Métrique en Ligne
AIC_2/AIC6
Jean AICARD
Les Jeunes Croyances
Le Rachat de la Tour
1867
I
III
AIMER-PENSER
Cœur naïf ! j’avais cru pouvoir à tous les yeux 12
Dévoiler mes douleurs comme en face des cieux, 12
Et trouver pour mon âme une âme, 8
Une seule parmi la foule des humains, 12
5 Un inconnu qui vînt me prendre les deux mains, 12
Un seul amour d’homme ou de femme ! 8
Pauvre fou ! je croyais à la sainte pitié 12
Qui verse doucement et longtemps l’amitié 12
Sur les blessures d’un cœur triste, 8
10 Et je ne savais pas, — honte ! — qu’au lieu de pleurs, 12
Le monde, gai toujours, donne à toutes douleurs 12
Un éclat de rire égoïste ! 8
C’est bien ; — je garderai pour toi, dont je suis sûr, 12
Pour toi seule et pour Dieu mon malheur calme et pur 12
15 Que salirait la foule avare, 8
Et grand par ma douleur, et grand par mon orgueil, 12
Si dans des vers badins je lui cache mon deuil, 12
Elle me joûra sa fanfare ! 8
Et quand mes chants auront amusé les pervers, 12
20 Toujours contents de voir apparaître en des vers 12
Des inutilités impies, 8
Je crîrai, me dressant, sage, au-dessus des fous, 12
La justice en mes mains, et les fustigeant tous 12
D’un fouet d’ïambe et d’utopies : 8
25 « Ô monstres ! vous avez devant Dieu, devant Dieu ! 12
Devant le firmament auguste, 8
Dressé vos tréteaux vils et fait un mauvais lieu 12
De la nature belle et juste ! 8
« Votre société, sous les noirs préjugés, 12
30 Penche comme un vaisseau qui sombre ; 8
Rien de vous ne vivra ! Navire et naufragés, 12
Vous serez engloutis par l’ombre ! 8
« Ah ! vous vous êtes dit, en votre lâcheté, 12
Que le mal sur le monde règne ; 8
35 Qu’il doit régner toujours ; qu’une fatalité 12
Veut que toujours un Jésus saigne ! 8
« Ah ! vous traitez encor d’insensés les penseurs, 12
Les libres rêveurs, les poëtes, 8
Qui, — lorsque vous croisez vos haines, — âmes sœurs 12
40 Gémissent sur ce que vous faites ! 8
« Ah ! vous pourriez trouver dans l’éternelle paix 12
Une félicité profonde, 8
Et vous ne voulez pas, et vos esprits épais 12
Se vautrent dans la nuit immonde ! 8
45 « Vous célébrez en chœur arlequins et bouffons ; 12
Vous pensiez que, bête acrobate, 8
J’avais fait pour mon âme un habit de chiffons ; 12
Que mon vers était une batte ? 8
« Eh bien, détrompez-vous : quand j’ai pleuré, méchants, 12
50 Contre moi vous tourniez vos armes ; 8
Lorsqu’ils semblaient rieurs, vous admiriez mes chants, 12
Ignorant qu’ils étaient des larmes ! 8
« Votre immense mépris, je le compte pour rien, 12
Pour rien vos paroles amères ! 8
55 « Je suis plus grand que vous, car je travaille au Bien ! 12
J’ai pitié, moi, de vos misères ! 8
Et je vais seul… j’avance : en ma force j’ai foi ; 12
Je suis l’homme du sacrifice ! 8
Et quand vous serez tous insensés comme moi, 12
60 Alors régnera la justice ! » 8
C’est afin de plus tôt les accabler ainsi 12
Que je ne veux pas mettre à leur folle merci 12
Plus longtemps mon âme brisée ; 8
Désormais nul d’entre eux ne saura ma douleur : 12
65 À toi je veux livrer ma pensée et mon cœur !… 12
Ils n’auront, eux, que ma pensée ! 8
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