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corpus Pamela Puntel
Albert ANGOT
NOS RUINES
1871
LE SIÈCLE
PRÉLUDE
Ce siècle dégénère, un vil instinct le mène ; 12
En maîtresse partout règne la passion : 12
Prolétaire, bourgeois, ministre, capitaine, 12
Chacun veut obéir à son ambition. 12
5 Pareille à l’édifice aux colonnes usées, 12
La société tremble à l’haleine du vent ; 12
Ses plus fermes piliers étaient nos mœurs passées : 12
Le respect du foyer par le père et l’enfant. 12
Comme un Soleil d’hiver, derrière une ruine, 12
10 Baissant son pâle front au lointain horizon, 12
Le flambeau de la foi d’heure en heure décline 12
Et cache sa lueur derrière la Raison. 12
Partout, dans les cités, et dans les solitudes, 12
On sent régner dans l’air un souffle empoisonné. 12
15 Dans l’esprit corrompu des âpres multitudes, 12
Dieu, respect et devoir, tout est déraciné. 12
L’ouragan a passé sur les têtes humaines ; 12
C’est l’ouragan du doute et de l’impiété : 12
Il a semé partout de détestables graines, 12
20 Et par lui le bon grain, hélas ! est emporté. 12
L’Avenir est un gouffre : il donne le vertige ; 12
Quand sur son fond béant on se penche pour voir, 12
On recule effaré : le regard qui s’afflige 12
N’a vu qu’un lit fangeux où sommeille un flot noir. 12
25 Comme un vaste Océan sur ses immenses plages, 12
Aujourd’hui nous voyons avec impunité 12
La Licence monter d’étages en étages, 12
Et noyer dans ses flots l’Auguste Liberté. 12
Autrefois les penseurs et les puissants poëtes 12
30 Voyaient dans notre peuple un généreux lion, 12
A la faute crinière, à l’œil plein de tempêtes, 12
Fier après le combat, accessible au pardon. 12
Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un tigre sanguinaire 12
Égorgeant à plaisir les troupeaux qu’il atteint, 12
35 Jusqu’à ce qu’épuisé de rage et de colère, 12
Malgré lui, le sommeil ferme son œil éteint. 12
Voilà quel est le peuple ; et l’émeute grondante, 12
Au bruit le plus léger sait bien se réveiller. 12
Chez celui qui vous tend une main implorante, 12
40 On voit les yeux reluire et la haine briller. 12
Que m’importent les Arts et la Vapeur ardente ! 12
Qu’importent le progrès, les éléments domptés, 12
Si le Sombre Avenir sans cesse m’épouvante, 12
Si mes fils doivent voir des jours plus attristés ; 12
45 Si, malgré leurs efforts, ma France est abaissée 12
Par de fiers ennemis et la corruption, 12
Si de lâches tyrans sur sa tête brisée, 12
peuple ou bien empereur, sèment la trahison ! 12
Que ne puis-je, mon Dieu ! moi, le pauvre poëte, 12
50 Comme autrefois Hugo, comme Goëthe et Schiller, 12
Attacher à mon luth, comme un signe de fête, 12
En saluant ce Siècle un léger rameau vert ! 12
Que ne puis-je, en mes chants, ramener l’espérance, 12
Annoncer des beaux jours dorés par le Soleil, 12
55 Un Avenir nouveau pour notre noble France, 12
Pour la Société le moment du réveil ! 12
Travaillons ! C’est le mot, si j’ai bonne mémoire, 12
Que répétait jadis un empereur romain, 12
Fier du bonheur de tous, amoureux de la gloire ; 12
60 Que ce mot nous rallie à l’instant et demain. 12
Travaillons, travaillons à reformer les âmes, 12
Malgré la calomnie, et malgré les dédains. 12
Que la foi dans les cœurs porte ses saintes flammes, 12
Et nous verrons meilleurs tous les tristes humains. 12
65 Rappelons le respect, l’amour de la famille 12
Dans la terre d’exil aujourd’hui gémissants. 12
Disons que c’est le phare en la nuit qui scintille 12
Pour guider vers le port et montrer les brisants. 12
Unissons pour couver ces vivifiants germes 12
70 Tous les cœurs vertueux, tous les cœurs inspirés, 12
Tous les cœurs vraiment purs, tous les cœurs vraiment fermes, 12
Par les rayons divins dans ce siècle éclairés. 12
La main à l’œuvre, amis… ! Ramons avec courage 12
Pour conduire la nef portant la vérité 12
75 Sur les flots de la foule et l’ancrer au rivage, 12
Et verser ses trésors à la Société. 12
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