ADIEUX |
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Déjà la moitié de l'année |
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Dans un deuil affreux s’est traînée, |
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Sans nous présager le retour. |
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Partout les grands sapins bourgeonnent |
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Et les petits oiseaux foisonnent, |
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Gazouillant leurs chansons d'amour. |
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Faudra-t-il donc longtemps encore |
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Nous réveiller à chaque aurore, |
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Le cœur saignant et, pas à pas, |
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en nous heurtant à chaque pierre, |
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Gravir un douloureux Calvaire, |
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Sans espoir de paix ici-bas ? |
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Oh non ! car le Très-Haut s’entoure de ses gloires : |
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Pesant également défaites et victoires, |
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Il jette sur le Monde un cri : Fraternité ! |
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Et le Monde, à ce mot, qui des rois trop timides |
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Réduit en vils tronçons les armes homicides, |
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Se lève et répond : Liberté ! ! ! |
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Le Démon des combats, pliant alors ses ailes |
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Et se voilant la face, au séjour des rebelles |
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Roule et tombe en poussant une immense clameur ; |
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Sa chute épouvantable à travers les espaces |
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Nous fait enfin prévoir pour les futures races |
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Une longue ère de bonheur ! |
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Et bien, puisque Dieu rompt notre trop lourde chaîne, |
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Qu'il oppose une digue au flot qui nous entraîne, |
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Allons lui rendre grâce au sommet du coteau. |
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Déjà l’astre des nuits dans les cieux se balance, |
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C'est l'heure de l'amour, l’heure de l'espérance, |
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Sors, ô mon âme ! du tombeau. |
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Et quand vers l’Éternel ma prière envolée |
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Laissera mes regards tomber sur la vallée, |
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Qu’un pleur monte à mes yeux, à mon cœur un soupir : |
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Sur ce gazon si frais, sur ce riant rivage, |
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Marchez à mes côtés, caché dans un nuage, |
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Ange béni du Souvenir ! |
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O golfe d'Arcachon, port charmant de la Teste, |
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Pointe de l’Aguillon, chaumière au toit agreste, |
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Où de venir souvent nous nous faisions un jeu ; |
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Plage au sable si fin, et vous, forêts tranquilles, |
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Qui servez de ceinture à de lointaines îles, |
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Recevez mon dernier adieu ! |
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C'est là que bien des fois nos âmes en délire, |
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D’un seul bond s’élançant vers la Ville Martyre, |
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Dans le vent, dans les flots, croyaient ouïr des cris ; |
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Et que nos yeux voyaient, par un trompeurs mirage, |
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Nos ennemis broyés dans des champs de carnage… |
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Paris vainqueur sur ses débris ! ! ! |
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Salut à vous, salut, ô ruisseau de la Hume1 ! |
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Qui courez par les prés en jetant votre écume |
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Sur les ajoncs tremblants, sur le pied des ormeaux ; |
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Vous, dont l’onde limpide, au bout de la quinzaine, |
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Toujours nous a rendu le coton et la laine |
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Plus blancs que le cygne des eaux. |
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Par cent bras vigoureux votre onde tourmentée, |
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De toute poésie, hélas ! déshéritée, |
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Ne voit dans son courant s’ébattre aucun poisson, |
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Et jamais en secret une vierge craintive |
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ne viendra soupirer, assise à votre rive, |
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Le soir, une tendre chanson. |
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Guerriers fameux, savants, et vous, douces images |
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Dont les noms jusqu’à nous ont traversé les âges, |
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Pour le bronze et le marbre, ah ! n’ayez désormais |
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Que mépris et dédain ! Noëmi, Marguerite, |
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Humboldt, Condé, Mozart, votre gloire est inscrite |
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Pour toujours au front des chalets ! |
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Là-bas, sortant des bois, c’est la flèche effilée |
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De l’Antique Chapelle, à toute heure peuplée |
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De fervents pèlerins, de rudes matelots. |
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On les voit, humblement prosternés sur la pierre, |
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Redire tous ensemble une même prière |
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A Celle qui calme les flots. |
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Sainte nuit de Noël, ineffable veillée, |
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Pourrai-je t’oublier ? La foule agenouillée, |
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Enfants, femmes, vieillards, par la guerre exilés, |
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Levait les mains au ciel !… Au loin dans la pénombre |
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Se dressait vaguement la silhouette sombre |
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De quelques soldats mutilés. |
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Et ces vaillants débris d’un immense naufrage |
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Sentaient parfois tomber une larme de rage |
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En sondant du regard le lointain horizon ; |
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Leurs doigts crispés serraient une arme, hélas ! absente ; |
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Leurs yeux roulaient du feu… De leur poitrine ardente |
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Sortait un seul cri : Trahison ! |
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Priez ! nous disait-on, dans la sainte demeure, |
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Et Dieu se lassera ! Chaque chose à son heure ! |
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Demain il peut dompter le vainqueur d’aujourd’hui, |
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Il peut briser demain ses féroces phalanges |
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En prenant dans son ciel quelques-uns de ses anges. |
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Demain on peut dire : Il a fui ! |
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Dieu ne s’est pas lassé ! L’heure n’est point venue ! |
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Le soleil d’Austerlitz n’a pu percer la nue ! |
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Et pourtant notre France, au fléau triomphant, |
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Du pied frappant la terre, opposa des armées ; |
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Pour sauver le pays les mères enflammées |
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Ont donné leu dernier enfant ! |
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Ces tableaux à mes yeux faisaient monter des larmes : |
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Mais que faire en un jour où nous n’avons plus d’armes ? |
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Où soldats et canons, vers la Prusse envoyés, |
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Éloignent pour longtemps l’heure de la revanche ; |
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Où, dans ce cataclysme, il n’est pas une planche |
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Qui ne s’abîme sous nos pieds ? |
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Que faire ? ? ? |
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Que faire ? ? ? A nos enfants léguer les représailles ; |
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De loin les préparer à de grandes batailles ; |
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Refondre le pays dans un moule d’airain ; |
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Rendre nos fils plus forts par une vie austère, |
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Et quant nous frémirons, indignés de nous taire, |
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Les jeter au delà du Rhin ! |
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Nous reprenons alors nos drapeaux déchirés, |
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Par un vil imposteur, par un traître livrés ; |
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Nous recouvrons notre or, nos richesses… Enfin, |
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Comme en mil huit cent six, immortelle campagne, |
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En vingt jours, du talons nous broyons l’Allemagne, |
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Et campons au cœur de Berlin ! |
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Le front dans mes deux mains, je laissais ma pensée |
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Flotter comme un esquif, par la douleur bercée, |
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Quand un Ange, soudain, passe devant mes yeux. |
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Son vol trace dans l’air un lumineux sillage, |
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Par trois fois il redit aux forêts, au rivage, |
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Ce chant béni, manne des cieux : |
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« Volez vers la cité vaillante |
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Qui vous tend sa main suppliante |
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Depuis six longs mois, nuit et jour ; |
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Donnez à sa bouche embrasée, |
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Versez à son âme épuisée |
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La goutte d’eau… le flot d’amour ! » |
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C’est demain le départ. Demain, quand les étoiles |
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Des pilotes tardifs dirigeront les voiles, |
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Nous serons loin, hélas ! de ces bords enchantés ; |
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Mais, tels que le marin échappée du naufrage, |
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Bientôt nous reviendrons… nous bénirons la plage |
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Où l’Éternel nous a jetés ! ! ! |
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Arcachon, 13 mars 1871.
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