Métrique en Ligne
APO_2/APO66
Guillaume APOLLINAIRE
ALCOOLS
1913
LE BRASIER
Je flambe dans le brasier à l'ardeur adorable
Et les mains des croyants m'y rejettent multiple innombrablement
Les membres des intercis flambent auprès de moi
Éloignez du brasier les ossements
5 Je suffis pour l'éternité à entretenir le feu de mes délices
Et des oiseaux protègent de leurs ailes ma face et le soleil
Ô Mémoire Combien de races qui forlignent
Des Tyndarides aux vipères ardentes de mon bonheur
Et les serpents ne sont-ils que les cous des cygnes
10 Qui étaient immortels et n'étaient pas chanteurs
Voici ma vie renouvelée
De grands vaisseaux passent et repassent
Je trempe une fois encore mes mains dans l'Océan
Voici le paquebot et ma vie renouvelée
15 Ses flammes sont immenses
Il n'y a plus rien de commun entre moi
Et ceux qui craignent les brûlures
Descendant des hauteurs où pense la lumière
Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles
20 L'avenir masqué flambe en traversant les cieux
Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie
J'ose à peine regarder la divine mascarade
Quand bleuira sur l'horizon la Désirade
Au-delà de notre atmosphère s'élève un théâtre
25 Que construisit le ver Zamir sans instrument
Puis le soleil revint ensoleiller les places
D'une ville marine apparue contremont
Sur les toits se reposaient les colombes basses
Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie
30 A petits pas Il orra le chant du pâtre toute la vie
Là-haut le théâtre est bâti avec le feu solide
Comme les astres dont se nourrit le vide
Et voici le spectacle
Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil
35 Ma tête mes genoux mes coudes vain pentacle
Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles
Des acteurs inhumains claires bêtes nouvelles
Donnent des ordres aux hommes apprivoisés
Terre
40 Ô Déchirée que les fleuves ont reprisée
J'aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries
Vouloir savoir pour qu'enfin on m'y dévorât
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