Métrique en Ligne
AIC_2/AIC38
Jean AICARD
Les Jeunes Croyances
Le Rachat de la Tour
1867
IV
IV
SAUTS PÉRILLEUX
À l’Auteur des Misérables.
C’était un saltimbanque leste ! 8
Sa vie était un carnaval ; 8
Son costume d’un bleu céleste 8
Scintillait d’astres en métal. 8
5 Il avait le poing sur la hanche. 8
Sa Colombine, verte et blanche, 8
L’admirait d’un air orgueilleux ; 8
Mais sa paupière était baissée, 8
Et l’on eût dit qu’une pensée 8
10 Germait en larmes dans ses yeux ! 8
Jamais, dans les plus grandes fêtes, 8
Bouffon ne s’éleva si haut ; 8
Il faisait se dresser les têtes 8
Vers le ciel, à son moindre saut ! 8
15 Sur sa joue amaigrie et blême, 8
Sous son rire blafard qu’on aime, 8
Sauvage, perçait la douleur ; 8
Il contenait dans sa poitrine 8
Toute une tristesse divine : 8
20 Il souffrait, lui, le bateleur ! 8
Allons ! le spectateur trépigne ! 8
Allons ! gai pantin, en avant ! 8
Et si tu veux manger, sois digne 8
De ton voisin le chien savant ! 8
25 Ah ! si l’on connaissait les causes ! 8
Si l’on pouvait de toutes choses 8
Voir le fond à travers la nuit ! 8
Savons-nous où plane ton âme ? 8
Sur ces tremplins où l’on t’acclame, 8
30 Savons-nous ce qui t’a conduit ? 8
Bah ! qu’importe à la multitude ? 8
Fais-la rire, même en pleurant ; 8
Dans une grotesque attitude, 8
C’est drôle un visage navrant ! 8
35 Il vient, il bondit, il s’enlève ! 8
Sa douleur, à lui, n’est qu’un rêve ! 8
Plus que jamais leste et hardi, 8
Du haut de sa corde tendue 8
Feignant une chute éperdue, 8
40 Le saltimbanque est applaudi ! 8
Comme il roule à travers l’espace ! 8
Comme il est gracieux et fort !… 8
Mais tout à coup la corde casse, 8
Et l’on relève un homme mort. 8
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