Métrique en Ligne
ANG_1/ANG3
corpus Pamela Puntel
Albert ANGOT
NOS RUINES
1871
LE SOLDAT MOURANT
Ma blessure est mortelle… Oh ! je respire à peine ; 12
Je sens la vie en moi s’enfuir à chaque haleine, 12
Mon sang ruisselle à flots ; bientôt il va tarir. 12
En sons entrecoupés le bronze des batailles 12
5 M’annonce à chaque instant l’heure des funérailles : 12
Pitié, mon Dieu, je vais mourir. 8
Mourons, puisque ma mort a servi la Patrie, 12
Mourons… ! — Si quelque jour la voit tomber flétrie, 12
Au milieu du combat, il vaut bien mieux périr. 12
10 Le soldat qui succombe au trépas faisant face 12
Est, dit-on, un héros qui doit avoir sa place 12
Près du plus glorieux martyr. 8
« En avant… ! » j’ai toujours redit ce mot suprême ; 12
« En avant… ! » je criais encore au moment même, 12
15 Où cette balle au sein, ici, m’a renversé ; 12
Mais chaque camarade en chargeant avec rage 12
Poussait aussi ce cri qui donne du courage, 12
Et tombait, ou mort, ou blessé. 8
Ah ! que font les amis, pendant qu’ici j’expire ? 12
20 Comme eux, malgré mes maux ardemment je désire 12
Contempler le drapeau fixé sur ces hauteurs. 12
D’ici je ne vois rien, rien qu’horreur et carnage, 12
Mais plus loin les canons poursuivent leur ouvrage : 12
Oh ! les Français sont-ils vainqueurs ! 8
25 Cruelle incertitude… ! Aurons-nous la victoire ? 12
Oui, je veux bien mourir, mais mourir dans la gloire, 12
Les larmes dans les yeux, mais l’orgueil dans le cœur. 12
Je veux que le Français vienne creuser ma tombe, 12
Et dise en soupirant : « — Encore un qui succombe, 12
30 « Encore un qui nous fait honneur ! — » 8
Oh ! je ne saurai point le succès de la France ; 12
Mon sang qui coule à flots m’enlève l’espérance 12
De voir l’ennemi fuir, à la fin du combat. 12
La mort veut me ravir cette suprême joie ; 12
35 Elle fond sur mon cœur, comme un oiseau de proie 12
Sur une colombe s’abat. 8
Oh ! j’étouffe… ! Mon Dieu, le tombeau m’épouvante. 12
Je regrette la terre où je plantais ma tente, 12
Cette terre bien dure, où j’ai dormi souvent. 12
40 O mes pauvres parents, ma vie est épuisée ; 12
Que ma place au foyer, chez nous, soit effacée, 12
Vous ne verrez plus votre enfant. 8
Je ne baiserai plus, tout rempli de tendresse, 12
Vos cheveux argentés par l’âge et la tristesse, 12
45 Ainsi que je le fis, au jour de nos adieux. 12
Aux amis qui viendront nous parler d’espérance, 12
Vous ne répondrez que par un morne silence, 12
Que par des larmes dans vos yeux. 8
Je reviendrai, disais-je, à toi, ma fiancée ; 12
50 Nous oublierons un jour notre peine passée ; 12
Mes baisers, au retour, sauront sécher tes pleurs. 12
Menteuse illusion… ! A l’autel de la Vierge, 12
Ma pauvre amie, en vain tu porteras un cierge 12
Et le fardeau de tes douleurs… ! 8
55 Je ne te verrai plus… ! Modère ta tristesse ; 12
De mes parents chéris console la vieillesse. 12
Dis-leur que je suis mort en répétant leur nom ; 12
Conserve dans ton cœur l’écho de ma pensée, 12
Comme une douce essence dans un vase versée, 13
60 Ou comme un ineffable son. 8
Conserve… mais la mort alourdit ma paupière ; 12
Je ne puis supporter l’éclat de la lumière. 12
J’agonise… mon Dieu, veuillez me secourir. 12
Oh ! veuillez abréger ma suprême torture ! 12
65 Oh ! plus vite épuisez le sang de ma blessure, 12
Et daignez me faire mourir. 8
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