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corpus Pamela Puntel
Albert ANGOT
NOS RUINES
1871
LE CHÂTIMENT
A M. VICTOR HUGO
I
Je relisais hier ce chant plein d’harmonie 12
Que jadis inspirait à ton puissant génie, 12
Hugo, l’Arc de Napoléon, 8
Cet arc démesuré, ciselé par l’Histoire, 12
5 Ensemble monstrueux de pierre et de victoire, 12
Portique où s’épèle un grand nom. 8
Quand tu chantais si bien ce monument sublime, 12
Ton front étincelant d’un orgueil légitime 12
N’était point voilé par l’erreur. 8
10 Poëte, je t’aimais ; et ta chaude pensée 12
Se répandait alors en mon âme glacée, 12
Et l’enflammait de son ardeur. 8
Avec toi je cherchais à voir, au sein des âges, 12
Comme un oiseau perdu dans le bleu des nuages, 12
15 Ton arc paré des mains du temps, 8
Son fronton effeuillé, ses sculptures rongées, 12
Par les sombres lichens et le lierre ombragées 12
Dans leurs replis intelligents. 8
Les âges, suivant toi, de leur touche hardie 12
20 Devaient seuls ébrécher la grande Arche verdie 12
Qui gardait sa virginité. 8
A t’en croire, jamais le canon ou la honte 12
Ne devait de son front que le ciel seul surmonte 12
Ternir la vieille majesté. 8
25 Alors, sur le débris de la vile endormie, 12
Comme un cadavre immense à la face blêmie, 12
Sur ton Paris mort pour toujours, 8
Tu voyais se dresser un glorieux triangle 12
Dont la Colonne et l’Arc formaient chacun un angle 12
30 Avec Notre-Dame et ses tours. 8
Erreur ! Illusion ! Songe trop éphémère ! 12
Toi-même de tes mains as détruit la chimère 12
Que tu caressais autrefois. 8
Regarde donc, Hugo ! la Colonne est à terre ; 12
35 Et Notre-Dame voit la grande Arche de pierre 12
Blessée en plus de mille endroits. 8
Paris est là fumant, ainsi qu’une fournaise, 12
Comme un vaste volcan, las de vomir à l’aise 12
Lave et roches en fusion. 8
40 Ses porches, ses clochers aux voix tumultueuses, 12
Ses dômes, ses palais, ses cités tortueuses 12
Sont dans la désolation. 8
On dirait qu’on entend gémir, comme un murmure, 12
Comme un écho lointain mourant sous la ramure, 12
45 Les sons affaiblis du canon. 8
La guerre sociale a sévi dans sa rage ; 12
Hugo, tu secondais dans l’ombre son ouvrage. 12
Hugo, sois maudit, ô démon ! 8
Ah ! pourquoi flattais-tu, dis-moi, la populace ? 12
50 Pourquoi ton grand esprit recherchait-il sa grâce, 12
De maints sophismes enflammé ? 8
Ah ! le cœur qui conçut un acte détestable 12
A la raison parait mille fois plus coupable 12
Que le bras qui l’a consommé. 8
55 Il ne faut pas jouer avec la multitude : 12
Elle a toujours passé, dans son incertitude, 12
Le but qui lui fut imposé. 8
Toi qui l’as comparée à l’océan qui gronde, 12
Tu sais fort bien que seul, Dieu, le maître du monde, 12
60 Peut dompter le flot courroucé. 8
II
Allons ! baisse ton front, trop orgueilleux poëte. 12
Sous le poids de nos maux on peut courber la tête 12
Devant la droite du Seigneur. 8
Grande est la majesté qui souvent s’humilie. 12
65 Le génie hors le bien marche vers la folie 12
Qui vient succéder à l’erreur. 8
La flamme qui semait dans Paris l’incendie, 12
Le marteau qui frappait la Colonne hardie, 12
Le canon qui de ses boulets 8
70 Mutilait les parois de l’Arche triomphale, 12
Tu les as suscités, dans ton erreur fatale ; 12
Par tes cris tu les appelais. 8
Baisse ton front, vieillard, ou crains un Dieu sévère. 12
S’il eut longtemps pour toi la faiblesse d’un père, 12
75 Il peut te punir maintenant. 8
N’as-tu pas abusé de ses dons, du génie 12
Dont il orna ton âme en une heure bénie ? 12
Poëte, crains le châtiment. 8
Peut-être, il a déjà touché ton front superbe : 12
80 Les fleurs qui le paraient sont gisantes dans l’herbe ; 12
Ton fils est mort loin de tes bras. 8
Meurice est dans les fers ; Paris, ta grande ville, 12
Est pleine de débris, et la guerre civile 12
Expire devant nos soldats. 8
85 Tu marches dans l’exil ; et la terre étrangère, 12
Comme autrefois, pour toi n’est plus hospitalière. 12
Partout, tu peux être chassé, 8
Jusqu’à ce que la mort, éteignant ta paupière, 12
Vienne poser sa main plus froide que la pierre 12
90 Sur ton cœur saignant et brisé. 8
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