Métrique en Ligne
APO_2/APO37
Guillaume APOLLINAIRE
ALCOOLS
1913
LA CHANSON DU MAL-AIMÉ
Les sept épées
La première est toute d'argent 8
Et son nom tremblant c'est Pâline 8
Sa lame un ciel d'hiver neigeant 8
Son destin sanglant gibeline 8
5 Vulcain mourut en la forgeant 8
La seconde nommée Noubosse 8
Est un bel arc-en-ciel joyeux 8
Les dieux s'en servent à leurs noces 8
Elle a tué trente Bé-Rieux 8
10 Et fut douée par Carabosse 8
La troisième bleu féminin 8
N'en est pas moins un chibriape 8
Appelé Lul de Faltenin 8
Et que porte sur une nappe 8
15 L'Hermès Ernest devenu nain 8
La quatrième Malourène 8
Est un fleuve vert et doré 8
C'est le soir quand les riveraines 8
Y baignent leurs corps adorés 8
20 Et des chants de rameurs s'y trainent 8
La cinquième Sainte-Fabeau 8
C'est la plus belle des quenouilles 8
C'est un cyprès sur un tombeau 8
Où les quatre vents s'agenouillent 8
25 Et chaque nuit c'est un flambeau 8
La Sixième métal de gloire 8
C'est l'ami aux si douces mains 8
Dont chaque matin nous sépare 8
Adieu voilà votre chemin 8
30 Les coqs s'épuisaient en fanfares 8
Et la septième s'exténue 8
Une femme une rose morte 8
Merci que le dernier venu 8
Sur mon amour ferme la porte 8
35 Je ne vous ai jamais connue 8
Voie lactée ô sœur lumineuse 8
Des blancs ruisseaux de Chanaan 8
Et des corps blancs des amoureuses 8
Nageurs morts suivrons-nous d'ahan 8
40 Ton cours vers d'autres nébuleuses 8
Les démons du hasard selon 8
Le chant du firmament nous mènent 8
A sons perdus leurs violons 8
Font danser notre race humaine 8
45 Sur la descente à reculons 8
Destins destins impénétrables 8
Rois secoués par la folie 8
Et ces grelottantes étoiles 8
De fausses femmes dans vos lits 8
50 Aux déserts que l'histoire accable 8
Luitpold le vieux prince régent 8
Tuteur de deux royautés folles 8
Sanglote-t-il en y songeant 8
Quand vacillent les lucioles 8
55 Mouches dorées de la Saint-Jean 8
Près d'un château sans châtelaine 8
La barque aux barcarols chantants 8
Sur un lac blanc et sous l'haleine 8
Des vents qui tremblent au printemps 8
60 Voguait cygne mourant sirène 8
Un jour le roi dans l'eau d'argent 8
Se noya puis la bouche ouverte 8
Il s'en revint en surnageant 8
Sur la rive dormir inerte 8
65 Face tournée au ciel changeant 8
Juin ton soleil ardente lyre 8
Brûle mes doigts endoloris 8
Triste et mélodieux délire 8
J'erre à travers mon beau Paris 8
70 Sans avoir le cœur d'y mourir 8
Les dimanches s'y éternisent 8
Et les orgues de Barbarie 8
Y sanglotent dans les cours grises 8
Les fleurs aux balcons de Paris 8
75 Penchent comme la tour de Pise 8
Soirs de Paris ivres du gin 8
Flambant de l'électricité 8
Les tramways feux verts sur l'échine 8
Musiquent au long des portées 8
80 De rails leur folie de machines 8
Les cafés gonflés de fumée 8
Crient tout l'amour de leurs tziganes 8
De tous leurs siphons enrhumés 8
De leurs garçons vêtus d'un pagne 8
85 Vers toi toi que j'ai tant aimée 8
Moi qui sais des lais pour les reines 8
Les complaintes de mes années 8
Des hymnes d'esclave aux murènes 8
La romance du mal aimé 8
90 Et des chansons pour les sirènes 8
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