Métrique en Ligne
ANO_3/ANO81
(auteur anonyme)
Le petit-neveu de Grécourt
ou
Étrennes gaillardes
1883
LE FAGOT
CONTE
Deux nouveaux mariés font le sujet du conte. 12
Tous deux, jeunes, s'aimoient tous deux ; 8
Mais un débat s'émut entre eux. 8
Il étoit vif, elle étoit prompte. 8
5 Un semblable débat fut autrefois, dit-on, 12
Entre Jupiter et Junon : 8
Mais Junon de dépit saisie 8
Ne tarda guère à se venger 8
Du jugement de Tirésie. 8
10 Une femme, pour bien juger, 8
Veut qu'on juge à sa fantaisie. 8
Nos deux jeunes époux étoient donc courroucés, 12
De quoi ? D'être trop peu la nuit en paix laissés, 12
De dormir trop peu l'un et l'autre : 8
15 « Est-ce ma faute ? ‒ C'est la vôtre. 8
» ‒ N'est-ce pas vous qui me pincez ? 8
» ‒ N'est-ce pas vous qui m'agacez ? » 8
Telle étoit chaque jour leur plainte mutuelle ; 12
Mais ils n'avoient qu'un lit, ce n'étoit pas assez 12
20 Pour mettre fin à leur querelle. 8
‒ « Eh bien ! pour vous montrer, » dit-elle, 8
» Que je ne veux vous dire mot, 8
» Mettons entre nous un fagot. » 8
Là-dessus la nuit vient, sème le ciel d'étoiles, 12
25 Et couvre l'univers de ses plus sombres voiles ; 12
Tout invite au sommeil, et le fagot se met 12
Pour garant du repos que chacun se promet. 12
Le couple conjugal dormit comme une souche. 12
Mais quand de tous ses sens l'usage suspendu 12
30 Après un long sommeil lui fut enfin rendu, 12
L'épouse, vers l'époux nonchalamment tournée, 12
Lui dit : « Au moins vous ne vous plaindrez pas 10
» Que de votre repos je ne fais point de cas. 12
» ‒ Et moi, » répond l'époux, « vous ai-je importunée ? » 12
35 A la seconde nuit, c'est à recommencer. 12
Le fagot revient se placer. 8
« Bonsoir, mon coeur. ‒ Bonsoir, m'amie. » 8
Au milieu de la nuit pourtant 8
L'épouse assez mal endormie, 8
40 Se tourne et se retourne tant, 8
Que le fagot la pique, et qu'elle se récrie : 12
« Peste soit du fagot, et de qui l'a planté ! » 12
L'époux, que le fagot n'avoit pas bien traité, 12
‒ « Qu'avez-vous, » dit-il, « je vous prie, 8
45 » A tant pousser de mon côté ? 8
» Le fagot, grâce à vous, m'a fort mal ajusté. 12
» ‒ Mon Dieu ! » cria l'épouse, alors toute attendrie, 12
« Que je voie… » et pour voir le fagot fut ôté. 12
Mais elle ne vit rien qu'une certaine épine… 12
50 Lors prenant et serrant son époux dans ses bras : 12
‒ « Mon ami, » lui dit la coquine, 8
« Pour te venger, au lieu de me faire la mine, 12
» Pique-moi tant que tu pourras ! » 8
logo du CRISCO logo de l'université