Métrique en Ligne
ANG_1/ANG2
corpus Pamela Puntel
Albert ANGOT
NOS RUINES
1871
LE POËTE
Pourquoi, dis, ma Muse chérie, 8
Entendons-nous tes détracteurs, 8
Troupe sans nom, dans leur furie, 8
Contre toi vomir leurs clameurs ? 8
5 Quel est ton crime, ô toi, la fée, 8
De gloire et de grâce parée, 8
Toi, la Sirène diaprée, 8
toi, la reine, toi, la beauté ? 8
Ton front est-il dans un nuage ? 8
10 Se pourrait-il qu’un triste orage 8
Eût assombri ton beau visage 8
Jadis rayonnant de clarté ? 8
Eh ! quoi ! Des lys blancs et des roses 8
Ton front serait-il dépouillé ? 8
15 Au contact des humaines choses 8
Ton chaste sein s’est-il souillé ? 8
Ainsi qu’une épouse adultère 8
Profane un soir avec mystère 8
Le domestique sanctuaire, 8
20 Brûlant d’un impudique feu, 8
Aurais-tu donc, belle prêtresse, 8
Dans le délire de l’ivresse 8
Sali la fleur de ta jeunesse 8
Au peuple, dans un mauvais lieu ? 8
25 As-tu flatté la multitude, 8
Ou les rois, ces autres tyrans ? 8
La Loi dont tu fis ton étude 8
Est-elle oubliée en tes chants ? 8
As-tu donc sur ton luth profane 8
30 Promené ton doigt diaphane 8
Pour célébrer la courtisane, 8
Ce tombeau vivant de l’honneur ? 8
As-tu dans des accords infâmes 8
Blasphêmé l’azur et se flammes 8
35 Et fait monter au front des femmes 8
Comme un flot brûlant de rougeur ? 8
Mais non.— Ta voix enchanteresse 8
Qui résonne en si purs accords 8
A chanté l’amour, son ivresse, 8
40 Et ses mystérieux transports ; 8
Mais jamais une plume impie 8
N’a fait vibrer ton harmonie, 8
La langue pure du génie, 8
Pour chanter de honteux exploits. 8
45 Jamais dans sa fureur obscène 8
Ta lyre que la muse entraîne 8
Au frais vallon de l’Hippocrène 8
Ne vanta le mépris des lois. 8
Silence à tous ces vains blasphêmes ! 8
50 La lyre est mère des vertus ; 8
Et toi, Calomnie, aux yeux blêmes, 8
Baisse tes regards confondus. 8
Jusques à quand, monstre farouche, 8
Flétrissant tout ce qui te touche 8
55 Noirciront-ils les innocents ? 8
Ah ! que ne puis-je, en ma colère, 8
Des héros, vengeur tutélaire, 8
Broyer ta tête de vipère 8
Hideuse, — et lui briser les dents ? 8
60 Hélas ! voici quel es le crime 8
Caché dans le fond de mon cœur : 8
Souvent je chantai la victime 8
Et fis pâlir son oppresseur ; 8
Et souvent ma voix irritée, 8
65 Ma plume dans le fiel trempée 8
Plus implacable qu’une épée 8
A flétri de honteux forfaits. 8
Je pleure avec l’homme qui pleure ; 8
Mais sur la royale demeure 8
70 Je sculptai : « —Tyran, je te hais.— » 8
Je voudrais de a tyrannie 8
Écraser l’œuf sous mon talon, 8
Et voilà pourquoi, Calomnie, 8
Sur moi tu baves ton poison. 8
75 Mais tant que des hommes infâmes 8
Dont je découvrirai les âmes 8
Ourdiront de perfides trames 8
Pour masquer leur ambition, 8
(Et que m’importe si j’échoue) 8
80 Au peuple qu’il exalte et loue 8
Je dirai : — « Cet homme te joue 8
Et ne sert que sa passion.— » 8
Quand le Passé s’écroule et sombre 8
Au choc des révolutions, 8
85 Je suis le final qui dans l’ombre 8
Luit brillant sur les nations. 8
Sentinelle d’un peuple brave, 8
Ma voix rugit : « — Honte à l’esclave ! —» 8
Ma colère est comme une lave 8
90 Ou bien l’Océan irrité ; 8
Mais que le tigre populaire 8
Montre sa fureur sanguinaire 8
Je l’accule dans sa tanière 8
Au cri : « — Vive la Liberté ! — » 8
95 Je brûle la langue qui flatte, 8
Et celui qui reçoit l’encens ; 8
J’attache un infâme stigmate 8
A l’épaule des courtisans. 8
J’ôte leur fard et leurs peintures ; 8
100 J’arrache leurs vaines dorures, 8
Et mets à nu les pourritures 8
Qui gangrènent ces contrefaits. 8
Je découvre leurs artifices, 8
Je palpe un à un tous leurs vices, 8
105 Et j’exulte de leurs supplices : 8
Voilà mes uniques forfaits. 8
Sur mon luth la rime pressée 8
Reflète en son diamant pur 8
Les nobles feux de la Pensée 8
110 Comme un miroir le ciel d’azur. 8
Ses rayons divins illuminent 8
De leurs splendeurs qui les fascinent 8
Au loin les peuples qui cheminent 8
A pas tardifs vers la Raison. 8
115 Ouvrant mon aile lumineuse 8
Je brave la haine hideuse 8
Porté sur la nue orageuse, 8
Trône étincelant d’Apollon. 8
logo du CRISCO logo de l'université