ! Ah ! peste !
LA FÉRONNIÈRE
85 Mais on dit.
Car à vous parler franc ce regard m'enhardit. 12
Que ce roi, qui jamais n'a trouvé de rebelles, 12
Est volage en amour et grand trompeur de belles ; 12
On va jusqu'à nommer…
FRANÇOIS 1er, l'interrompant.
Je me suis autrefois
90 Senti quelque penchant pour Françoise de Poix. 12
C'est vrai ; mais c'est fini, cela depuis Pavie, 12
Où nous perdîmes tout, fors l'honneur et la vie. 12
Comme tu sais de reste.
LA FÉRONNIÈRE, souriant.
Est-ce là tout ?
FRANÇOIS 1er.
l'œil bleu.
Le souris gracieux, d'Anne de Pisseleu, 12
95 Des égards innocens, de froides complaisances, 12
Ont servi de prétexte à bien des médisances ; 12
Laisse à de vains discours les oisifs occupés ; 12
Il n'en est rien du tout, crois-moi.
LA FÉRONNIÈRE
Vous me trompez.
Mais croyez-vous, hélas ! que je sois la maîtresse 12
100 De rompre ce lien qui m'enserre et me presse, 12
Et si de cet amour j'avais pu triompher, 12
Que j'aurais attendu cela pour l'étouffer ? 12
Oh ! c'est plus fort que moi ! vingt fois, pauvre insensée ! 12
De revenir à bien j'ai conçu la pensée ; 12
105 j'ai lutté jour et nuit, j'ai prié tous les saints 12
De maintenir mon âme en ses pieux desseins ; 12
j'ai dit à notre abbé : Je donnerai, messire, 12
Deux nappes pour l'autel et dix cierges de cire. 12
Un voile pour la Vierge, et je ferai cadeau 12
110 Dune robe de drap mi-partie au bedeau ; 12
j'ai jeûné, j'ai veillé, j'ai vu dans ma misère 12
S'user entre mes doigts les grains de mon rosaire ; 12
Hélas ! rien n'y faisait. — J'ai, près des nécromans, 12
Contre ce mal sans fin cherché des talismans : 12
115 Bohèmes, zingaris, et docteurs hermétiques, 12
J'implorai près d'eux tous des mots cabalistiques ; 12
L'amour fut le plus fort, et j'ai pu découvrir 12
Qu'il n'est charmes ni sorts qui sachent en guérir ! 12
Ce que voyant enfin, triste et désespérée, 12
120 Je me suis au torrent tout entière livrée : 12
Je t'aime ! va, crois-moi, je t'aime ; je te dis 12
Que j'ai perdu pour toi ma part du paradis, 12
Et me suis résignée à la gêne éternelle 12
Que réserve l'enfer à l'âme criminelle ! 12
FRANÇOIS 1er.
125 Va ! je te donnerai tant d'or et de joyaux. 12
Mignonne, et de rubis et d'ornemens royaux, 12
Que tu pourras du ciel désarmer les vengeances, 12
Et tacheter comptant pour mille ans d'indulgences ! 12
LA FÉRONNIÈRE
Ah ! puisse un tel péché se racheter ainsi ! 12
130 Mais qui fera que moi je me pardonne aussi ?… 12
FRANÇOIS 1er, à part.
Des remords ! Dans le cours de mes erreurs passées 12
Je n'avais jamais vu que femmes empressées 12
A tomber à mes pieds, et sentant tout le prix 12
De l'honneur qu'on voulait bien faire à leurs maris ; 12
135 C'était d'un glacial, d'une monotonie ! 12
Mais voici, grâce à Dieu, l'intrigue rajeunie, 12
Et je quitte à la fin les sentiers rebattus 12
Des vulgaires amours et des demi-vertus ! 12
LA FÉRONNIÈRE, continuant.
Je vais toujours pleurant et m'accusant moi-même 12
140 De trahir mes devoirs et cet époux qui m'aime !… 12
FRANÇOIS 1er.
Maître Perron ; je sais : la gloire du barreau, 12
Plaidant comme jamais Tullius Cicero. 12
Docteur en droit canon, maître es arts, homme unique, 12
Qui totum scibile scivit, dit la chronique ! 12
145 Depuis que notre édit de Villers-Cotterets 12
Du latin scolastique a purgé les arrêts, 12
Et par-devant nos cours civile et criminelle 12
Rétabli dans son droit la langue maternelle, ' 12
Maints éloquens discours et plaidoyers français 12
150 Ont encore assuré le gain de ses procès ! 12
LA FÉRONNIÈRE, pleurant.
Il m'aime ! et dans mon cœur un autre a pris sa place ; 12
Il m'aime ! et je le fuis, et son amour me lasse ! 12
C'est mon plus grand supplice : il m'aime ! et c'est pitié 12
De payer tant d'amour de si peu d'amitié ! 12
FRANÇOIS 1er, la pressant dans ses bras.
155 Elle est plus belle encor, je crois, lorsqu'elle pleure ! 12
LA FÉRONNIÈRE
Mais il va revenir au logis ; voici l'heure : 12
Si vous ne voulez pas ma mort, si vous pensez 12
Que ces tourmens sans fin m'ont dû punir assez, 12
Allez-vous-en.
FRANÇOIS 1er
Déjà !
LA FÉRONNIÈRE
Vous ne pouvez connaître
160 Ce qu'au fond de cette âme un soupçon ferait naître ; 12
Monseigneur, croyez-moi, partez ; car s'il entrait, 12
Et vous trouvait céans, ô Sire !…
FRANÇOIS 1er, avec fierté.
Il n'oserait !
Mais te quitter si tôt, te quitter ! il me semble 12
Qu'à peine avons-nous eu le loisir d'être ensemble ; 12
165 Je n'ai rien dit encor de ce que je voulais, 12
Et tu veux m'exiler déjà dans mon palais ! 12
— Je pars ; mais en retour, il faut qu'aujourd'hui même 12
Je te revoie…
LA FÉRONNIÈRE
O ciel !
FRANÇOIS 1er.
Une femme qui m'aime
Sera-t-elle inflexible au plus cher de mes vœux ? 12
Tendrement.
170 J'ai besoin de te voir, il le faut. — Je le veux ! 12
LA FÉRONNIÈRE, avec abattement.
Allons ! — Depuis le jour où je me suis damnée 12
J'ai remis en vos mains toute ma destinée, 12
Advienne que pourra ! j'en ai pris mon parti. 12
— Mais attendez au moins que Ferron soit sorti. 12
FRANÇOIS 1er.
175 Mais comment le Savoir ? Que faut-il que je fasse ? 12
LA FÉRONNIERE, après avoir réfléchi un instant .
Le menant à la fenêtre.
Il n'est que ce moyen. — Oui. — Le logis en face 12
Est à l'un de vos gens. — Allez y. — J'agirai 12
Si bien avec Ferron que je l'éloignerai : 12
Dès qu'il n'y sera plus, j'ouvrirai la fenêtre 12
180 Que voilà, c'est le signe où vous pourrez connaître 12
Que je suis seule. — Allez. — Mais pas avant, pour Dieu ! 12
FRANÇOIS 1er, lui baisant la main.
Je te le jure, foi de gentilhomme ! — Adieu ! 12
Il sort par la porte dérobée.
LA FÉRONNIERE, seule.
Remettons-nous un peu. — J'étais pâle et glacée, 12
Je tremblais qu'il ne vînt. — L'heure est déjà passée. 12
185 Qu'il n'aperçoive pas mon visage altéré, 12
Et ne se doute pas, surtout, que j'ai pleuré ! 12
Mais comment l'éloigner d'ici sans qu'il soupçonne ?… 12
On vient. — C'est lui ! — Mon Dieu, malgré moi je frisonne ! 12
SCÈNE III
LA FÉRONNIÈRE, FERRON
FERRON, entrant avec des sacs de procès.
Femme, viens m'embrasser ; viens. — Triomphe complet. 12
190 J'arrive tout courant du Petit-Châtelet : 12
Ma foi, c'est un beau jour, et jamais Démosthènes, 12
Plaidant pour la couronne en présence d'Athènes, 12
Jamais Hortensius, avec plus de succès, 12
N'a, devant le préteur, enlevé son procès ! 12
195 Il s'agissait d'un mur ; et je m'en vais te faire, 12
Pour te montrer un peu, le récit de l'affaire. 12
J'ai posé dès l'abord que la propriété 12
Était un droit sacré pour tous, et j'ai cité 12
Nombre d'autorités, toutes incontestables, 12
200 Le Décalogue hébreu, la loi des Douze Tables, 12
Charlemagne, Éginhard, et, sur le droit canon, 12
Les docteurs les plus forts et les plus en renom ; 12
Voilà pour la majeure. — Or je poursuis et prouve 12
Qu'en l'espèce actuelle, et l'état où se trouve 12
205 La cause, on ne saurait, sans violer ce droit. 12
Au mur de ma partie imposer un surcroît ; 12
Je cite Châtelain, Traité des Bénéfices ; 12
Ovide, en l'Art d'Aimer ; Cicéron, des Offices ; 12
Huit ou dix vers d'Homère, un fragment de Caton, 12
210 Et quelques traits passim du Banquet de Platon ; 12
Si bien qu'ayant ainsi, pendant au moins une heure, 12
Compendieusement débattu ma mineure, 12
Tu comprends ; — au moyen d'une transition, 12
J'arrive adroitement à ma conclusion ! 12
215 Et quoique l'adversaire ait dans sa plaidoirie 12
Rappelé doctement tous les rois d'Assyrie, 12
Alexandre et Bacchus dans l'Inde, le Sanscrit, 12
La fille de Jephté, la mort de Jésus-Christ, 12
Numa Pompilius, Tarquin, la république. 12
220 Saint Grégoire de Tours, Marculfe ; — je réplique, 12
J'emporte mon affaire à l'unanimité. 12
Et gagne pour mon mur la mitoyenneté ! 12
LA FÉRONNIÈRE, préoccupée.
Ce devait être beau, sans doute, et je regrette… 12
FERRON
Mais qu'as-tu donc, bon Dieu ! tu sembles bien distraite ? 12
LA FÉRONNIÈRE, se contraignant.
Moi ? rien.
FERRON, affectueusement.
225 Tant mieux ! — Or ça, lorsque j'étais au plaid,
Que faisiez-vous ici, madame, s'il vous plaît ? 12
Songiez-vous bien à nous ? étiez-vous bien peinée 12
De nous sentir absent toute la matinée ! 12
— Car, vois-tu, moi, je t'aime, et ne crois pas pouvoir 12
230 Passer impunément quatre heures sans te voir. 12
Je t'aime ! en ton amour j'ai mis toute ma vie ; 12
Avec toi, pas de rang, pas d'honneurs que j'envie. 12
Et je ne veux du ciel que de t'avoir toujours 12
Comme un rayon d'en-haut pour embellir mes jours ! 12
235 Le dirai-je ? parfois ce soin de ma fortune, 12
Cette profession me pèse et m'importune, 12
Montrant ses sacs de procès.
Et je maudis vingt fois par jour tout ce fatras 12
Qui vient chaque matin m'arracher de tes bras ; 12
Et dès demain encor…
LA FÉRONNIÈRE
Demain !
FERRON
Que veux-tu faire ?
S'animant.
240 Il s'y faut résigner. C'est une belle affaire 12
Pourtant ! Je dois plaider pour Guillaume Colmet 12
De la Croix-du-Trahoir. — Sa femme, qu'il aimait, 12
Aux bras d'un grand seigneur s'était prostituée… 12
LA FÉRONNIÈRE
O ciel !
FERRON
Il la surprise un jour, et l'a tuée.
245 Comme tu comprends bien, la chose a fait parler ; 12
Monsieur le grand-prévôt est venu s'en mêler, 12
Et ce n'est plus qu'en moi que le pauvre homme espère 12
Mais qu'il n'en craigne rien : par l'âme de mon père. 12
Je veux être damné si je ne parviens pas 12
250 A le tirer bientôt sain et sauf de ce pas ! 12
LA FÉRONNIÈRE
Malheureuse !
FERRON
Elle n'a que ce qu'elle mérite.
D'ailleurs le droit romain, cette raison écrite, 12
Porte que si l'époux trouve en flagrant délit 12
Sa femme aux bras d'un autre, et la tue en son lit. 12
255 Le meurtre est excusable en ce cas, et décide 12
Qu'on ne peut invoquer la loi sur l'homicide. 12
Et c'est justice, au fait ; tous les plus grands auteurs 12
In utroque jure, tous les commentateurs, 12
Ont écrit dans ce sens. — Mais quant à cette infâme 12
260 Qui put trahir ainsi tous ses devoirs de femme, 12
J'ai peine, je l'avoue, à m'expliquer comment 12
Tu te peux affliger d'un juste châtiment. 12
Tu ne sais ce que c'est qu'une femme adultère… 12
LA FÉRONNIÈRE, à part.
Oh ! je n'y puis tenir !
FERRON, continuant.
Son cœur est un mystère
265 Dont ton œil n'a jamais pénétré les replis. 12
Tu sais tous tes devoirs d'épouse et les remplis : 12
Tu ne soupçonnes pas par combien de souffrances, 12
D'angoisses, de remords et d'effroyables transes, 12
La femme criminelle expie à tout moment 12
270 L'affront fait à l'époux, et l'oubli du serment ! 12
C'est un mal incurable, une lente agonie… 12
LA FÉRONNIÈRE, à part.
Grâce !
FERRON, continuant.
Le jour, la crainte ; et la nuit, l'insomnie.
Trembler près d'un époux, et ne pouvoir jamais 12
Apercevant la robe jetée sur un escabeau.
Le serrer dans ses bras sans frissonner… Eh mais ! 12
Que vois-je donc là-bas ?
LA FÉRONNIÈRE, troublée.
275 Cela ?… C'est ma marraine…
Comme dame d'honneur attachée à la reine… 12
Dont c'est demain la fête… et qui m'a fait cadeau 12
De la robe fourrée, ainsi que du bandeau… 12
PERRON, examinant la robe.
Elle est bien généreuse, au moins : quelle richesse ! 12
280 Quel luxe ! C'est vraiment un fourreau de duchesse ! 12
Mais c'est bien beau pour nous, pauvres bourgeois : aussi, 12
Crois-moi, ne le prends pas, et garde celui-ci. 12
Et puis je crains, s'il faut dire ce que je pense. 12
D'amener au logis ce goût de la dépense. 12
285 Cet amour de briller déjà si répandu. 12
Et qui depuis un temps n'en a que trop perdu : 12
Sans compter les malins propos du voisinage ; 12
Il ne faut que cela pour troubler un ménage. 12
J'ai le tort d'être riche, et chez tous ces gens-là, 12
290 Pour se faire haïr, rien n'est tel que cela. 12
Tu ne te doutes pas combien la jalousie 12
A fait tourner la tête à cette bourgeoisie : 12
Tout leur est bon, pourvu qu'ils se puissent venger ; 12
La Féronnière fait un geste d'effroi.
Et jusqu'à ton honneur… Vas-tu pas t'affliger ? 12
295 Que veux-tu ? c'est besoin pour eux que de médire ; 12
Faut-il se faire mal ? — Mais va, laisse-les dire ; 12
Moi, je suis sûr de toi. — Mais qu'as-tu donc ? vraiment. 12
Tu pâlis !
LA FÉRONNIÈRE, avec effort.
La chaleur… un étourdissement…
Maintenant c'est passé… parle
FERRON, avec inquiétude.
Il faudrait attendre…
LA FÉRONNIÈRE, de même.
300 Je suis tout-à-fait bien… Parle… je puis t'entendre. 12
FERRON
Tu souffres ; je le vois. — Il te faut du repos ! 12
Se tourmenter ainsi pour de méchans propos 12
Trop sots pour être crus : entre autres, il circule 12
L'histoire la plus plate et la plus ridicule… 12
305 Peu m'importe, après tout. — Ils ont même, je croi, 12
Dans leurs méchancetés mêlé le nom du Roi. 12
LA FÉRONNIÈRE, se laissant tomber sur une escabelle.
Le Roi ! — Je suis perdue !…
FERRON, éperdu.
Elle tombe épuisée ;
Elle étouffe ! — De l'air ! de l'air ! Cette croisée… 12
LA FÉRONNIÈRE, ranimée à ce mot, se levant à demi,
et tombant aux genoux de son mari, s'efforce de l'arrêter.
Que faites-vous ?
FERRON, se dégageant.
Pourquoi te traîner sur mes pas ?
Reste ; je vais l'ouvrir moi-même.
LA FÉRONNIÈRE, faisant un dernier effort.
310 N'ouvrez pas !
Elle n'a pu retenir Perron, qui se dirige vers la fenêtre, et l'ouvre. A ce moment, elle tombe sur le plancher sans connaissance.
FERRON, accourant à elle.
Il frappe sur un timbre.
Elle se meurt ! et pas un seul valet ; — personne ! 12
Les traîtres ont juré de s'enfuir quand je sonne ! 12
je vais chercher moi-même… Eh quoi, laisser ainsi !… 12
Mais ce n'est qu'un moment, et je reviens ici. 12
Il sort par une porte latérale.
SCÈNE IV
LA FÉRONNIÈRE, évanouie ;
FRANÇOIS 1er arrivant par la porte dérobée ;
puis PERRON.
FRANÇOIS 1er.
315 J'étais las d'être ainsi l'œil à la découverte ; 12
Quand j'ai vu le signal ; cette croisée ouverte… 12
Il aperçoit La Féronnière étendue à terre, fait un mouvement
d'effroi et se jette à genoux pour lui saisir la main. La Féronnière,
que le son de cette voix a ranimée, se relève à demi, ouvre les yeux,
et le reconnaît. Elle le repousse avec un geste d'horreur.
LA FÉRONNIÈRE
Elle aperçoit Ferron, qui rentre.
Fuyez ! — Il n'est plus temps !
Elle retombe sur l'escabelle.
FERRON
Saint Yves, mon patron !
Il approche et le reconnaît.
Un homme à ses genoux. — Le Roi !
FRANÇOIS 1er, le reconnaissant à son tour.
Maître Ferron !
FERRON
N'est-ce point quelque songe, ou piège diabolique ? 12
Se tâtant pourvoir s'il est bien éveillé.
320 Je ne dors pas ? — Instruit par la rumeur publique, 12
Je dédaignais ces bruits. — Je n'ai plus le bonheur 12
De douter de son crime et de mon déshonneur ! 12
Pendant les quatre vers qui précèdent, deux chambrières accourues au bruit du timbre sont entrées, et ont emporté la Féronnière dans son appartement
FERRON, continuant.
Ah ! si je ne prenais conseil que de ma rage ! 12
Il saute sur une épée suspendue à la muraille.
Qu'il en soit donc ainsi ! — Vous avez du courage ; 12
325 Or sus, défendez-vous ! — Tout roi que vous soyez… 12
François 1er reste impassible.
Çà, te défendras-tu, dis ?
FRANÇOIS 1er avec dignité
Vous me tutoyez !
C'est sans doute, mon maître, une plaisanterie ! 12
Vous battre ! un avocat ! rengainez je vous prie, 12
Vous qui de votre vie onques n'avez songé 12
330 A manier le fer ! Cedant arma togœ ! 12
FERRON
Ce n'était pas assez d'affronts ! mort et furie ! 12
Sans qu'il y vînt encor joindre la raillerie ! 12
Ah ! je le sens, n'était le nom que vous portez… 12
Il brise son épée et en jette les morceaux.
Mais je respecte encor l'oint du Seigneur. — Sortez ! 12
335 Sortez ! car je ne puis répondre que ma rage 12
Ne se portât bientôt sur vous à quelqu'outrage ! 12
Qui sait, dans un moment, si de votre trépas ?… 12
Encore un coup, sortez !
FRANÇOIS 1er, avec hauteur.
Et s'il ne me plaît pas !
FERRON, avec abattement et croisant les bras.
Pauvre Ferron ! crois-tu que la main de justice 12
340 Sur si haut criminel jamais s'appesantisse ? 12
Iras-tu supplier messieurs du Parlement, 12
Leur présenter requête, et tout piteusement 12
Leur déduire ton cas et leur crier à l'aide ? 12
Avec fureur.
Ce n'est que pour l'affront d'un autre que je plaide ; 12
Quand l'injure est à moi, je me venge !
FRANÇOIS 1er, s'échauffant par degrés.
345 Vraiment !
Je n'ai jamais ouï parler plus doctement ! 12
Mais avez-vous tout dit ? J'estime en conscience. 12
Que vous feriez abus de notre patience, 12
Mon maître, et finiriez par oublier, je croi, 12
350 Que l'un est le sujet, et que l'autre est le roi ! 12
C'est, foi de gentilhomme, aussi trop d'insolence, 12
Et je ne sais pas trop…
FERRON
Qu'est-ce à dire ?
FRANÇOIS 1er.
Silence !
Est-ce ainsi qu'on me parle, et suis-je donc en vain 12
Souverain légitime et roi de droit divin ? 12
355 Or, tout ce que j'ai fait, il m'a plu de le faire : 12
Nous vous avons trompé ! voyez la belle affaire ! 12
Ne savez-vous donc pas que vous n'êtes ici 12
Que race corvéable et taillable à merci ; 12
Que vous êtes à moi corps et biens ? Sur ma vie, 12
360 De l'oublier encor s'il vous prenait envie, 12
Cette royale main, rapide à vous punir, 12
Vous en rappellerait bientôt le souvenir ! 12
FERRON
C'est un cruel abus de ce que la naissance 12
A mis en votre main de droits et de puissance ! 12
365 Que vous avais-je fait, et quelle trahison 12
A cette préférence a marqué ma maison ? 12
Ai-je forfait aux lois, suis-je un sujet rebelle. 12
Ou tardif à payer la taille et la gabelle ? 12
Ou bien suis-je entaché d'hérésie, et dit-on 12
370 Que ma voix ait prêché Luther et Mélanchthon ? 12
J'étais calme et joyeux ; le travail et l'étude 12
Suffisaient au bonheur de cette solitude. 12
J'étais heureux ; j'avais une femme, et jamais 12
Vous ne pourrez savoir à quel point je l'aimais ! 12
375 Elle m'aimait aussi, j'en suis sûr, et ma vie 12
Aux puissans de la terre aurait pu faire envie : 12
Quel infernal génie a donc guidé vos pas 12
Chez un pauvre bourgeois qui ne vous cherchait pas ? 12
Si c'est besoin d'amour chez vous, si c'est faiblesse, 12
380 Mon Dieu, n'aviez-vous pas toute cette noblesse 12
Qui ne vit et se meut qu'afin de mieux saisir 12
Le caprice du maître et de son bon plaisir ? 12
Elle, c'est son affaire ; elle est habituée, 12
Grâce à vous, à se voir ainsi prostituée : 12
385 La honte est un métier pour elle, et les maris 12
Viennent là, sachant tout, en recevoir le prix. 12
Alors on les fait ducs, et leurs femmes duchesses ; 12
Pour eux sont les faveurs, pour eux sont les richesses : 12
On leur donne en retour l'ordre de la Toison, 12
390 Ou le droit de porter des lis dans leur blason. 12
Mais à nous qui tenons ces hommes pour infâmes. 12
Qui n'avons au logis que l'honneur de nos femmes. 12
Simples et pauvres gens, pourquoi nous le voler, 12
A nous qui n'avons rien pour nous en consoler ? 12
FRANÇOIS 1er.
395 J'aurais un grand plaisir, mon maître, à vous entendre ; 12
Mais on m'attend : un roi ne doit pas faire attendre ; 12
Voici l'heure où je dois donner en mon palais 12
Les lettres de créance à maître Rabelais, 12
Avec mons Dubellay, partant pour l'Italie. 12
400 Veuillez donc excuser ma retraite impolie. 12
Adieu ; réfléchissez à tout ce que j'ai dit : 12
Surtout, soyez plus sage.
FERRON
Et vous, soyez maudit.
Le roi sort.
SCÈNE V
FERRON, seul.
Il s'éloigne ; il me brave et rit de ma colère ! 12
Dire qu'un tel affront restera sans salaire ! 12
405 Dire qu'impunément un lâche suborneur 12
Du foyer domestique aura souillé l'honneur ! 12
Il est roi ! mot fatal ! étrange caractère 12
Où tombe le pouvoir des juges de la terre, 12
Où la haine se brise, et voudrait vainement 12
410 Dans les lois d'ici-bas chercher un châtiment ! 12
Ainsi donc on ira répétant par la ville 12
Que Perron l'avocat fut d'une âme assez vile 12
Pour souffrir, sans oser en demander raison, 12
Qu'un homme ait apporté la honte en sa maison ! 12
415 J'entendrai les plaideurs, jusque dans l'auditoire, 12
En attendant Messieurs, raconter mon histoire ; 12
Les passans chuchoter, et, sous leur chaperon, 12
Les clercs en ricanant se dire : C'est Perron ! 12
Ainsi, mon nom taché, ma mémoire flétrie, 12
420 Vont chez tous ces gens-là servir de raillerie ! 12
Non, non ! car je prétends lui faire un tel trépas 12
Qu'on frémira d'horreur, — et qu'on ne rira pas. 12
Mais que faire, mon Dieu ? — Le poignard ! — impossible. 12
Le poison ! — quel projet ! — toujours inaccessible ! 12
425 Un flot de courtisans, d'archers et de valets 12
S'agite incessamment aux abords du palais ! 12
J'ai beau chercher, j'ai beau, dans mon intelligence, 12
Retourner en tous sens ce besoin de vengeance, 12
Hélas l toujours, partout, je trouve avec effroi 12
430 Entre ma haine et lui ces trois mots : Il est roi ! 12
Mais celle que j'aimais et qui fut sa complice. 12
Qui la pourra défendre et sauver du supplice ? 12
— Pourtant, si je pouvais d'un même châtiment 12
Les atteindre à la fois tous les deux ! Mais comment ? 12
435 Par quel bras assez fort ma haine secondée ?… 12
Encore un vain projet ! — Attendons ! — Quelle idée ! 12
Mort et damnation ! — Oh ! c'est un grand dessein ! 12
Béni soit Satanas qui l'a mis dans mon sein ! 12
J'en mourrai, — mais vengé, mais l'âme satisfaite 12
440 D'avoir enfin lavé l'injure qu'ils m'ont faite. 12
Mais comme le serpent qui laisse en expirant 12
Son venin dans la plaie, et qui tue en mourant. 12
FIN DU PREMIER ACTE.
ACTE SECOND
PERSONNAGES
FRANÇOIS 1er
FERRON,
LA FÉRONNIÈRE,
SCHOLASTIQUE
AGNÈS-BLANC-TÉTIN, ISABEAU-L'AHURIE, GENEVIÈVE-LA-BRUNE Femmes folles de leurs corps.
Autres filles de joie.
AVIS
Ici l'auteur prévient les mères de famille, 12
Les oncles et tuteurs, que cet acte fourmille 12
445 De passages scabreux et de vers immoraux : 12
L'auteur s'est vu contraint de mener son héros 12
Dans certain mauvais lieu d'une certaine rue 12
Où se dit et se fait mainte chose incongrue : 12
Ainsi vous entendez ; ainsi, grands et petits, 12
450 Tenez-vous tous pour bien et dûment avertis ; 12
Si vous craignez l'effet de lectures pareilles, 12
Abandonnez le livre ou bouchez vos oreilles. 12
Mais pourquoi, dira-t-on, vous mettre dans le cas 12
De blesser la pudeur des esprits délicats ? 12
455 Grâce aux progrès nouveaux de la littérature, 12
Les livres de ce temps sont d'étrange nature. 12
Et la chose est au point qu'on ne répondrait plus 12
D'une jeune personne après les avoir lus ! 12
— Si des livres nouveaux le ton vous scandalise. 12
460 Quelle nécessité qu'une vierge les lise ? 12
Est-ce qu'une œuvre d'art a la prétention 12
D'être un cours de morale et d'éducation ? 12
Non que j'approuve au moins ce barbouillage obscène 12
Qui déborde aujourd'hui la peinture et la scène ! 12
465 L'art n'est pas éhonté, mais croyez qu'en effet 12
Notre étroite pudeur n'est pas du tout son fait : 12
L'art n'est pas fait pour vous, mesdames les comtesses 12
Il s'accommode mal de vos délicatesses ; 12
Pour vous, prudes beautés, bégueules de salon, 12
470 Qui n'osez regarder en face l'Apollon, 12
Qui jetez un manteau sur les lignes hardies 12
De la Vénus antique aux formes rebondies, 12
Et, dans tous nos jardins, mettez par chasteté 12
Une feuille de vigne à chaque nudité. 12
475 L'art n'est pas, comme vous, une maigre poupée 12
Prétentieusement attifée et crêpée ; 12
Il n'est pas petit-maître, et ne sait ce que c'est 12
Qu'emprisonner sa taille en un étroit corset ; 12
C'est un athlète nu, libre dans son allure, 12
480 Étalant au soleil sa puissante encolure, 12
Et devant ses rivaux marchant avec fierté 12
Dans toute sa jeunesse et sa virilité ! 12
Si quelqu'une de vous, molles Asiatiques, 12
Ne peut voir sans rougir ces formes athlétiques, 12
485 Quittez-moi promptement le Cirque, et retournez 12
Chercher dans l'Orient vos jeux efféminés ; 12
Mais nous, trempés à l'eau des célestes fontaines. 12
Nous qui venons des Dieux, et qui sommes d'Athènes, 12
Laissez-nous, laissez-nous demeurer spectateurs 12
490 De cette grande lutte entre ces beaux lutteurs ! 12
Nous voulons être là quand la muse Thébaine 12
Chantera le vainqueur sur sa lyre d'ébène ; 12
Et quand il reviendra, superbe et triomphant, 12
Dans son pays natal, tout fier d'un tel enfant. 12
495 Nous voulons nous mêler à ces cris d'allégresse 12
Que redira l'écho du beau ciel de la Grèce, 12
Et voir le pan de mur que l'on renversera 12
Pour faire entrer le char qui le ramènera ! 12
SCÈNE I
(Un mauvais lieu de la rue Froidmantel.)
SCHOLASTIQUE, seule.
Dix heures et demie à Saint-Thomas-du-Louvre, 12
500 Et personne au clapier ! Jamais, lorsque je l'ouvre, 12
Je ne puis obtenir qu'une seule soit là ! 12
Ah ! dans mon jeune temps ce n'était pas cela. 12
Sous le roi Charles huit ! nous avions du courage ; 12
C'était à qui mettrait plus de cœur à l'ouvrage. 12
505 — je me souviens encor de ce jour où le roi 12
C'est en nonante-quatre, autant comme je croi 12
Fit son entrée à Rome, un beau soir, aux lumières ; 12
C'était plaisant à voir : je l'ai vu des premières 12
Sur son bel andaloux, en costume romain, 12
510 Le casque d'or en tête, et la lance à la main. 12
Ma foi, quoique petit, il avait bonne mine ; 12
Après, venait monsieur Philippe de Comine ; 12
Ce que voyant, soldats et peuple réunis 12
Criaient : « Noël ! Noël ! Montjoie et Saint-Denis ! » 12
515 J'avais alors suivi l'armée en Italie 12
Avec un archer-franc qui me trouvait jolie ; 12
C'est qu'au fait je l'étais. — Mais tout est bien changé ! 12
Je suis vieille aujourd'hui ; le seul recours que j'ai 12
Est dans cette maison, pas mal achalandée, 12
520 Dieu merci ! — Mais peut-on jamais se faire idée 12
Que ces païennes-là s'attardent si long-temps ! 12
Voilà, je crois, tantôt une heure que j'attends. 12
C'est qu'au jour d'aujourd'hui la jeunesse est frivole, 12
Et ne réfléchit pas comme le temps s'envole !… 12
On entend des voix bruyantes à la porte.
SCÈNE II
SCHOLASTIQUE, ISABEAU-L'AHURIE, GENEVIÈVE-LA-BRUNE,
AGNÈS-BLANC-TÉTIN, et autres femmes folles de leur corps,
entrent en tumulte.
SCHOLASTIQUE
525 Ça, ribaudes d'enfer, voulez-vous bien venir ! 12
Dites, qui vous a pu si long-temps retenir ? 12
Je le devine assez : or, je vous le demande, 12
Auriez vous si grand'joie à me voir à l'amende ? 12
Car vous avez passé la nuit chez quelque amant, 12
530 Quelque clerc ou soudard, le tout contrairement 12
Aux édits contenant défenses très expresses 12
De courir par la ville, et porter vos tendresses ' 12
Ailleurs qu'en ce réduit, qui s'ouvre maintenant 12
A dix heures, et ferme au couvre-feu sonnant : 12
Ah ! si je le savais !
ISABEAU-L'AHURIE
535 Non ; c'est une aventure
Que vient de nous conter Manon-Fine-Ceinture, 12
Qui reste ici tout près, au clapier Champfleuri ; 12
Elle est ma foi plaisante, et nous avons bien ri ! 12
Ne souhaitez-vous pas que je vous la raconte ? 12
AGNÈS-BLANC-TÉTIN
C'est moi qui la dirai.
GENEVIÈVE-LA-BRUNE
Non ! c'est moi.
ISABEAU-L'AHURIE
540 De bon compte,
Damoiselles, c'est moi qui connaissais Manon, 12
Et c'est à moi qu'elle a conté la chose :
AGNÈS ET GENEVIÈVE
Eh non !
SCHOLASTIQUE
Sainte Vierge ! quels cris ! je veux être damnée 12
Si l'on y peut tenir.
GENEVIÈVE, à Isabeau.
Je cède à mon aînée.
ISABEAU
Pas si vieille que toi.
SCHOLASTIQUE
545 Va-t-on recommencer ?
Gibier de Montfaucon, je m'en vais tout chasser ! 12
ISABEAU, après que le silence s'est rétabli.
Hier au soir, — l'histoire est tout-à-fait récente, 12
Comme on voit, et n'en est que plus intéressante : 12
— Un seigneur de grand nom, qu'on ne veut pas nommer, 12
550 A des appas bourgeois s'était laissé charmer : 12
L'époux était jaloux, — car cette bourgeoisie 12
Va jusqu'à se mêler aussi de jalousie. 12
— La belle, qui connaît son monde, et qui savait 12
Que la chose irait mal s'il s'en apercevait, 12
555 Dit au galant : Allez dans cet hôtel en face. 12
Et demeurez-y coi, jusqu'à ce que je fasse 12
Tel signal ; — je ne sais lequel. — Or, c'est ici 12
Le meilleur à mon sens ; l'époux rentre, et voici 12
Qu'en causant, sans savoir rien de rien, par mégarde, 12
560 Il donne le signal ! — Le galant vient, regarde. 12
Et trouve le mari : grand ébahissement 12
De l'époux qui se trouve en face de l'amant. 12
Le grand seigneur de rire, et de gagner la porte. 12
Et mon pauvre mari, qui crie et qui s'emporte, 12
565 Demeure là tout seul, penaud, et convaincu 12
Que la chose est parfaite et qu'il est bien cocu ! 12
Toutes les femmes se mettent à rire aux éclats.
SCHOLASTIQUE, avec dépit.
Les bourgeoises aussi, qui se sont avisées 12
De vouloir à leur tour marcher sur nos brisées ! 12
AGNÈS
Quoi ! vous ne riez pas !
SCHOLASTIQUE
C'est risible en effet !
570 Ne voyez-vous donc pas quel tort cela nous fait ! 12
La noblesse encor passe ! — Et puis c'est la noblesse… 12
Mais ne voilà-t-il pas aussi que je me laisse 12
Aller à deviser ; or tout en devisant. 12
On ne fait pas l'ouvrage, et, ma fine, à présent 12
Avec un soupir. A Isabeau.
575 La misère est si grande !… Enfin ! — Voyons, la belle, 12
Approchez, mettez-vous là, sur cette escabelle ; 12
J'ai la vue un peu basse ; — encor plus près. — Je veux 12
Examiner comment sont noués ces cheveux ; 12
A Agnès.
C'est bien. — Et toi, là-bas ; voyons cette ceinture : 12
580 Qu'est-ce ? qui m'a baillé pareille créature ? 12
Qu'on aille incontinent me rattacher cela. 12
Et qu'on ne vienne plus dans ce costume-là 12
A Geneviève qu'elle a examinée ensuite.
C'est bien. — Un mot pourtant. Vous êtes dans l'usage 12
De regarder toujours le monde en plein visage ; 12
585 Et vous louchez ! Baissez donc les yeux, c'est moins laid, 12
Et cela donne un air d'innocence qui plaît. 12
Apercevant une femme qui se cache derrière les autres.
Mais que vois-je là-bas ? Oses-tu bien, pécore, 12
Après un pareil trait, te présenter encore ? 12
Se tournant vers les autres.
Il faut que vous sachiez qu'hier soir je reçois 12
590 Un saint religieux du couvent Saint-François : 12
Moi, croyant bien lui faire un cadeau, je présente 12
Celle-ci, qui lui semble éveillée et plaisante ; 12
Il la prend : moi, je sors. — Bon. — Mais quand le frocard 12
Veut s'approcher un peu pour causer à l'écart, 12
595 Est-ce que ma Toinon ne s'est point avisée 12
De tomber en syncope et crier la nausée. 12
Et, pour un capucin qui sent un peu son fruit, 12
De remplir ma maison de scandale et de bruit ? 12
Si bien que de ce coup la pauvre Scholastique 12
600 En a manqué la vente et perdu la pratique. 12
Croyez-vous que cela peut se passer ainsi ? 12
Non, non, par tous les saints ! — Allons, sortez d'ici. 12
YOLANDE
Grâce pour cette fois !
SCHOLASTIQUE, continuant.
A voir la mijaurée
Faire auprès des galans la prude et la sucrée, 12
605 Il semblerait vraiment qu'il faille les choisir, 12
Et que l'état qu'on fait ce soit pour son plaisir ! 12
Allons, délogez vite ; et sachez bien, pucelle, 12
Qu'on doit dans votre état prendre à toute escarcelle, 12
Et tirer du chaland, qu'il soit jeune ou barbon, 12
610 L'argent, qui vaut partout, et qui sent toujours bon. 12
YOLANDE
Pourtant, si désormais…
SCHOLASTIQUE
Répandre de la sorte
Le discrédit céans ! je l'ai dit ; qu'elle sorte. 12
La fille sort.
S'adressant à une autre. S'apercevant qu'elle mange.
A ton tour à présent ; je veux… Ah ! déjà faim, 12
Avant d'avoir encor rien gagné ! — Mais enfin. 12
615 N'importe ! — Cependant, que mangez-vous, ma reine, 12
De si bon appétit ? — O bonté souveraine, 12
Prenez pitié de nous ! Vrai, le trait est hardi ! 12
Manger, là, sous vos yeux, du lard, — un vendredi ! 12
Mais c'est donc un défi ; tu veux donc, péronnelle. 12
620 Nous mettre sur les bras la vengeance éternelle ! 12
Du lard, un vendredi ! Mais tu ne sais donc point 12
Que tous les saints canons sont formels sur ce point ? 12
Passe pour cette fois ; mais que je t'y reprenne ! 12
A Agnès.
Approche, Agnès. Tu sais que monsieur de Varenne 12
625 Vient aujourd'hui céans ; je ne crois pas devoir 12
Te rappeler comment il le faut recevoir : 12
Un conseiller du roi près de la cour des comptes ! 12
Dont la famille tient, par les femmes, aux comtes 12
De Bar et Saint-Dizier !
AGNÈS
C'est bien ; je le verrai,
Et tâcherai pour lui…
SCHOLASTIQUE
630 Comment ! je tâcherai !
Çà, j'en perdrai la tête ! — Écoutez, damoiselle : 12
Je n'eus qu'à me louer long-temps de votre zèle. 12
Et, grâce à vous, j'ai vu bien des jours qu'à foison 12
Les beaux angelots d'or pleuvaient dans ma maison ; 12
635 Vous étiez au service alerte et dégagée. 12
Depuis un certain temps je vous trouve changée ; 12
L'état ne vous rit plus ; cet homme vous déplaît : 12
Pourquoi, je le demande ? est-il vieux ? est-il laid ? 12
Et quand il le serait ; est-ce là, je vous prie, 12
640 Raison d'être avec lui bégueule et renchérie ? 12
C'est un homme d'ailleurs à faire des cadeaux. 12
Et c'est lui qui vous mit ce mouchoir sur le dos ! 12
Je ne sais pas pourquoi, distraite et langoureuse… 12
ISABEAU, s'avançant.
Eh bien, je le sais, moi ; — c'est qu'elle est amoureuse. 12
SCHOLASTIQUE
Allons ! quelle folie !
GENEVIÈVE
645 Oh ! le tour est charmant !
ISABEAU
C'est comme je le dis ; elle aime son amant. 12
SCHOLASTIQUE
C'est déjà mal d'avoir un amant ; ça dérange. 12
Mais en être amoureuse ! ah, la chose est étrange ! 12
— J'espère que du moins ce n'est pas ce bandit, 12
650 Cet archer Guy-Bernard, blasphémateur maudit ? 12
ISABEAU
Tout justement, c'est lui.
SCHOLASTIQUE
Faiseur de traits infâmes.
Qui prend, sans rien payer, le temps des pauvres femmes. 12
Qui pour maints vilains cas a failli, s'il vous plaît, 12
Passer aux frais du roi sa vie au Châtelet, 12
655 Homme à moustache rousse, à l'œil cave, au teint blême. 12
Qui se grise…
AGNÈS
C'est vrai.
SCHOLASTIQUE
Qui te bat !
AGNÈS
Mais je l'aime.
Je l'aime, comme il est, avec ses cheveux roux, 12
Avec son parler brusque et son œil en courroux ; 12
Que voulez-vous ? je l'aime, embrassée ou battue : 12
660 Ce ne sont pas les coups, c'est la froideur qui tue. 12
SCHOLASTIQUE
Agnès, décidément, vous perdez la raison : 12
Le temps se chargera de votre guérison. 12
Et vous saurez un jour qu'il faut, dans notre empire. 12
Ne connaître d'amour que celui qu'on inspire, 12
665 Et, levant son impôt sur le blond et le brun. 12
Se faire aimer par tous, et n'en pas aimer un. 12
A toutes les femmes.
— Autre chose à présent. Vous savez l'aventure 12
De cette pauvre enfant, Jehanne la Couture, 12
Votre camarade ?
AGNÈS
Oui. C'est un chien d'écolier…
GENEVIÈVE
670 Et je te soutiens, moi, que c'est un cordelier ! 12
SCHOLASTIQUE
Toujours est-il qu'enfin la pauvre malheureuse 12
Ressent par tout le corps une douleur affreuse, 12
Le mal, et vous savez quel mal ! fait des progrès 12
A chaque instant. — Or, moi, comme je le devrais, 12
675 Je ne l'ai pas fait mettre à la léproserie : 12
Vous n'imaginez pas comme cela décrie 12
Montrant une petite porte,
Une pauvre maison ! Je l'ai gardée ici. 12
Maintenant, mes agneaux, entendez bien ceci : 12
Gardez, par tous les saints ! d'en rien dire à personne ; 12
680 Car s'il vient à se faire un jour que l'on soupçonne 12
Un pareil tour, c'est fait de l'établissement ! 12
Souvent le grand-prévôt, instruit secrètement, 12
Lâche des espions : vous sentez qu'il importe… 12
TOUTES ENSEMBLE
Soyez sûre de nous !
SCHOLASTIQUE
Mais on frappe à la porte !
685 C'est sans doute un galant ; je vais le recevoir ; 12
Et vous, allez par là,
Elle les fait passer dans une chambre voisine.
SCÈNE III
PERRON, SCHOLASTIQUE.
SCHOLASTIQUE
Seigneur, puis-je savoir ?
PERRON entre, absorbé dans ses réflexions, et sans prendre garde à Scholastique.
Depuis que ce projet occupe ma pensée. 12
Oui, — je crois me sentir l'âme moins oppressée : 12
Ainsi j'aurai mon tour, et vengerai l'affront 12
690 Qu'ils avaient imprimé… car ils se reverront. 12
Je n'en saurais douter : tant mieux, mort de ma vie ! 12
Que ce soit dès demain ; c'est ma plus chère envie. 12
Tout s'explique à la fin : ces riches diamans, 12
Ces robes, ces bijoux, et tous ces ornemens ; 12
695 Ce trouble quand j'allais pour ouvrir la fenêtre… 12
SCHOLASTIQUE
Soyez le bien-venu céans : puis-je connaître, 12
Seigneur, en quoi j'aurais l'honneur de vous servir ? 12
FERRON, sans l'écouter.
En retour de l'honneur qu'ils ont su me ravir. 12
Ils verront…
SCHOLASTIQUE
Ce n'est pas au moins par vanterie,
700 Mais je puis assurer à votre seigneurie 12
Que dans toute la ville il n'est pas. Dieu merci, 12
Un seul clapier d'amour qui vaille celui-ci. 12
FERRON, brusquement.
La vieille, il s'agit bien !…
SCHOLASTIQUE
J'aurais en témoignage
Maints illustres seigneurs et gens de haut lignage, 12
705 Que je ne nomme pas, car la discrétion 12
Est une des vertus de ma profession. 12
FERRON
Je te crois, mais assez.
SCHOLASTIQUE
Les moines ont beau dire
Et s'user les poumons en chaire à nous maudire, 12
A crier au scandale ; il est sûr et certain 12
710 Qu'ils y perdent leur peine et leur peu de latin. 12
Eh ! ne voyons nous pas es Saintes Écritures 12
Maintes filles de bien courant les aventures ? 12
Tout le monde connaît la courtisane Olla, 12
Et sainte Madeleine a fait ce métier-là. 12
FERRON
Fais venir une femme.
SCHOLASTIQUE
715 Œil noir, gentil corsage,
J'ai là ce qu'il vous faut. — Au fait, c'est le plus sage ; 12
Sitôt que vous sentez l'aiguillon de la chair, 12
Voyez-vous, à tout prendre, il en coûte moins cher 12
De choisir un réduit de bonne renommée. 12
720 Comme est cette maison, bien propre et bien famée. 12
Que d'aller, comme on fait, séduire méchamment 12
La femme du prochain pour s'en faire l'amant ; 12
Au moins le pauvre monde y gagne un peu sa vie. 12
Pour qui veut se passer une pareille envie, 12
725 Sans parler des soupirs et des soins assidus, 12
Des craintes, des chagrins et des momens perdus, 12
Ce sont riches cadeaux et coûteuses parures, 12
Que sais-je ? points de Flandre, éventails et fourrures, 12
Sans compter que c'est là pécher mortellement ; 12
730 Car je défends toujours l'honneur du sacrement, 12
Moi qui vous parle, et tiens pour règle générale 12
De ne pas transiger sur les points de morale : 12
Puis, si l'époux apprend…
FERRON
A part.
Tais-toi. Quel souvenir !
SCHOLASTIQUE
Or ça, mon bon seigneur, je vais faire venir 12
735 Geneviève-la-Brune, accorte et bien apprise, 12
Dont vous serez content, ou je suis bien surprise ; 12
Celle-là n'a jamais connu le médecin : 12
Sa bouche est aussi fraîche et son corps aussi sain. 12
FERRON
C'est bon, je n'en veux pas.
SCHOLASTIQUE
Isabeau-l'Ahurie
740 Conviendrait-elle mieux à votre seigneurie ? 12
FERRON
Non.
SCHOLASTIQUE
Agnès-Blanc-Tétin ; c'est un joli surnom.
Vous en pourrez juger ; l'irai-je quérir ?
FERRON
Non.
SCHOLASTIQUE
Alors…
FERRON
Écoute-moi, vieille. As-tu d'aventure,
Après avoir regardé autour de lui.
On ne nous entend pas ? bon ; — une créature… 12
Tu comprends, n'est-ce pas ? Voyons…
SCHOLASTIQUE
745 C'est étonnant,
Je n'y suis pas du tout.
FERRON, après lui avoir dit quelques mots à l'oreille.
Comprends-tu maintenant ?
SCHOLASTIQUE
Mais je n'en reviens pas ! Quoi ! votre seigneurie… 12
FERRON, sans l'écouter.
Que ce soit le rebut de la maladrerie, 12
Tant mieux ; fais-la venir ici.
SCHOLASTIQUE
Par ma vertu !
Que ferez-vous, seigneur, d'une femme ?…
FERRON
750 En as-tu ?
Réponds ! C'est mon idée, après tout ; que t'importe ? 12
SCHOLASTIQUE
M'ard le feu Saint-Antoine, et Satanas m'emporte. 12
Si depuis vingt-neuf ans que je tiens ma maison 12
A part, avec défiance.
Jamais on a pu dire… Est-ce une trahison ? 12
FERRON
755 La vieille, je n'ai pas de temps à perdre. — Écoute, 12
SCHOLASTIQUE, tremblant.
J'écoute, monseigneur…
FERRON
Il faut, quoi qu'il m'en coûte,
M'amener à l'instant la femme que j'ai dit ; 12
Car tu dois en avoir dans ton clapier maudit. 12
Je le sais, — ou du moins je le crois.
SCHOLASTIQUE
Mais…
FERRON
Silence
Ou tu sauras bientôt qui je suis !
SCHOLASTIQUE, tombant à genoux.
760 Excellence,
Messire… monseigneur… prenez pitié de nous ! 12
C'est une femme en pleurs qui vous prie à genoux ! 12
Par tous les saints du ciel, soyez-nous secourable, 12
Car je vous connais bien maintenant.
FERRON
Misérable !
765 Qu'as-tu dit là, réponds ? Comment sais-tu mon nom ? 12
Parle donc ! Est-il vrai que tu le saches ?
SCHOLASTIQUE
Non !
Non, je ne le sais pas ; mais seulement, messire. 12
Je sais que vous pouvez d'un mot me faire occire ; 12
Grâce ! grâce monsieur le grand prévôt !
FERRON
Comment ?
SCHOLASTIQUE
770 Mais je respecterai votre déguisement. 12
Seulement, monseigneur, ne me faites pas prendre ! 12
FERRON, à part.
Ah ! j'y suis maintenant ; je commence à comprendre 12
On ma pris pour un autre, et je vois. Dieu merci, 12
Qu'on ne me connaît pas. — Debout !
SCHOLASTIQUE
Je reste ainsi,
Et cet abaissement…
FERRON
775 Que le diable te serre,
La vieille, si je suis prévôt ou commissaire. 12
SCHOLASTIQUE, se relevant.
En vérité ! — Voyez, je suis tout en émoi ; 12
Je peux bien me vanter d'avoir eu peur !
FERRON, à part.
Et moi !
Tirant sa bourse.
Mais j'oubliais vraiment ! tiens ; j'ai la confiance 12
780 Que ceci calmera bientôt ta conscience. 12
SCHOLASTIQUE , ouvrant la bourse.
A part.
Quatre écus au soleil ! Risquons-nous. — Cependant 12
De le sonder encore il serait plus prudent. 12
Haut.
Si jamais en mon âme un doute avais pu naître, 12
Vos manières d'agir… Au moins, puis-je connaître 12
785 Qui vous êtes, seigneur ? sans doute bachelier ? 12
Cette robe…
FERRON, saisissant cette idée.
En effet, je viens de Montpellier ;
J'y fus fait médecin et docteur es-sciences, 12
Et veux faire à Paris quelques expériences. 12
SCHOLASTIQUE
Que ne le disiez-vous ? La chose étant ainsi. 12
Venez.
FERRON, à part.
Enfin, je vais me venger !
SCHOLASTIQUE, avec précaution, lui montrant une petite porte .
790 Par ici.
Ils sortent.
SCÈNE IV
(La chambre à coucher de Ferron.)
PERRON, LA FÉRONNIÈRE, endormie sur le lit.
FERRON, sur le devant de la scène.
Cette nuit est passée enfin ! et mon outrage… 12
Que pour en venir là j'eus besoin de courage ! 12
Combien j'ai dû souffrir ! quand on vient à penser 12
Que moi, qui veux sa mort, il fallut m'abaisser 12
795 A feindre, à lui jurer ; — mais qu'importe un parjure 12
A présent ? — que j'avais oublié mon injure ! 12
Ah ! sans doute le ciel, pour premier châtiment, 12
Jette sur ses maudits l'esprit d'aveuglement. 12
Je l'ai trompée enfin ; se croyant pardonnée. 12
800 Elle s'est dans mes bras sans crainte abandonnée, 12
La pauvre malheureuse ! et ne soupçonnant pas 12
Que ces embrassemens recelaient le trépas, 12
Et moi, je la serrais dans mes bras toute nue, 12
Plus belle que jamais je ne l'avais connue… 12
805 Alors le souvenir en moi s'est ranimé 12
Du temps où je l'aimais et m'en croyais aimé ; 12
Mon œil s'est retracé l'image involontaire 12
De ces premières nuits d'amour et de mystère. 12
Pourquoi le cacherai-je ? un instant j'ai faibli ; 12
810 J'ai presque regretté… C'est un moment d'oubli, 12
J'en conviens ; mais bientôt ma haine rallumée 12
A repris place au cœur, et l'œuvre est consommée ! 12
Qu'elle porte à présent l'amour empoisonné… 12
LA FÉRONNIÈRE, se réveille. Elle cherche des yeux son mari ;
l'aperçoit et vient se jeter dans sas bras.
Dis encore une fois que tu m'as pardonné ! 12
815 Mon crime méritait une peine exemplaire ; 12
Tu ne t'es pas armé de toute ta colère. 12
Toi, tu fus bon pour moi ! Non jamais, mon ami, 12
Lorsque je te tenais dans mes bras endormi, 12
Que tu me prodiguais ces caresses de flamme 12
820 Qui passent par le corps pour aller jusqu'à l'âme, 12
Jamais je n'ai connu plus doux ravissemens, 12
Ni trouvé tant de charme à tes embrassemens. 12
Que ma joie était pure ! et comme en cette étreinte 12
Que ne venait troubler le remords ni la crainte, 12
825 J'ai goûté ce bonheur que je croyais perdu, 12
/ Dont j'étais si peu digne et que tu m'as rendu ! 12
FERRON, ne pouvant plus cacher son émotion,
fait quelques pas pour sortir.
Adieu !
LA FÉRONNIÈRE
Que signifie ?…
FERRON, troublé.
Un voyage… une affaire.
LA FÉRONNIÈRE
Tu ne m'as jamais dit…-
PERRON, avec effort.
Adieu !
LA FÉRONNIÈRE, le retenant.
Que vas-tu faire ?
Quoi ! tu veux, maintenant que de plus heureux jours… 12
FERRON, d'un air sombre.
830 Quand je ne voudrais pas, il le faudrait toujours. 12
LA FÉRONNIÈRE
Peux-tu bien me quitter !
FERRON, avec un soupir qu'il ne peut étouffer.
Ah, je sens qu'il m'en coûte !
LA FÉRONNIÈRE
Est-ce pour bien long-temps ?
FERRON
Pour bien long-temps.
LA FÉRONNIÈRE, lui prenant la main.
Écoute :
Tu veux partir. — C'est bien. — Mais je me maudirais 12
Si je gardais encor pour toi quelques secrets : 12
835 Je méritais la mort, indigne pécheresse ; 12
Et toi, tu m'as rendu la vie et ta tendresse. 12
Tu m'as ouvert ces bras que tu pouvais fermer. 12
Et bien ! c'est toi que j'aime et que je veux aimer ; 12
Je serai ton esclave, et te viendrai moi-même 12
Servir comme mon maître et seigneur !
FERRON, avec transport.
840 Elle m'aime !
LA FÉRONNIÈRE
Mais, pour celui qui put m'arracher au devoir, 12
Tu sais qu'il n'est qu'un pas du vouloir au pouvoir : 12
Ah ! crains à tes dépens, mon ami, crains d'apprendre. 12
Hélas ! ce que l'amour d'un roi peut entreprendre ! 12
845 Car enfin il m'aimait ! — Et moi, de mon côté, 12
Car je te dois ici toute la vérité, 12
Je doute encor de moi !… je ne suis pas bien sûre 12
Que le ciel jusqu'au fond ait fermé la blessure ; 12
Je n'ose interroger mon âme, et je craindrais 12
850 De la livrer encore à d'éternels regrets ! 12
Oh ! c'est pour cette fois que le ciel et la terre 12
Devraient de tout leur poids écraser l'adultère. 12
Et fermer sans retour l'espoir du repentir ! 12
Or tu peux empêcher cela. — Tu veux partir ; 12
Emmène-moi.
FERRON
Grand Dieu !
LA FÉRONNIÈRE
855 Partons pour l'Italie,
Pour l'Espagne, qu'importe ? Il faut que je l'oublie, 12
Il le faut, je le veux ! — Partons ! Qui sait, demain. 12
S'il ne nous aura pas interdit le chemin ? 12
Il n'est que ce moyen : essayons de l'absence ; 12
860 L'éloignement sans doute aura plus de puissance, 12
Me sauvera plus vite, et pour ma guérison 12
Peut-être fera plus que n'a fait la raison ! 12
FERRON, avec entraînement.
Par les saints ! est-il vrai, dis, que ton cœur abjure 12
Ce détestable amour ? réponds.
LA FÉRONNIÈRE
Je te le jure,
Je ne veux plus le voir.
FERRON, transporté.
865 Ainsi j'ai retrouvé
Ce bonheur d'autrefois que j'avais tant rêvé ! 12
LA FÉRONNIÈRE
Il importe, avant tout, de faire diligence : 12
Partons. — Va, nous serons heureux,
FERRON, entraîné par elle, fait quelques pas pour sortir,
puis, comme frappé d'une idée soudaine,
il revient précipitamment, et s'écrie avec désespoir :
A part.
Et ma vengeance !
Qu'ai-je fait ? qu'ai-je fait ? — Oh, le germe assassin 12
870 Circule dans son corps et lui ronge le sein ! 12
J'allais lui pardonner ; ma haine désarmée… 12
Ah, je sens que jamais je ne l'ai plus aimée ! 12
Et pourtant si je fuis avec elle, et la mets 12
Dans l'impuissance enfin de le revoir jamais, 12
875 Nous en mourrons toujours, et lui, le seul coupable, 12
Il vivra !
LA FÉRONNIÈRE
Qu'as-tu donc ?
FERRON, de même.
Oh, ma tête est capable
De se briser ! Vouloir la serrer dans mes bras. 12
Et ne pas le pouvoir !
LA FÉRONNIÈRE
Dès que tu le voudras,
Nous partirons.
FERRON, avec effort.
Je pars seul.
LA FÉRONNIÈRE
Quelle étrange idée !
880 C'est la seule faveur que j'eusse demandée. 12
Je t'ai fait lire au fond de mon âme, et tu vois 12
Que pour notre bonheur à tous deux…
FERRON, à part.
Cette voix,
Ce regard, tout cela m'enivre, et ne me laisse 12
Que trouble au fond de l'âme ! — Oh, c'est une faiblesse ! 12
885 — Et pourtant n'est-il pas horrible de penser 12
Qu'il faut que ce soit moi qui vienne la pousser 12
Vers cet autre ?
LA FÉRONNIÈRE
N'as-tu pas dit : Je te pardonne !
Et tu veux que je reste !
Elle prend ses mains, qu'elle embrasse.
FERRON, faisant un effort pour la repousser.
Il le faut ; — je l'ordonne !
LA FÉRONNIÈRE, pleurant.
Quoi ! vous me repoussez de vos bras ! — C'est affreux ! 12
FERRON, à part.
Avec un mouvement de joie. Avec désespoir.
890 Elle pleure ! — Elle ira ! — Que je suis malheureux ! 12
Il sort précipitamment.
SCÈNE V
LA FÉRONNIÈRE
Seule !… encore une fois repoussée et proscrite ! 12
Je revenais à lui, repentante et contrite, 12
Car il m'avait fait grâce ; et moi, j'avais pensé 12
Que nos embrassemens avaient tout effacé. 12
895 — Et puis m'abandonner tout à coup, sans me dire 12
En quoi j'ai mérité qu'il ait pu me maudire ! 12
Tombant à genoux.
Et si le roi !… Mon Dieu, que j'offensai jadis, 12
Et vous tous, messeigneurs les Saints du Paradis, 12
Entendez, entendez le cri qu'en sa détresse 12
900 Élève jusqu'à vous la pauvre pécheresse ; 12
Donnez-lui de rester ferme en son repentir… 12
SCÈNE VI
LA FÉRONNIÈRE, FRANÇOIS 1er
FRANÇOIS 1er, entrant.
Cette fois, je suis sûr de l'avoir vu sortir. 12
— Or, il faut convenir que l'aventure est drôle. 12
Et nous étions là deux à jouer un sot rôle. 12
905 Voici plus qu'il n'en faut, messieurs les courtisans, 12
Pour fournir un grand mois à vos discours plaisans. 12
Si ma sœur Marguerite apprend jamais l'affaire, 12
Certe, elle en rira bien ; c'est un beau conte à faire. 12
Mais enfin je suis seul, et je peux, Dieu merci… 12
LA FÉRONNIÈRE, l'apercevant, s'écrie avec effroi.
Vous !… Où prétendez-vous aller, de grâce ?
FRANÇOIS 1er
910 Ici,
Apparemment ; la chose est, je crois, assez claire. 12
LA FÉRONNIÈRE
Après un tel éclat !
FRANÇOIS 1er.
Il s’est mis en colère,
L’avocat ; peu m’importe, au fait : et penses-tu 12
Que François, pour si peu, se confesse battu ? 12
915 Quand mon parrain Bayard, tout seul contre une armée… 12
LA FÉRONNIÈRE, joignant les mains.
Monseigneur, monseigneur, si vous m’avez aimée, 12
Si la peine où je suis vous touche, et si jamais 12
Vous fûtes assuré combien je vous aimais. 12
Fuyez ! — Savez-vous bien que vous m’avez perdue, 12
920 Au moins ? Pour que la paix me soit enfin rendue, 12
Savez-vous, dites-moi, qu’à peine aurai-je assez 12
Des jours, si longs qu’ils soient, que Dieu m’aura laissés ? 12
Et, s’il faut tout vous dire…
FRANÇOIS 1er.
Eh bien ?
LA FÉRONNIÈRE.
J’ai dans l’idée
Que d’un œil de pitié le ciel m’a regardée, 12
925 Et crois que tout ceci me devait arriver, 12
Non sans quelque dessein de Dieu pour me sauver : 12
Aussi bien, dès long-temps, certaine voix secrète 12
M’avait mis dans le cœur un besoin de retraite ; 12
Car trembler tout le jour, ne respirer jamais. 12
Croyez-vous, monseigneur que ce soit vivre ?
FRANÇOIS 1er
930 Eh mais,
A quoi bon t'effrayer ? Mes mesures sont prises ; 12
J'ai mis, pour éviter de nouvelles surprises, 12
Mon page, que tu sais, en vedette à deux pas ; 12
Et quand reviendra l'autre…
LA FÉRONNIÈRE
Il ne reviendra pas !
FRANÇOIS 1er.
935 Lui ! foi de gentilhomme ! Explique-toi, de grâce, 12
Je ne te comprends plus.
LA FÉRONNIÈRE, se jetant à ses genoux.
Par vos pieds que j'embrasse,
Ayez pitié de moi, monseigneur ! Vous voyez 12
Une femme vraiment bien à plaindre. — Fuyez ! 12
Ne m'otez pas l'espoir d'achever mon ouvrage. 12
940 Ni le peu qui me reste encore de courage ; 12
Car j'en ai bien besoin, et lorsque vous saurez… 12
N'est-ce pas, dites-moi, que vous vous en irez ? 12
Écoutez. — Une voix d'en-haut est descendue… 12
FRANÇOIS 1er, la relevant.
Ta raison…
LA FÉRONNIÈRE
Plût à Dieu que je l'eusse perdue !
945 Mon crime dans son cœur avait trouvé merci : 12
Moi, j'avais embrassé cet espoir ; et voici 12
Que soudain, sans me dire un seul mot, il me laisse 12
Sans défense, et livrée à toute ma faiblesse ! 12
Comprenez-vous cela ? Partir ainsi, partir ! 12
950 Ah ! Dieu m'est à témoin qu'un ferme repentir 12
Avait touché mon âme, et que toute ma vie, 12
A la loi du devoir désormais asservie. 12
Aurait jusqu'à la fin passé pieusement 12
Au sein de la prière et du recueillement : 12
955 Je le voulais ; c'est lui, lui ! qui m'a repoussée ! 12
Mais voyez donc ; je suis une pauvre insensée : 12
Oh ! monseigneur et roi, vous n'abuserez pas 12
Du hasard qui me jette encor devant vos pas ! 12
Ne comprenez-vous point que c'est Dieu qui m'envoie 12
960 Un avertissement de rentrer dans sa voie ? 12
Laissez-moi, laissez-moi ! Par l'amour… l'amitié… 12
Que sais-je ?… par le ciel ! pitié, mon Dieu, pitié ! 12
FRANÇOIS 1er.
Enfant, reviens à toi : l'aventure est étrange, 12
A part.
J'en conviens ; mais enfin… Voici qui me dérange : 12
965 Si je pouvais trouver un moyen… m'y voici. 12
Haut.
Allons ! est-ce raison de s'affliger ainsi ? 12
N'est-ce donc que cela ? Si tu pouvais connaître… 12
Mais que dis-je ! à quoi bon maintenant faire naître 12
Le trouble dans ton âme, et te rendre…
LA FÉRONNIÈRE
Parlez !
970 Il est quelque secret encor que vous celez ! 12
FRANÇOIS 1er.
Tu le veux. — Eh bien donc, ma pauvre délaissée, 12
Apprends qu'une autre femme occupe sa pensée. 12
LA FÉRONNIÈRE
Oh, non ! c'est impossible. Eh quoi ! lui qui semblait… 12
FRANÇOIS 1er.
La chose est si possible, en vérité, qu'elle est. 12
A part.
Pas mal imaginé.
LA FÉRONNIÈRE
975 Mais c'est une infamie :
Qui l'a dit a menti.
FRANÇOIS 1er.
Mon Dieu, ma chère amie,
Plût au ciel !
LA FÉRONNIÈRE
Oh, c'est mal !
FRANÇOIS 1er.
Que cet homme en effet
A bien mal reconnu la faveur qu'on lui fait ! 12
Et comme au lieu d'un roi qu'un lustre héréditaire 12
980 A mis en quelque estime entre ceux de la terre, 12
Il mériterait bien, l'ingrat, de n'avoir eu 12
Pour rival en ton cœur qu'un greffier malotru ! 12
LA FÉRONNIÈRE
Lui !
FRANÇOIS 1er.
J'ai su qu il allait à des heures indues,
Rue Aubry-le-Boucher, chez des femmes perdues ; 12
985 D'Annebaut, son client, hier l'a rencontré, 12
Et me l'a dit : partant il m'est bien démontré… 12
LA FÉRONNIÈRE
Donc vous en êtes sûr !
FRANÇOIS 1er.
Cette galanterie
Explique assez, je crois, sa brusque fâcherie. 12
LA FÉRONNIÈRE
Qui l'aurait cru de lui !
FRANÇOIS 1er.
Souvent celui qu'on croit
Sage entre tous, au fond…
LA FÉRONNIÈRE
990 Oh ! je n'ai pas le droit,
Je le sais bien, mon Dieu, de demander qu'il m'aime 12
Et me respecte plus que je n'ai fait moi-même ; 12
Mais d'où vient cependant que ce que j'entends là 12
Me soit un poids affreux ? Comprenez-vous cela ? 12
Avec désespoir.
995 Donc le ciel sera sourd à cette voix plaintive, 12
Donc il est dit là-haut qu'à chaque tentative 12
De retour vers le bien, tout à coup surgira 12
Une main de l'enfer qui me repoussera ! 12
Vous voyez bien, mon Dieu, vous qui m'avez damnée, 12
1000 Que moi je n'y peux rien, triste prédestinée, 12
Et Jésus, mon Sauveur, m'est témoin qu'en effet. 12
Autant que femme peut combattre, je l'ai fait : 12
Puis donc que c'est écrit, eh bien, c'est toi que j'aime, 12
Tiens ! prends-moi !
FRANÇOIS 1er à part
Merveilleux effet du stratagème !
LA FÉRONNIÈRE
1005 C'est Satan qui me pousse avec sa main de fer ! 12
Se jetant dans ses bras
Qu'il en soit donc ainsi ! L'enfer pour toi, l'enfer ! 12
FIN DU SECOND ACTE
ACTE TROISIÈME
PERSONNAGES
FRANÇOIS 1er
FERRON
HENRI, Dauphin.
Le Maréchal D'ANNEBAUT
GUILLAUME COP, AMBROISE PARÉ médecins.
GUILLAUME PETIT, confesseur du roi.
DUCHATEL, lecteur du roi.
Un officier, le héraut d'armes de France, archers, peuple…
(31 Mars I547)
(Une salle de château du Rambouillet. Au fond, trois portes communiquant avec la chambre du Roi.)
SCÈNE I
Le Maréchal D'ANNEBAUT, GUILLAUME COP, médecin du Roi.
Guillaume Cop entre par une porte latérale ; d'Annebaut va au-devant de lui avec empressement.
D'ANNEBAUT
C'est vous ! — Votre présence est ici nécessaire, 12
Maître Cop ; vous avez reçu…
COP
Votre émissaire,
Monseigneur, m'a remis hier votre billet. 12
1010 Et me voici de grand'matin à Rambouillet ; 12
Ma monture est si bonne, et d'une intelligence !… 12
D'ANNEBAUT
Maître, bien vous a pris de faire diligence ! 12
COP
Item, j'amène ici maître Ambroise Paré, 12
Mon confrère.
D ANNEBAUT
C'est bien, je vous en sais bon gré.
COP
1015 Il est venu céans en croupe sur ma mule ; 12
C'est un jeune homme instruit, qui connaît la formule 12
Autant comme ferait le plus vieux — des docteurs, 12
Et qui sait ad unguem les plus graves auteurs. 12
Maintenant, dites-moi, quelle douleur nouvelle, 12
1020 Quelle fièvre quartaine, apostume ou gravelle, 12
Quel symptôme effrayant a donc nécessité 12
Un rappel aussi prompt près de sa majesté ? 12
D'ANNEBAUT.
Eh, mon Dieu ! c'est toujours ce mal cruel, qui semble 12
Se rire des docteurs et de l'art tout ensemble : 12
1025 Vous, premier médecin du Roi, vous avez su 12
Comme à Compiègne un jour il avait aperçu 12
Des signes effrayans, et de telle nature… 12
COP
Oui, vraiment. C'était même après une aventure 12
Dont les oisifs de cour parlaient fort dans le temps ; 12
1030 Je ne sais plus trop quoi : voilà tantôt huit ans 12
De cela ; depuis lors, quoi que la médecine 12
Ait fait pour extirper ce mal dans sa racine, 12
Le mal est resté là ; jamais la Faculté 12
Ne put avoir raison de sa ténacité. 12
1035 De tant de soins perdus, de tant de patience. 12
Il n'est rien advenu, sinon que la science 12
A détourné la source au lieu de la tarir, 12
Et calmé la douleur sans pouvoir la guérir. 12
D'ANNEBAUT
Or, depuis ce temps-là, c'est chose bien piteuse 12
1040 Vraiment, que son humeur difficile et quinteuse ; 12
Lui, si bon compagnon, si joyeux et dispos, 12
Si friand de bons coups et de galans propos ! 12
Aujourd'hui ses enfans, madame Éléonore, 12
Ses plus vieux serviteurs, moi-même qu'il honore 12
1045 D'une haute amitié dont je sens tout le prix. 12
De ses façons d'agir parfois sommes surpris ; 12
C'est qu'après tout, il n'est si joyeux caractère 12
Qui, pour souffrir ainsi, ne s'use et ne s'altère ; 12
Et puis, qu'il est cruel de n'avoir jamais su 12
Quelle maladie…
COP
1050 Oh ! pour ma part, j'ai conçu
De bizarres soupçons, — que votre seigneurie 12
M'excuse, — j'ai pensé que la galanterie 12
N'était pas sans avoir sa part dans tout ceci ; 12
Souventesfois j'ai cru voir ce doute éclairci, 12
1055 Et, n'était le respect, j'ai vingt fois eu l'envie 12
De déclarer…
D'ANNEBAUT
Plus bas ! Plus bas ! sur votre vie !
Quelle témérité ! j'en tremble encor d'effroi ; 12
Cette porte conduit à la chambre du Roi ; 12
Imprudent ! il est là, qui dort ; et c'est merveille 12
1060 Si ce discours tenu si haut ne le réveille. 12
Amenant Cop mystérieusement sur le devant la scène.
Voulez-vous qu'à mon tour je parle à cœur ouvert ? 12
J'ai pensé comme vous que j'avais découvert 12
La cause de ce mal, dont tout l'art de la terre 12
S'est épuisé sans fruit à percer le mystère : 12
1065 Une femme malade, et d'un mal trop connu, 12
Un mari qui partit, et n'est point revenu. 12
Que vous dirai-je moi ? Mainte autre circonstance 12
A ce premier soupçon fit quelque consistance ; 12
En sorte, qu'entre nous, je peux bien convenir 12
1070 Que mon doute aujourd'hui sait à quoi s'en tenir ; 12
Mais en parler jamais ! devant un roi de France 12
Commettre de sang-froid pareille irrévérence ! 12
L'outrager à ce point, et lui dire crûment : 12
« Sire… » Ah ! plutôt mourir cent fois !
COP
Certainement.
1075 Mais que s'est-il passé ? Nous avions cru naguère, 12
Depuis qu'avec l'Anglais avait cessé la guerre, 12
Que la douleur cédait, et que sa majesté 12
Avait comme entrevu quelque espoir de santé, 12
Et même ce n'était que sur cette assurance 12
Que nous avions quitté le Roi.
D'ANNEBAUT
1080 Vaine espérance !
A peine le traité conclu, sa majesté 12
Sachant aux bords du Rhin l'Empereur arrêté, 12
Fort incertaine encor quelle fin pourrait prendre 12
La guerre aux protestans qu'il venait d'entreprendre, 12
1085 Partit pour la frontière et voulut observer 12
Par ses yeux les travaux qu'on venait d'achever. 12
Elle allait, s'arrêtant à chaque forteresse, 12
Et suivait son chemin, passant par Bourg-en-Bresse, 12
Mont-Cornet, Folembraye, où lui fut célébré, 12
1090 Par messe en faux-bourdon, le jour de Saint André ; 12
De là vint à Compiègne, à Saint-Germain-en-Laie, 12
Où la fièvre reprit, et son ancienne plaie 12
Faillit se raviver : partant de Saint-Germain, 12
Le roi, faible et souffrant, prit un autre chemin ; 12
1095 Il résolut d'aller passer une journée 12
Ou deux à la Muette, à peine terminée ; 12
Traversa Villepreux, Dampierre, destinant 12
D'aller faire à Limours son carême-prenant. 12
Là, sa suite aperçut avec inquiétude 12
1100 La douleur altérant toute son habitude ; 12
Et sorti de Limours, ce fut à grand effort 12
Qu'il parvint à gagner les murs de Rochefort. 12
Le mal croissant toujours, il se mit à reprendre 12
L'autre route, et voulut incontinent se rendre 12
1105 A Saint-Germain : sur quoi, comme on lui conseillait 12
De courir, en passant, les bois de Rambouillet, 12
Il sembla goûter fort cette plaisanterie, 12
Et prit tant de plaisir en chasse et volerie 12
Qu'il voulut, malgré tout, passer la nuit ici. 12
1110 De fait, il y coucha ; mais, le matin, voici 12
Que la fièvre le prit, de telle violence 12
Que force lui fut bien de rester… Mais silence ! 12
J'entends du bruit ; le roi se lève en ce moment : 12
On va le transporter dans cet appartement. 12
Les trois portes du fond s'ouvrent ; on apporte le roi, étendu sur un lit de repos.
SCÈNE II
FRANÇOIS 1er ; GUILLAUME COP ; D'ANNEBAUT ;
HENRI, dauphin ; GUILLAUME PETIT, confesseur du Roi ;
PIERRE DUCHATEL, lecteur du Roi ; Archers.
FRANÇOIS 1er, à Cop.
1115 Ah ! foi de gentilhomme ! arrivez : de ma vie, 12
De vous voir près de moi je n'eus si grande envie, 12
Maître Cop ; j'ai besoin de tout votre latin : 12
Faites vite !
COP
Comment se trouve ce matin
Votre majesté ?
FRANÇOIS 1er.
Mais cette nuit s'est finie
1120 Assez tranquillement ; la Vierge en soit bénie ! 12
LE DAUPHIN
Mon père, puissiez-vous vous voir bientôt guéri ! 12
Fasse Dieu que dans peu l'Europe sache…
FRANÇOIS 1er.
Henri,
Je suis fort mécontent de vous : je viens d'apprendre 12
Des choses qui vraiment ont droit de me surprendre. 12
1125 Je savais que déjà, depuis six mois entiers. 12
Conspirait avec vous madame de Poitiers 12
Contre moi, votre père et roi, contre une femme 12
Que je ne souffrirai jamais que l'on diffame. 12
Comme vous avez fait tous deux : j'ai tout appris. 12
LE DAUPHIN
Sire, qui vous a pu ?…
FRANÇOIS 1er.
1130 Vous paraissez surpris.
LE DAUPHIN
Que je meure à vos yeux, que la fièvre quartaine… 12
FRANÇOIS 1er.
Ce n'est pas tout : je sais de science certaine 12
Que vous continuez d'entretenir ici 12
Un commerce secret avec Montmorenci. 12
1135 C'est, foi de gentilhomme, une rare impudence ! 12
LE DAUPHIN
Mon père, croyez bien…
FRANÇOIS 1er.
Une correspondance
Avec un ennemi de l'État ! s'être uni 12
Avec un déloyal sujet que j'ai banni ! 12
Avez-vous oublié si tôt sa perfidie, 12
1140 Et quelle trahison cet homme avait ourdie, 12
Quand l'Empereur, sachant ceux de Gand révoltés. 12
Me demanda passage…
LE DAUPHIN
On abuse…
FRANÇOIS 1er.
Écoutez !
Et n'interrompez pas. — Que si ma prudhomie. 12
Sur sa foi d'empereur, s'est si bien endormie, 12
1145 C'est grâce au connétable. Ah ! messieurs, il fallait 12
Que je fusse, pardieu ! plus fou que Triboulet. 12
GUILLAUME PETIT
Peut-être avez-vous cru des bruits peu charitables. 12
FRANÇOIS 1er.
Messieurs, je ne fus pas heureux en connétables ! 12
Bourbon, que j'ai comblé de biens, à qui je fis 12
1150 L'honneur d'offrir ma mère et de tenir un fils, ' 12
Que j'avais mis si haut et si proche du trône 12
Que son manteau ducal valait une couronne ; 12
Il plaide avec les miens, et pour comble d'horreur, 12
Le traître, il court offrir son bras à l'Empereur ! 12
1155 Au moins les saints du ciel, dans leur juste colère, 12
N'ont pas voulu laisser le crime sans salaire ; 12
Il a pu voir son nom flétri sur le Missel, 12
Par la main du bourreau son champ semé de sel. 12
Son hôtel barbouillé de jaune, et comme on prise. 12
1160 Même chez l'ennemi, la fourbe et la traîtrise. 12
GUILLAUME PETIT
Le ciel l'a rappelé ; paix aux morts !
FRANÇOIS 1er, continuant.
Et voici
Qu'un homme qui nous dit : J'ai nom Montmorenci, 12
Abandonne à son cours ma cause, et que l'Épée, 12
En s'adressant à lui, s'est encore trompée ! 12
1165 Je devais le bannir : Écouen ou Chantilly, 12
Quel que soit le retrait qui l'aura recueilli. 12
Je veux bien l'ignorer ; mais qu'un dauphin de France 12
Entretienne à ma cour sa coupable espérance ! 12
COP
Monseigneur, calmez-vous !
FRANÇOIS 1er.
Eh ! ne voyez-vous pas
1170 Que me voilà touchant aux portes du trépas ? 12
Faut-il donc jusqu'au bout que le ciel me destine 12
A voir dans ma maison la discorde intestine ? 12
Pauvre père, vraiment ! mon François, mon aîné, 12
L'héritier de mon nom, ils l'ont empoisonné ! 12
1175 Mon d'Orléans est mort ; et le seul qui demeure 12
Pour consoler son père, en attendant qu'il meure. 12
Détruisant l'avenir que je m'étais promis, 12
S'unit traîtreusement avec mes ennemis ! 12
J'ai payé rudement mon tribut à la terre ! 12
Entre un officier, tenant une lettre scelle'e d'un cachet noir.
Qu'est-ce ?
L'OFFICIER
1180 Sire, un message arrivé d'Angleterre.
FRANÇOIS 1er, lit et tombe dans une profonde rêverie.
Après quelques instans de silence, il reprend avec abattement.
Ah ! voilà mon cousin d'Angleterre parti ! 12
Je me dois, à mon tour, tenir pour averti : 12
Il était mon aîné ; ce n'eût été justice. 12
Au fait, que ce fût moi le premier qui partisse. 12
1185 — Et j'ai cette raison de plus d'être affligé. 12
Que sa fille a, dit-on, fait défense au clergé 12
De rendre les derniers honneurs à ce pauvre homme, 12
A cause qu'il est mort en disgrâce de Rome : 12
Pour moi, je n'entre pas dans tous ces démêlés ; 12
1190 Qu'on lui fasse un service à Notre-Dame. — Allez. 12
L'officier sort.
DUCHATEL
Sire, vous paraissez rêveur : si d'aventure 12
Il vous plaisait ouïr quelque docte lecture. 12
Jadis je vous lisais au repas, et le soir 12
Près de votre chevet je me venais asseoir : 12
1195 Il est dans les anciens un baume salutaire 12
Merveilleux à guérir les peines de la terre ; 12
Ces hommes étaient grands, et n'avaient de mortel 12
Que ces liens du corps…
FRANÇOIS 1er.
Mon brave Duchâtel,
Si j'étais moins souffrant, j'en aurais belle envie ; 12
1200 Car vous êtes le seul de tout ce qu'en ma vie 12
J'ai trouvé de docteurs graves et bien disans 12
Dont je n'aie épuisé la science en deux ans. 12
A Cop.
Mais où donc est Paré ? l'on m'a dit, ce me semble, 12
Que vous étiez venus ici tous deux ensemble ? 12
1205 Messieurs, c'est un garçon qui fera son chemin, 12
Qui lit à livre ouvert au fond du corps humain ; 12
Il n'est guère besoin, je crois, qu'on vous apprenne 12
Comme il fut le sauveur de monsieur de Lorraine, 12
Lorsqu'il eut, l'an dernier, reçu, près de Calais, 12
1210 Cet effroyable coup de la main d'un Anglais. 12
J'ai grand espoir en lui : si jamais sa doctrine 12
Peut arracher ce mal qui ronge ma poitrine. 12
Je fais le vœu d'aller, quand je serai guéri, 12
Comme après Marignan, à pied à Chambéry ! 12
AMBROISE PARÉ, entrant.
1215 Sire, daignez m'entendre, et que votre indulgence 12
Ne prenne en ce retard soupçon de négligence : 12
Un pèlerin est là, dans la pièce à côté. 12
Qui veut absolument voir votre majesté ; 12
il possède, a-t-il dit, la grande panacée. 12
FRANÇOIS 1er.
Je ne le verrai point.
AMBROISE PARÉ
1220 Moi, dans cette pensée.
J'ai refusé d'abord.
FRANÇOIS 1er.
C'est bien : depuis huit ans
J'ai vu, pour mon malheur, assez de charlatans. 12
AMBROISE PARÉ
Il n'a pas lâché prise : il était nécessaire. 12
Disait-il, d'appliquer de suite à votre ulcère 12
1225 Un remède nouveau que lui seul connaissait ; 12
Et, comme je doutais de ce qu'il avançait, 12
Il m'a dit, sans faillir un seul point, chaque crise 12
Où votre majesté s'était dû voir surprise, 12
Tous les signes du mal, un par un, et comment 12
1230 Vous éprouviez parfois quelque soulagement : 12
Ces choses m'ont paru dépasser le domaine 12
Que le ciel a permis à la science humaine ; 12
Je m'en réfère à vous, et vous dois confesser 12
Qu'au vrai je ne sais plus ce qu'il en faut penser. 12
GUILLAUME PETIT
1235 Pour relever l'espoir de quelque noble race, 12
Il se peut que le ciel daigne mettre sa grâce 12
En des hommes choisis parmi tous les humains, 12
Êtres simples et bons qui suivent ses chemins. 12
AMBROISE PARÉ
Il veut vous voir tout seul.
LE DAUPHIN
Recevez-le, mon père !
DUCHATEL
1240 Sire, le ciel est bon ; c'est en lui que j'espère. 12
FRANÇOIS 1er.
Vous le voulez donc tous, — je consens à le voir. 12
Sur un signe du roi tous les personnages se retirent.
SCÈNE III
FRANÇOIS 1er, PERRON, en habit de pèlerin
FRANÇOIS 1er.
Mon père, approchez-vous. Ne pourrais-je savoir 12
Qui vous êtes d'abord ?
FERRON
Moi, je suis un pauvre homme
Qui viens de faire à pied le voyage de Rome ; 12
1245 Je vis au Quirinal sa sainteté Paul trois, 12
Et j'apporte en ce coffre un morceau de la croix. 12
Tout en m'en revenant, j'ai dans les monastères 12
Saintement visité de pieux solitaires ; 12
Us m'ont dit leurs secrets ; avec eux j'ai cherché 12
1250 Le germe précieux dans les plantes caché ; 12
J'allai, j'interrogeai dans mes courses lointaines 12
Le brin d'herbe qui croît sur le bord des fontaines. 12
Et j'en ai rapporté la science, et des mots 12
Qui, prononcés trois fois, guérissent tous les maux. 12
FRANÇOIS 1er.
1255 Puissiez-vous dire vrai ! mais je doute, mon père, 12
Que sur ce mal étrange un seul remède opère ; 12
Tout ce que j'ai souffert dans ces huit ans passés 12
Vous ne le savez pas, saint homme !
FERRON
Je le sais.
FRANÇOIS 1er.
Mires, physiciens et docteurs en magie, 12
1260 Ont épuisé pour moi leur peine et leur clergie. 12
Et je souffre toujours !
FERRON
C'est qu'ils ont redouté
De vous dire, d'un mot, toute la vérité ; 12
C'est que les courtisans, race ignoble et flétrie. 12
Jusqu'au lit du mourant traînent la flatterie. 12
1265 Ce qu'ils n'ont pas osé faire, je le ferai, 12
Et ce qu'ils n'ont pas dit, moi, je vous le dirai. 12
Mais entendez ceci : pour que la douleur cède 12
Au merveilleux pouvoir de l'art que je possède, 12
Il vous faut un cœur droit, que n'ait point entaché 12
1270 De son contact impur la lèpre du péché. 12
Cherchez, examinez dans toute votre vie 12
S'il n'est pas quelque jour dont vous eussiez envie 12
De voir le souvenir s'effacer pour toujours. 12
Et qu'il fallût rayer du nombre de vos jours. 12
FRANÇOIS 1er.
1275 Qu'avez-vous dit ? je suis un grand pécheur, mon père. 12
Tout souillé de forfaits, je le sais, mais j'espère 12
En la bonté de Dieu, qui n'a point délaissé 12
Jadis le roi David, qui l'avait offensé. 12
Ses crimes étaient grands, le meurtre…
FERRON
Et l'adultère,
1280 Le pire de tous ceux qu'ait enfantés la terre ! 12
FRANÇOIS 1er, effrayé.
Mon père, vous croyez ?
FERRON
C'est pour ce crime aussi
Qu'il se couvrit de cendre et qu'il cria merci ; 12
Et si Dieu désarmé l'a repris en sa grâce, 12
C'est qu'il voulait placer le Sauveur dans sa race, 12
1285 Et gardait, pour l'espoir de l'Église et des saints, 12
Toute sa descendance à de plus grands desseins. 12
FRANÇOIS 1er.
Ce siècle de douleurs, ces huit ans de souffrance, 12
Ne peuvent-ils aussi me donner l'espérance 12
Que Dieu, quand sonnera le jour du jugement, 12
1290 Daignera me compter ce premier châtiment ? 12
S'il est vrai que souvent ma raison égarée 12
Aux pompes de Satan jadis se soit livrée, 12
N'ai-je rien fait aussi qui puisse retenir 12
Le bras de Jésus-Christ levé pour me punir ? 12
1295 Fils aîné de l'Église, ardent à sa querelle, 12
J'ai défendu sa gloire et combattu pour elle ; 12
— Que me reproche-t-on ? n'ai-je pas résisté 12
A ce torrent du schisme et de l'impiété ? 12
N'ai-je pas su, malgré des efforts sacrilèges, 12
1300 Remettre le saint-père en tous ses privilèges, 12
Et savez-vous un roi qui fût meilleur soutien 12
Du saint nom de Jésus et du monde chrétien ? 12
FERRON
Ah ! si dans ses desseins, ineffable mystère, 12
Dieu souffre que l'impie apparaisse à la terre, 12
1305 Est-ce par les tourmens, ô roi ! que vous pourrez 12
Ramener au bercail vos frères égarés ? 12
Tout le sang répandu par vos mains meurtrières. 12
Ces bûchers, ces bourreaux, Mérindol, Cabrières, 12
Tous ces morts faits par vous se lèvent pour crier 12
1310 Anathème ! et trois fois malheur au meurtrier ! 12
FRANÇOIS 1er.
Me parler de la sorte ! il me semble, mon père… 12
FERRON, avec humilité.
Ah ! votre majesté pardonnera, j'espère, 12
A ce que peut avoir de rude en ses discours 12
Un pauvre homme encor neuf au langage des cours 12
1315 Oui, vous avez raison, Sire, je dois me taire ; 12
Je m'en vais retrouver, paisible solitaire. 12
Le silence du cloître et ses austérités ; 12
Je vous laisse, et bientôt Dieu lui-même…
Il fait quelques pas pour sortir
FRANÇOIS 1er, se levant à moitié.
Restez !
Restez ! — Ah ! ce n'est pas la mort qui m'épouvante ; 12
1320 L'Espagnol me connaît de reste, et je me vante 12
Que dans toute l'Europe il n'est pas chevalier 12
Plus âpre à la besogne, et plus franc du collier. 12
Pourquoi dans les combats n'ai-je perdu la vie ? 12
Je serais si bien mort aux plaines de Pavie, 12
1325 Au bruit des instrumens de guerre et des clairons, 12
Entouré de mes preux chevaliers et barons ! 12
Mon armure eût servi de linceul militaire. 12
Et mes soldats pleurant m'auraient mis dans la terre, 12
Humide encor du sang que ma main eût versé. 12
1330 Comme ils ont fait Bayard quand il a trépassé ! 12
Mais souffrir dans un lit, mourir*d'une mort lente, 12
La poitrine rongée et l'haleine brûlante, 12
Vers le terme fatal s'approcher pas à pas, 12
C'est horrible à penser ! Ah ! ne m'enlevez pas 12
1335 Le secours de vos soins et de votre science. 12
Mon père ; voyez-moi, ce serait conscience 12
Que de m'abandonner dans l'état où je suis ; 12
Prenez pitié de moi, par grâce !
FERRON, se rasseyant.
Je poursuis.
Donc, comment avez-vous employé sur la terre 12
1340 Ce pouvoir dont le ciel vous fit dépositaire ? 12
Répondez-moi : comment avez-vous protégé 12
Le cours de la justice et les droits du clergé ? 12
Le salut de l'État risqué dans vingt batailles, 12
Le peuple tout souffrant et surchargé de tailles, 12
1345 Les offices vénaux et la toge à l'encan, 12
Les droits mis en oubli du clergé gallican, 12
Le concordat subi, l'étroite politique 12
Au pontife romain livrant la pragmatique ; 12
Est-ce avec tout cela, dites, que vous pensez 12
1350 Obtenir le pardon de vos crimes passés, 12
La luxure, le rapt, les filles débauchées, 12
Aux bras de leurs époux les femmes arrachées. 12
Dans le péché mortel votre cœur endurci ?… 12
FRANÇOIS 1er, abattu.
Quel homme êtes vous-donc, qui me parlez ainsi ? 12
1355 Ah ! qui que vous soyez, bon ou mauvais génie, 12
Mystérieux témoin de ma lente agonie, 12
Votre bouche a des sons qui me glacent d'effroi ; 12
Devant un pèlerin je tremble, moi le roi. 12
— J'ai péché, j'ai péché ! J'entends du fond de l'âme 12
1360 Une voix qui me dit que Satan me réclame ; 12
Mais n'est-il donc plus rien qui puisse me tirer 12
Des feux du Cocytus prêt à me dévorer ? 12
Ah ! que si j'en reviens jamais, je fais promesse 12
De bâtir une église et fonder une messe, 12
1365 Et de ressusciter une ligue de rois 12
Qui porte chez le Turc l'étendard de la croix ; 12
Mais au moins que, pour prix de toute une existence 12
Usée au sein des pleurs et de la pénitence, 12
Dieu le Père, venant l'heure de mon trépas, 12
1370 De moi, pauvre pécheur, ne se détourne pas ! 12
Ah ! c'est à vos genoux, étrange solitaire, 12
Que je veux faire amende honorable à la terre, 12
Et demander pardon de mes forfaits passés 12
A mes frères en Dieu que j'aurais offensés ; 12
Oh ! dites-moi qu'alors…
FERRON
1375 A genoux, roi de France !
François 1er s'agenouille.
A mes pieds ! A mes pieds !
FRANÇOIS 1er.
Donnez-moi l'espérance
Qu'ils me pardonneront tous.
FERRON, d'un air sombre.
Je ne l'ai pas dit.
FRANÇOIS 1er.
Au moins, bénissez-moi, mon père !
FERRON, se dressant, et rejetant sa robe de pèlerin.
Sois maudit !
FRANÇOIS 1er.
Malheur à moi ! Quel mot fatal viens-je d'entendre ? 12
Vieillard ! oh, dites moi…
FERRON
1380 Je me suis fait attendre
Bien long-temps ; — que veux-tu ! — mais enfin me voici ! 12
FRANÇOIS 1er.
Ces traits…
FERRON
Ton œil est-il à ce point obscurci
Qu'il mette si long-temps à reconnaître un homme ? 12
Ça, regarde moi bien ! Faut-il que je me nomme ? 12
Je suis Ferron.
FRANÇOIS 1er.
Ferron !
FERRON
1385 Tu m'avais outragé,
Je voulais me venger, — et je me suis vengé. 12
FRANÇOIS 1er.
Que voulez-vous de moi ?
FERRON
Je voulais, roi de France,
Te faire enfin payer tant de jours de souffrance ; 12
Faire à ton lit de mort retentir cette voix, 12
1390 Et te voir, moribond, à mes pieds ; — je te vois ! 12
— Tu peux te relever à présent.
FRANÇOIS 1er.
Quel prodige !
Quel piège du démon… ?
FERRON
Relève-toi, te dis-je,
Dès que je le permets !
François 1er se relève péniblement.
Écoute ; les enfers
N'ont pas de maux pareils à ceux que j'ai soufferts ; 12
1395 Mes traits, nouveaux pour toi, paraissaient te surprendre : 12
Ah ! la chose n'est pas malaisée à comprendre ; 12
La douleur, — vois-tu bien, — n'est pas longue à vieillir 12
Son homme, et quand le cœur s'est pris à défaillir, 12
Qu'il n'y reste plus rien, hélas ! il est d'usage 12
1400 Que les rides de l'âme aillent vile au visage. 12
— Tu m'as déshonoré. Tu dois te souvenir 12
Comme j'ai tout appris : j'ai voulu te punir. 12
Il me vint dans l'idée, à moi, que ta complice 12
Elle-même servît d'instrument au supplice. 12
1405 Alors je suis allé dans le lieu que j'ai pu 12
Trouver le plus infect et le plus corrompu. 12
Entends-tu bien cela ? — Là j'ai risqué ma vie. 12
Grâce à l'enfer, ma haine à souhait fut servie. 12
Or ce mal dont tes gens ne t'ont pas dit le nom, 12
Est-il encor besoin que je le dise ?
FRANÇOIS 1er.
1410 Non !
Pour Dieu, n'achevez pas ! Que pouvez-vous prétendre 12
A présent ?
FERRON
Je n'ai pas tout dit. Il faut m'entendre.
Sais-tu qu'après cela, ma femme, que j'aimais, 12
Voulait à ton amour renoncer à jamais, 12
1415 Et qu'il me fallut, moi, comprends-tu la torture ? 12
Pousser jusqu'en ton lit la pauvre créature ! 12
— Elle est morte ; — c'est bien ; — moi, je me suis guéri. 12
Mais de corps seulement, car le cœur est flétri ! 12
Misérable et souffrant, et las de l'existence. 12
1420 J'ai blanchi dans le jeûne et dans la pénitence ; 12
Hélas ! je crus gagner à changer de tourment, 12
Et que c'est souffrir moins que souffrir autrement. 12
J'ai fui ; mais la douleur, effroyable compagne, 12
Parcourut avec moi l'Italie et l'Espagne. 12
1425 Quoiqu'elle m'ait fait chauve et caduc en huit ans, 12
J'ai su que tu mourais, j'accours ! — Il était temps ! 12
— Je repars ; mais entends mes adieux : Anathème ! 12
Puisse Dieu sur ton front sécher l'eau du baptême ! 12
Anathème sois-tu, roi de France, et les tiens 12
1430 Anathèmes soient-ils entre tous les chrétiens ! 12
FRANÇOIS 1er, faisant un dernier effort.
A moi !
SCÈNE IV
FRANÇOIS 1er, PERRON, COP, PETIT, DUCHATEL,
D'ANNEBAUT, à la tête des Archers du Roi
FRANÇOIS 1er.
Livrez cet homme aux plus rudes tortures !
Emparez-vous de lui !
FERRON, tirant sa relique de son sein, et la montrant aux soldats.
Chétives créatures,
Approchez ! N'aurez-vous vergogne ni remord 12
De profaner ce bois où le Sauveur est mort ? 12
1435 Savez-vous qu'un pouvoir, qui n'est pas de la terre. 12
Imprima sur mon front un sacré caractère ? 12
Voulez-vous l'éprouver ? Savez-vous que je puis 12
Changer, d'une parole, en sang l'eau de vos puits. 12
Corrompre vos moissons, faire tomber sur elles 12
1440 Toute une vaste mer d'impures sauterelles. 12
Et que sur tous vos champs, d'un mot j'aurai jeté 12
Neuf ans de sécheresse et de stérilité. 12
Tous les personnages restent glace's d'effroi.
FRANÇOIS 1er, troublé lui-même.
Et quoi ! vous hésitez ! Quelle terreur panique ?… 12
D'ANNEBAUT
Ah ! Sire, il est armé de pouvoir satanique ! 12
FRANÇOIS 1er, d'une voix éteinte.
1445 Cet homme m'a tué. — Qu'on mande le dauphin ; 12
Allez vite ! je sens que je me meurs !
FERRON
Enfin !
Il se retire en passant au milieu des archers, qui ouvrent leurs rangs devant lui.
SCÈNE V et dernière
Les mêmes, excepté Perron ; LE DAUPHIN ; Hérauts d'armes.
LE DAUPHIN se précipitant au pied du lit du Roi.
Mon père, qu'avez-vous ? répondez-moi, mon père !… 12
AMBROISE PARÉ
La fièvre l'a repris.
COP
Mais cependant j'espère
Qu'on pourra le sauver : l'art humain…
FRANÇOIS 1er, d'une voix éteinte.
Non ; je sens
1450 Que les secours de l'homme ici sont impuissans ! 12
Vos soins n'y pourraient rien. — Le médecin de l'âme 12
Est le seul désormais que mon état réclame ! 12
GUILLAUME PETIT
Qu'exigez-vous ?
FRANÇOIS 1er de même
Soldat de la croix, qu'en partant
J'emporte sur mon front le sceau du combattant, 12
1455 Le ciel m'ayant laissé dans sa toute-puissance 12
Mon entière raison et pleine connaissance. 12
Moi, je ne voudrais pas que la mort me surprît 12
Avant d'avoir reçu le corps de Jésus-Christ. 12
On apporte le viatique ; tous les personnages s'agenouillent,
Guillaume Petit, assisté de Pierre Duchâtel, administre le
sacrement de l'extrême-onction au Roi, qui le reçoit avec
tous les signes de la plus ardente piété, et baise plusieurs
fois la croix avec ferveur.
GUILLAUME PETIT, debout, élevant la croix.
Mon fils, car vous allez bientôt voir face à face 12
1460 Celui devant lequel toute grandeur s'efface, 12
Et qui ne prend souci dans son éternité 12
De ces rangs qu'inventa l'humaine vanité ; 12
Par le pouvoir de Dieu sur toutes créatures, 12
Par le Verbe incarné, par les saintes tortures 12
1465 De ce Christ qui voulut, pour racheter nos droits, 12
Revêtir cette chair, et mourir en la croix, 12
Je vous absous !
TOUS
Amen !
FRANÇOIS 1er.
Votre voix consolante
A fait mon sein plus libre et ma fièvre plus lente. 12
— Puis donc que Dieu me fait cette grâce, et qu'il rend 12
1470 Quelque lueur de vie à votre Roi mourant. 12
Écoutez donc ! Et vous que la loi de naissance 12
Appelle à recueillir ce faix de ma puissance, 12
Henri, car vous m'avez toujours été bon fils 12
Dans le fond, jurez-moi sur le saint crucifix, 12
1475 L'heure étant arrivée où Dieu veut que je meure, 12
De m'obéir encore à cette suprême heure, 12
D'avoir la crainte en Dieu, de fuir tous manquemens. 12
Par-dessus toute chose, à ses commandemens. 12
D'être ferme en sa voie, et d'avoir en l'idée 12
1480 Son Église pour sainte, et bien recommandée. 12
Soyez père, en ma place, à tous ceux qu'en naissant 12
La loi du ciel a faits vos proches par le sang : 12
Je remets à vos soins Madame Marguerite ; 12
Elle me fut toujours bonne et tendre, et mérite 12
1485 De retrouver en vous l'amitié de celui 12
Que le Dieu tout-puissant va rappeler à lui. 12
LE DAUPHIN
Je le jure à vos pieds, mon père.
FRANÇOIS 1er.
Je vous laisse
Tous mes vieux serviteurs et ma bonne noblesse ; 12
Songez d'être pour eux juste en toute saison ; 12
1490 Car ils sont, à vrai dire, enfans de la maison. 12
Ne vous assurez trop en messieurs de Lorraine 12
Toutefois ; un besoin de pouvoir les entraîne : 12
Si vous n'y pourvoyez, je prévois qu'ils iront 12
A vouloir essayer la couronne à leur front ; 12
1495 Et puis, si vous m'aimez d'amitié véritable, 12
Mon fils, ne rappelez jamais ce connétable 12
Qui m'a fait plus de mal en un jour qu'en vingt ans 12
Charles, Sforce, Luther et tous les protestans ! 12
— je vous laisse le soin de mes peuples ; j'espère 12
1500 Que vous remplacerez auprès d'eux votre père : 12
Mon fils, ayez souci d'assurer leur repos. 12
D'alléger, s'il se peut, la charge des impôts ; 12
Ce pauvre peuple, il souffre, et ne pourrait plus guère 12
Porter encor le poids d'une nouvelle guerre ; 12
1505 Soyez-lui doux et bon ; et si j'ai renversé 12
L'ouvrage que les rois mes aïeux m'ont laissé, 12
Qu'une volonté ferme, et sage politique, 12
Restitue au clergé sa vieille pragmatique : 12
Voilà pour le dedans, — Au dehors, l'empereur 12
1510 Combat les adhérens du schisme et de l'erreur ; 12
Ne croyez point en lui : vingt fois ma confiance 12
A fait de ce cœur faux la rude expérience. 12
Du reste, croyez-moi, tenez pour entendu 12
Que Milan pour la France est désormais perdu : 12
1515 Moi, j'ai trop compromis la fortune publique 12
A poursuivre sans fruit cette perle italique. 12
Du côté de l'Anglais, on peut avec honneur 12
Conclure une alliance avec le roi mineur. 12
En somme, je dépose entre vos mains la France 12
1520 Toute pleine de vie et de bonne espérance ; 12
Songez à ne tenter que sur ses ennemis 12
L'usage du pouvoir que je vous ai remis. 12
A, tous.
A présent, écoutez ! — S'il est vrai que ma vie 12
D'un scandale éclatant trop souvent fut suivie, 12
1525 Si je fus grand pécheur, et si l'humanité 12
A gémi de l'excès de ma sévérité, 12
Je supplie humblement à cette heure dernière 12
Ceux que j'ai pu blesser d'une ou d'autre manière. 12
De m'octroyer pardon du mal que j'ai commis, 12
1530 Comme moi je pardonne à tous mes ennemis. 12
— Mais mon œil s'obscurcit… la fièvre ne me laisse. 12
LE DAUPHIN, prenant une de ses mains.
Mon père ! parlez-moi.
D'ANNEBAUT
Sire…
AMBROISE PARÉ
tombe en faiblesse.
FRANÇOIS 1er, d'une voix mourante.
Mon fils, êtes-vous là ?… je ne veux pas finir 12
Mon voyage en la vie, Henri, sans vous bénir. 12
Il étend ses mains sur le Dauphin, et retombe sur son lit.
1535 Je ne distingue plus… et ma vue affaiblie… 12
Je puis entendre… Allez quérir… une homélie… 12
Jésus !… j'ai dit : Jésus !
Il meurt.
D'ANNEBAUT
Qu'on sonne le beffroi.
LE HÉRAUT D' ARMES, prenant le Dauphin parla main.
Le roi François premier est mort. — Vive le roi ! 12
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