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AIC_1/AIC2
Jean AICARD
Jeanne Darc
Le Rachat de la Tour
1866
LE MARTYRE
II
Dans ces jours en deuil où la France 8
Courbait son front pâle, abattu, 8
Ils murmuraient : « Pleins d’espérance, 8
Longtemps nous avons combattu ! 8
5 Toi, quel est ton espoir, ô femme 8
Dont un souffle briserait l’âme ? » 8
Elle dit : « Je veux un drapeau ! 8
Je veux t’aimer, France, ma mère, 8
Et dans la mêlée en colère, 8
10 Que mon glaive dorme au fourreau ! » 8
Jeanne, merci ! — Comme une Idée, 8
Glaive au repos, bannière au vent, 8
Luis sur la France fécondée 8
Où n’est plus un anglais vivant ! 8
15 Pour tant de victoires divines, 8
Que veux-tu ? — « Revoir mes collines ! » 8
Ô Jeanne, suprême soutien, 8
Ton peuple, formidable armée 8
À ta vue enthousiasmée, 8
20 Si tu disparais n’est plus rien ! 8
Elle resta, tuant en elle 8
Les jeunes songes du bonheur. 8
France ! qu’elle était grande et belle, 8
L’enfant sans reproche et sans peur ! 8
25 Le Seigneur jettera sans doute 8
Tous les paradis en sa route ? 8
Non, mais l’horreur, la trahison ; 8
Et sur la vierge qu’on insulte, 8
Après la guerre et son tumulte, 8
30 La solitude et la prison ! 8
Le roi dort dans sa nonchalance ; 8
Tes chevaliers vont accourir ; 8
Tu ne peux, sous tant de souffrance, 8
Fille de Dieu, vivre et périr ! 8
35 Ah ! ton peuple grandi se lève ; 8
Il va broyer ces murs !… vain rêve ! 8
Roi, Chevaliers, Peuple, — tout dort. 8
À quoi bon te fier aux hommes ? 8
Tu ne sais quels ingrats nous sommes ! 8
40 Ta délivrance, c’est la mort ! 8
Un conseil de prêtres s’assemble ; 8
Les Anglais tiennent leur vainqueur. 8
La Pucelle s’avance et tremble 8
Timide, la main sur le cœur. 8
45 Meurtrissant son âme meurtrie : 8
« Il faut renier ta patrie, 8
Ton roi, criaient-ils, et ton Dieu ! ». 8
« Non ! » répond-elle, faible et forte, 8
Et du cachot passant la porte, 8
50 Sublime, elle se livre au feu ! 8
Avec tous ses rayons, ta gloire 8
Ici nous apparaît, enfant ! 8
Ce n’est point ta longue victoire, 8
Reims, ni le sacre triomphant ; 8
55 C’est de faire pâlir ces traîtres, 8
D’effrayer ces bourreaux, tes maîtres ; 8
D’avilir leur orgueil brutal ; 8
Par ta mort ta vie est complète ! 8
C’est un triomphe, ta défaite ! 8
60 Ton bûcher, c’est un piédestal ! 8
Tout est consommé : le supplice 8
L’a prise à la face des cieux ; 8
Son grandiose sacrifice 8
S’efface des cœurs oublieux. 8
65 Avec son échafaud s’écroule 8
Le souvenir, — et de la foule 8
S’éteint la honte et le remord ; 8
Sur ces cendres, nulle statue, 8
Magnifique, ne perpétue 8
70 Cette existence et cette mort ! 8
Mais Quelqu’un a veillé, qui laisse, 8
Lorsque le temps écrase tout, 8
Telle qu’une ombre vengeresse, 8
La Prison de Jeanne debout. 8
75 Voilà le monument, ô France ! 8
Voilà le piédestal immense ! 8
Et quand tu l’auras acheté, 8
Consolidant cette ruine, 8
Rouen, tombeau de l’héroïne, 8
80 Sera son immortalité ! 8
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