PROMENADE |
A MADEMOISELLE E… D…
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Lorsque, dans notre exil, quelque bruit de victoire, |
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Rendant à nos soldats leur prestige et leur gloire, |
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Dans nos cœurs abattus verse un peu de bonheur, |
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Nous gravissons, joyeux, la colline prochaine, |
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Pour aspirer des flots la bienfaisante haleine, |
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Et des bois la bonne senteur. |
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Assis sous un berceau de branches enlacées, |
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Nous laissons s’égarer nos riantes pensées |
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Vers l’Océan qui gronde au loin tumultueux ; |
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Nos yeux suivent aussi sur le lointain rivage |
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Deux barques naviguant dans un même sillage, |
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Comme deux cygnes amoureux. |
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En nombreux bataillons, les oiseaux de passage, |
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De la plage à la mer, de la mer à la plage, |
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Tracent de grands circuits, poussent des cris perçants, |
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Et, se posant enfin sur la vague profonde, |
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Ils se laissent bercer par le courant de l’onde, |
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En offrant leurs ailes aux vents. |
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Mais suivons le chemin qui mène au cimetière. |
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— Par le mur écroulée de couvert de bruyère, |
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D’humbles croix de bois noir sur de récents tombeaux |
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Nous font songer au dieu qui retient ou dispense |
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Au faible ainsi qu’au fort ses trésors d'espérance, |
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Qui seul peux abréger nos maux. |
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Plus loin, en blancs flocons s’élève une fumée |
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D’un pittoresque toit tout couvert de ramée, |
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Qu’un rideau de grands pins abrite des frimas : |
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Au seuil de la maison, guettant notre passage, |
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Se tiennent deux enfants à l'allure sauvage, |
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Qui volent jusque dans nos bras. |
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Enfin nous côtoyons la profonde clairière |
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Qui contourne l'église est le saint monastère |
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Ou des moines pieux en ce trouver un port : |
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Asile protégé par la Vierge des Passes, |
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Dans la main, à tout l'heure, à travers les espaces, |
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Dispute un marin à la mort. |
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De ces prédestinés aux vêtements de bure, |
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Aux sandales de bois, l'ascétique figure |
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Reçoit sous les arceaux des célestes reflets ; |
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La croix dans une main, les flancs ceints d'une corde, |
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Ils vont prêchant partout le pardon, la concorde, |
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Dans les châteaux, dans les chalets. |
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Tout à coup retentit dans la haute tourelle |
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La cloche d'agonie. Au seuil de la chapelle, |
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Un père, jeune encor, promptement s’est rendu ; |
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Puis il est ressorti portant le pain des anges ; |
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Sa bouche du Seigneur murmurait les louanges ; |
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À la grève il est descendu. |
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Une barque attendais… contre le mât qui penche, |
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Lorsque je vis flotter sa longue robe blanche, |
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Quand je vis ses deux bras étendus pour bénir, |
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Je me souvins du Christ apaisant la tempête, |
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Calme, majestueux, s’avançant sur la crête |
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Des flots ouverts pour l'engloutir. |
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Dans un but moi chrétien, vers le prochain rivage |
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Laissons-nous emporter !… La sablonneuse plage |
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Qui, du côté du nord, limite l'horizon, |
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N’a jamais de printemps… C'est un désert aride ; |
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La fleur y pousse à peine et sur la lande humide |
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Pas une trace de gazon ! |
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Seul, un phare imposant s’élève sur la grève |
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Où mugit l'Atlantique, où, sans repos ni trêve, |
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Il lance son écume à son front sourcilleux. |
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La nuit, lorsque les flots roulent comme un tonnerre, |
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Du céleste fanal tombe un jet de lumière |
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Qui rend l’espoir aux malheureux. |
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Nous gravissons la tour… O spectacle admirable ! |
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Près d'un océan d'eau, des océans de sable ! |
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Point d’arbres ! point d’abris ! Partout l’immensité ! |
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Des éléments en feu qui semblent se confondre, |
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Rouler comme une lave et puis enfin se fondre |
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Au gouffre de l’Éternité ! ! ! |
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D'une antique cité j'appelle en vain l'image ! |
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Comme aux rives du Nil, sur cette aride plage, |
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Je voudrais raviver un passé triomphant ! |
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J'évoque de Memphis les palais et les tombes ! |
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Des siècles disparus les grandes hécatombe !… |
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Rien ! rien ! pas même un pied d'enfant ! ! ! |
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Mets un cri nous arrache à ce tableau sublime : |
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« Allons ! vite à la voile ! Au loin blanchit la cime |
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Des flots dont le retour doit nous conduire au port. |
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Coupons le golfe, avant que la barre implacable |
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Sur le banc de Matoc au ressac redoutable, |
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Nous jette en pâture à la mort. » |
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Lors, un dernier regard parcourt la double rive, |
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Symbole de la vie, où toute âme pensive |
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De joie et de douleur voit tous nos jours tissés : |
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Sur l’une, le Printemps, l’Avenir, la Jeunesse ! |
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Sur l'autre, le Trépas frappant, frappant sans cesse, |
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Sans que Dieu dise : C’est assez ! |
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Nonchalamment couchés au fond de la nacelle, |
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Nous nous laissons porter vers l’Antique Chapelle |
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En rasant le rivage et longeant le coteau. |
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Pas un bruit sous le ciel, hors la vergue qui crie, |
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Et le flot qui nous pousse à la mère patrie, |
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Comme dans un léger berceau ! |
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Au loin, voici déjà la coupole mauresque |
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Et les arceaux coquets du temple gigantesque, |
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Dans des temps plus heureux asile des plaisirs ; |
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Puis enfin, tel qu’un nid perdu dans les ombrages, |
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Un sémillant chalet tout couvert de feuillages |
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Où s’envolent tous nos soupirs ! |
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■ 28 janvier 1871. |
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Ce jour là, nous allons par un chemin oblique |
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Arriver lentement sur notre toit rustique, |
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Quand un cri tout à coup… de quel nom l'appeler ? |
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Nous glace de terreur ! quel est donc notre crime, |
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Pour que la France en deuil roule au fond de l'abîme ? |
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... Paris vient de capituler ! ! ! |
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