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corpus Pamela Puntel
Albert ANGOT
NOS RUINES
1871
PARIS
I
Paris est un cratère immense, 8
Un volcan sans cesse grondant 8
D’où trop souvent sort en démence 8
Une lave au feu dévorant. 8
5 Rien ne fait pressentir l’orage : 8
Le ciel est calme et sans nuage, 8
Le soleil brille radieux. 8
Tout-à-coup un long jet de flammes 8
De terreur vient glacer les âmes ; 8
10 L’horizon se couvre de feux. 8
Adieu, trônes et républiques, 8
Tribunes, faisceaux des licteurs, 8
Étendards, chartes monarchiques ! 8
Car le volcan entre en fureurs. 8
15 Comme une grande chevelure 8
Sur son épaule et sa ceinture, 8
Sa lave en flots épais descend ; 8
Elle descend inexorable 8
Comme le destin implacable 8
20 Sur le pays tout frémissant. 8
La Province en émoi s’étonne 8
Au spectacle de ce courroux, 8
Et devant le monstre qui tonne 8
Elle se prosterne à genoux. 8
25 En tous lieux le volcan est maître. 8
Sa lave, loin de disparaître 8
Au sol s’attache fermement, 8
Jusqu’à ce jour où la tempête 8
En éclats foudroyés la jette 8
30 Aux rudes tourbillons du vent. 8
II
Jusques à quand, pauvre Patrie, 8
Paris, ce monstre, ce volcan, 8
Des flots de sa lave en furie 8
Couvrira-t-il ton sein puissant ? 8
35 Ses troubles renaissants sans cesse 8
Devraient indigner ta sagesse, 8
Te dire quel est ton devoir. 8
Non, Paris seul n’est pas la France, 8
Son peuple a trop de turbulence. 8
40 Viens lui disputer le pouvoir. 8
Vois sa populace en délire 8
Dérober fusils et canons 8
Pour fonder à jamais l’empire 8
De ses fatales passions. 8
45 Vois se dresser les barricades 8
Au sombre bruit des fusillades 8
Qui massacrent les innocents. 8
Vois la fange de notre armée 8
Par les émeutiers acclamée 8
50 Agiter ses drapeaux sanglants ! 8
C’est trop de sang ! c’est trop de crimes ! 8
Les braves Lecomte et Thomas, 8
Assassinés, pauvres victimes, 8
Mon Dieu, ne suffisent-il pas ? 8
55 Non, non, Paris veut d’autres têtes ; 8
Il lui faut de sanglantes fêtes 8
Qu’il prépare de longue main ! 8
Non, non ! il lui faut des batailles 8
Avec les braves de Versailles 8
60 Dont le sang coulera demain. 8
L’émeute veut (ce soin l’obsède) 8
Avec l’aide « des Travailleurs » 8
Dépouiller celui qui possède 8
Du fruit de ses rudes labeurs. 8
65 Voilà quelle est sa république, 8
Quels sont ses vœux, son but unique 8
Et quelle est son ambition ! 8
La nation épouvantée 8
Ne gémira pas garrottée 8
70 Dans les fers de ces gens sans nom. 8
En dépit d’eux, la République 8
Tient le drapeau de l’Avenir, 8
Et tout ce fracas anarchique 8
A son aspect saura finir. 8
75 Quoi ! ce qui valut tant de peine, 8
Ce labeur de la race humaine, 8
Ce que Quatre-Vingt-Neuf a fait, 8
Sous leurs mains à jamais damnées 8
Ce grand œuvre de tant d’années, 8
80 O Liberté, s’écroulerait ! 8
C’est donc pour eux que nos batailles, 8
Partout, du Levant au Couchant, 8
Ont écrit de leurs funérailles 8
L’Histoire, avec un trait sanglant ! 8
85 C’est pour ces tyrans domestiques, 8
Que nos pères, guerriers épiques, 8
Ont vaincu Russes et Germains, 8
Que des villes sont désolées, 8
Que le sol de tant de vallées 8
90 Est encore blanc d’os humains ! 8
Paris est le jouet d’un rêve ; 8
Ah ! que n’a-t-il des yeux pour voir, 8
Depuis que son pouvoir s’élève 8
Combien notre horizon est noir ! 8
95 Son émeute n’est que folie. 8
La coupe est déjà trop remplie, 8
Demain elle débordera. 8
Déjà gronde notre colère ; 8
Que l’émeute rentre sous terre, 8
100 Ou bien la France périra. 8
C’est l’instant, où notre bannière 8
Se courbe devant l’ennemi, 8
Que l’hydre sort de sa tanière 8
Pour voir son triomphe affermi. 8
105 Autrefois le peuple à la guerre 8
De son pied ébranlait la terre 8
Et rugissait comme un lion ; 8
Maintenant sa seule pensée, 8
Son seul but est de voir brisée 8
110 L’unité de la nation. 8
III
A nous d’élever des barrières, 8
Des digues au flot frémissant. 8
Contre ses subites colères 8
Élevons un rempart puissant. 8
115 Il faut fonder la République, 8
Et par un effort énergique 8
Unir l’ordre et la liberté. 8
Ainsi la malheureuse France 8
Pourra retrouver sa puissance 8
120 Contre le Prussien détesté. 8
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