Métrique en Ligne
ANO_3/ANO57
(auteur anonyme)
Le petit-neveu de Grécourt
ou
Étrennes gaillardes
1883
L'AVOCAT POUSSÉ A BOUT
Un Avocat fut consulté 8
Par un Tendron d'aimable mine, 8
Qu'un Gars avoit trop insulté. 8
L'homme de Loi, qui l'examine, 8
5 Trouve, sous sa simple étamine, 8
Deux grands yeux pleins de volupté ; 8
Certain air de naïveté 8
Peint sur sa figure enfantine ; 8
Un sein par l'Amour agité, 8
10 Qui se soulève, se mutine, 8
Et semble en sa captivité 8
Appeler une main lutine, 8
Qui lui rende la liberté. 8
Notre Avocat est transporté : 8
15 Il lorgne une taille divine, 8
Des pieds mignons et délicats ; 8
Et ce qu'il voit de tant d'appas 8
Ne vaut pas ce qu'il en devine. 8
Avec ces titres de faveur, 8
20 On peut compter sur la ferveur 8
Du Légiste le plus austère. 8
Le nôtre, expert dans tous les droits, 8
Avoit, dit-on, plus d'une fois 8
Pris ses licences à Cythère. 8
25 Enfin, près de la belle assis, 8
Il veut, sans détour, sans mystère, 8
De son cas savoir le précis. 8
‒ « Las ! » dit la belle désolée, 8
» Je vais rappeler mon esprit, 8
30 » Et vous conter comment s'y prit 8
» Le fripon qui m'a violée. 8
» Il avoit un air tendre et doux, 8
» La taille la mieux découplée, 8
» Et le regard… tout comme vous. » 8
35 Notre grave Jurisconsulte, 8
Flatté d'avoir les mêmes traits, 8
En ressent une joie occulte ; 8
Et, rajeuni par tant d'attraits, 8
S'approche encore un peu plus près 8
40 De la beauté qui le consulte. 8
‒ « Poursuivez ce récit, » dit-il, 8
« Car votre affaire m'intéresse. 8
» ‒ Ah ! Monsieur, qu'il étoit subtil ! 8
» Que l'Amour inspire d'adresse ! 8
45 » Ses yeux sur mes foibles attraits 8
» Se promenoient avec ivresse. » 8
L'Avocat, qu'un même feu presse, 8
N'a pas des regards plus discrets. 8
« Ce n'est pas tout : sa main hardie 8
50 » Saisit la mienne au même instant. » 8
Vous sentez, sans que je le die, 8
Que l'Avocat en fait autant. 8
« Ce n'est pas tout : sa perfidie 8
» Méditoit un autre dessein ; 8
55 » Et toujours plus audacieuse, 8
» Bientôt sa main licencieuse 8
» Fourrage les lis de mon sein. » 8
Notre Avocat, sur ce modèle, 8
Glissant une furtive main 8
60 A travers la gaze infidèle, 8
Enfile le même chemin. 8
« Ce n'est pas tout : d'un air farouche, 8
» A ses feux je veux m'opposer ; 8
» Déterminée à tout oser, 8
65 » Sa bouche se colle à ma bouche. » 8
L'Avocat, que l'exemple touche, 8
Ravit un semblable baiser… 8
Ravit ! je faux, on le lui donne ; 8
On feint de n'y pas consentir : 8
70 Mais c'est pour mieux faire sentir 8
Le prix de ce qu'on abandonne. 8
Femmes, osez me démentir ! 8
Celle qui jamais ne pardonne, 8
Est trop sujette au repentir. 8
75 « Ce n'est pas tout : son feu redouble, 8
» Il me transporte malgré moi ; 8
» Les genoux tremblants, et l'oeil trouble… 8
» Je ne sais plus ce que je voi. » 8
L'Avocat, non moins troublé qu'elle. 8
80 Répète une leçon si belle ; 8
Tous deux bientôt perdent la voix ; 8
Tous deux se plongent à la fois 8
Dans une extase mutuelle. 8
Notre Avocat crut jusqu'au bout 8
85 Avoir imité son modèle. 8
‒ « Ce n'est pas tout, » dit la Donzelle. 8
« ‒ Comment, diable ! ce n'est pas tout ! 8
» Qu'avoit-il de plus à vous faire ? 8
» Vous m'étonnez ! dites, ma chère, 8
90 » Comment la chose se passa ? 8
» ‒ Eh ! mais voici tout le mystère, 8
» Monsieur, c'est qu'il recommença. » 8
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