Métrique en Ligne
ACK_2/ACK42
Louise-Victorine ACKERMANN
POÉSIES PHILOSOPHIQUES
1871
XX
Le Cri
Lorsque le passager, sur un vaisseau qui sombre, 12
Entend autour de lui les vagues retentir, 12
Qu'a perte de regard la mer immense et sombre 12
Se soulève pour l'engloutir, 8
5 Sans espoir de salut et quand le pont s'entr'ouvre, 12
Parmi les mâts brisés, terrifié, meurtri, 12
Il redresse son front hors du flot qui le couvre, 12
Et pousse au large un dernier cri. 8
Cri vain ! cri déchirant ! L'oiseau qui plane ou passe 12
10 Au delà du nuage a frissonné d'horreur, 12
Et les vents déchaînés hésitent dans l'espace 12
A l'étouffer sous leur clameur. 8
Comme ce voyager, en des mers inconnues, 12
J'erre et vais disparaître au sein des flots hurlants ; 12
15 Le gouffre est à mes pieds, sur ma tête les nues 12
S'amoncellent, la foudre aux flancs. 8
Les ondes et les cieux autour de leur victime 12
Luttent d'acharnement, de bruit, d'obscurité ; 12
En proie à ces conflits, mon vaisseau sur l'abîme 12
20 Court sans boussole et démâté. 8
Mais ce sont d'autres flots, c'est un bien autre orage 12
Qui livre des combats dans les airs ténébreux ; 12
La mer est plus profonde et surtout le naufrage 12
Plus complet et plus désastreux. 8
25 Jouet de l'ouragan qui l'emporte et le mène, 12
Encombré de trésors et d'agrès submergés, 12
Ce navire perdu, mais c'est la nef humaine, 12
Et nous sommes les naufragés. 8
L'équipage affolé manœuvre en vain dans l'ombre ; 12
30 L'Épouvante est à bord, le Désespoir, le Deuil ; 12
Assise au gouvernail, la Fatalité sombre 12
Le dirige vers un écueil. 8
Moi, que sans mon aveu l'aveugle Destinée 12
Embarqua sur l'étrange et frêle bâtiment, 12
35 Je ne veux pas non plus, muette et résignée, 12
Subir mon engloutissement. 8
Puisque, dans la stupeur des détresses suprêmes, 12
Mes pâles compagnons restent silencieux, 12
A ma voix d'enlever ces monceaux d'anathèmes 12
40 Qui s'amassent contre les cieux. 8
Afin qu'elle éclatât d'un jet plus énergique, 12
J'ai, dans ma résistance à l'assaut des flots noirs, 12
De tous les cœurs en moi, comme en un centre unique, 12
Rassemblé tous les désespoirs. 8
45 Qu'ils vibrant donc si fort, mes accents intrépides, 12
Que ces mêmes cieux sourds en tressaillent surpris ; 12
Les airs n'ont pas besoin, ni les vagues stupides, 12
Pour frissonner d'avoir compris. 8
Ah ! c'est un cri sacré que tout cri d'agonie ; 12
50 Il proteste, il accuse au moment d'expirer. 12
Eh bien ! ce cri d'angoisse et d'horreur infinie, 12
Je l'ai jeté ; je puis sombrer ! 8
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