Métrique en Ligne
AME_1/AME4
corpus Pamela Puntel
Ernest AMELINE
CHANTS D’EXIL
1870
ADIEUX
Déjà la moitié de l'année 8
Dans un deuil affreux s’est traînée, 8
Sans nous présager le retour. 8
Partout les grands sapins bourgeonnent 8
5 Et les petits oiseaux foisonnent, 8
Gazouillant leurs chansons d'amour. 8
Faudra-t-il donc longtemps encore 8
Nous réveiller à chaque aurore, 8
Le cœur saignant et, pas à pas, 8
10 en nous heurtant à chaque pierre, 8
Gravir un douloureux Calvaire, 8
Sans espoir de paix ici-bas ? 8
Oh non ! car le Très-Haut s’entoure de ses gloires : 12
Pesant également défaites et victoires, 12
15 Il jette sur le Monde un cri : Fraternité ! 12
Et le Monde, à ce mot, qui des rois trop timides 12
Réduit en vils tronçons les armes homicides, 12
Se lève et répond : Liberté ! ! ! 8
Le Démon des combats, pliant alors ses ailes 12
20 Et se voilant la face, au séjour des rebelles 12
Roule et tombe en poussant une immense clameur ; 12
Sa chute épouvantable à travers les espaces 12
Nous fait enfin prévoir pour les futures races 12
Une longue ère de bonheur ! 8
25 Et bien, puisque Dieu rompt notre trop lourde chaîne, 12
Qu'il oppose une digue au flot qui nous entraîne, 12
Allons lui rendre grâce au sommet du coteau. 12
Déjà l’astre des nuits dans les cieux se balance, 12
C'est l'heure de l'amour, l’heure de l'espérance, 12
30 Sors, ô mon âme ! du tombeau. 8
Et quand vers l’Éternel ma prière envolée 12
Laissera mes regards tomber sur la vallée, 12
Qu’un pleur monte à mes yeux, à mon cœur un soupir : 12
Sur ce gazon si frais, sur ce riant rivage, 12
35 Marchez à mes côtés, caché dans un nuage, 12
Ange béni du Souvenir ! 8
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O golfe d'Arcachon, port charmant de la Teste, 12
Pointe de l’Aguillon, chaumière au toit agreste, 12
Où de venir souvent nous nous faisions un jeu ; 12
40 Plage au sable si fin, et vous, forêts tranquilles, 12
Qui servez de ceinture à de lointaines îles, 12
Recevez mon dernier adieu ! 8
C'est là que bien des fois nos âmes en délire, 12
D’un seul bond s’élançant vers la Ville Martyre, 12
45 Dans le vent, dans les flots, croyaient ouïr des cris ; 12
Et que nos yeux voyaient, par un trompeurs mirage, 12
Nos ennemis broyés dans des champs de carnage… 12
Paris vainqueur sur ses débris ! ! ! 8
Salut à vous, salut, ô ruisseau de la Hume1 ! 12
50 Qui courez par les prés en jetant votre écume 12
Sur les ajoncs tremblants, sur le pied des ormeaux ; 12
Vous, dont l’onde limpide, au bout de la quinzaine, 12
Toujours nous a rendu le coton et la laine 12
Plus blancs que le cygne des eaux. 8
55 Par cent bras vigoureux votre onde tourmentée, 12
De toute poésie, hélas ! déshéritée, 12
Ne voit dans son courant s’ébattre aucun poisson, 12
Et jamais en secret une vierge craintive 12
ne viendra soupirer, assise à votre rive, 12
60 Le soir, une tendre chanson. 8
Guerriers fameux, savants, et vous, douces images 12
Dont les noms jusqu’à nous ont traversé les âges, 12
Pour le bronze et le marbre, ah ! n’ayez désormais 12
Que mépris et dédain ! Noëmi, Marguerite, 12
65 Humboldt, Condé, Mozart, votre gloire est inscrite 12
Pour toujours au front des chalets ! 8
Là-bas, sortant des bois, c’est la flèche effilée 12
De l’Antique Chapelle, à toute heure peuplée 12
De fervents pèlerins, de rudes matelots. 12
70 On les voit, humblement prosternés sur la pierre, 12
Redire tous ensemble une même prière 12
A Celle qui calme les flots. 8
Sainte nuit de Noël, ineffable veillée, 12
Pourrai-je t’oublier ? La foule agenouillée, 12
75 Enfants, femmes, vieillards, par la guerre exilés, 12
Levait les mains au ciel !… Au loin dans la pénombre 12
Se dressait vaguement la silhouette sombre 12
De quelques soldats mutilés. 8
Et ces vaillants débris d’un immense naufrage 12
80 Sentaient parfois tomber une larme de rage 12
En sondant du regard le lointain horizon ; 12
Leurs doigts crispés serraient une arme, hélas ! absente ; 12
Leurs yeux roulaient du feu… De leur poitrine ardente 12
Sortait un seul cri : Trahison ! 8
85 Priez ! nous disait-on, dans la sainte demeure, 12
Et Dieu se lassera ! Chaque chose à son heure ! 12
Demain il peut dompter le vainqueur d’aujourd’hui, 12
Il peut briser demain ses féroces phalanges 12
En prenant dans son ciel quelques-uns de ses anges. 12
90 Demain on peut dire : Il a fui ! 8
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Dieu ne s’est pas lassé ! L’heure n’est point venue ! 12
Le soleil d’Austerlitz n’a pu percer la nue ! 12
Et pourtant notre France, au fléau triomphant, 12
Du pied frappant la terre, opposa des armées ; 12
95 Pour sauver le pays les mères enflammées 12
Ont donné leu dernier enfant ! 8
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Ces tableaux à mes yeux faisaient monter des larmes : 12
Mais que faire en un jour où nous n’avons plus d’armes ? 12
Où soldats et canons, vers la Prusse envoyés, 12
100 Éloignent pour longtemps l’heure de la revanche ; 12
Où, dans ce cataclysme, il n’est pas une planche 12
Qui ne s’abîme sous nos pieds ? 8
Que faire ? ? ?
A nos enfants léguer les représailles ;
De loin les préparer à de grandes batailles ; 12
105 Refondre le pays dans un moule d’airain ; 12
Rendre nos fils plus forts par une vie austère, 12
Et quant nous frémirons, indignés de nous taire, 12
Les jeter au delà du Rhin ! 8
Nous reprenons alors nos drapeaux déchirés, 12
110 Par un vil imposteur, par un traître livrés ; 12
Nous recouvrons notre or, nos richesses… Enfin, 12
Comme en mil huit cent six, immortelle campagne, 12
En vingt jours, du talons nous broyons l’Allemagne, 12
Et campons au cœur de Berlin ! 8
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115 Le front dans mes deux mains, je laissais ma pensée 12
Flotter comme un esquif, par la douleur bercée, 12
Quand un Ange, soudain, passe devant mes yeux. 12
Son vol trace dans l’air un lumineux sillage, 12
Par trois fois il redit aux forêts, au rivage, 12
120 Ce chant béni, manne des cieux : 8
« Volez vers la cité vaillante 8
Qui vous tend sa main suppliante 8
Depuis six longs mois, nuit et jour ; 8
Donnez à sa bouche embrasée, 8
125 Versez à son âme épuisée 8
La goutte d’eau… le flot d’amour ! » 8
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C’est demain le départ. Demain, quand les étoiles 12
Des pilotes tardifs dirigeront les voiles, 12
Nous serons loin, hélas ! de ces bords enchantés ; 12
130 Mais, tels que le marin échappée du naufrage, 12
Bientôt nous reviendrons… nous bénirons la plage 12
Où l’Éternel nous a jetés ! ! ! 8
Seul ruisseau d’eau douce qui existe près d’Arcachon.
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