Métrique en Ligne
ANO_3/ANO72
(auteur anonyme)
Le petit-neveu de Grécourt
ou
Étrennes gaillardes
1883
LES SOULIERS
CONTE
De tous ses amoureux, Babet, dans son printemps, 12
Exigeoit, pour le prix de ses faveurs secrètes, 12
Deux paires de souliers : aujourd'hui les grisettes 12
Rougiroient d'accepter de si minces présents. 12
5 Babet s'en contentoit, souliers alloient pleuvants. 12
L'or, quand on est jolie, est fugace, il va vite : 12
On le gagne aisément, on le ménage peu ; 12
Babet l'avoit senti ; souliers restoient au gîte, 12
Ils devenoient ressource. On conçoit qu'à ce jeu 12
10 Fallut bientôt à la commère, 8
Pour loger les souliers, une maison entière. 12
Le cuir haussa de prix : le Prince le taxa, 12
Mainte bourse s'emplit, maint fermier s'engraissa ; 12
Tel est chez nous le train des choses, 8
15 Toujours les grands effets ont de petites causes. 12
Babet vieillit, le cuir baissa ; 8
Adieu vous dit joli visage, 8
Taille fine, élégant corsage, 8
Enfin adieu tous ses appas ! 8
20 L'âge a beau nous rider, il ne nous change pas. 12
On se travaille en vain, le goût reste le même. 12
Celui de Babet pour l'amour, 8
Bien loin de s'affoiblir, avoit crû chaque jour. 12
Que faire en ce besoin extrême ? 8
25 Le temps de but à but étoit plus que passé, 12
Il fallut des souliers implorer l'assistance : 12
Grâce à sa sage prévoyance, 8
L'Amant venu nus pieds, s'en retournait chaussé ; 12
Elle habilla par bas les deux tiers de Florence. 12
30 Sur quoi certain voisin, d'elle un jour s'enquérant 12
De ce tas de souliers qu'elle alloit répandant, 12
Babet que le métier n'avait point rendu fausse, 12
Lui dit : ‒ « Mon cher ami, l'hiver vit de l'été. 12
» Je rends à mes Amants ce qu'ils m'avoient prêté : 12
35 » Je les déchaussois, je les chausse. » 8
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