Métrique en Ligne
ACK_2/ACK36
Louise-Victorine ACKERMANN
POÉSIES PHILOSOPHIQUES
1871
XIV
De la Lumière
Mehr Licht ! mehr Licht !
(Dernières paroles de Gœthe.)
Quand le vieux Gœthe un jour cria : « De la lumière ! » 12
Contre l'obscurité luttant avec effort, 12
Ah ! Lui du moins déjà sentait sur sa paupière 12
Peser le voile de la mort. 8
5 Nous, pour le proférer ce même cri terrible, 12
Nous avons devancé les affres du trépas ; 12
Notre œil perçoit encore, oui ! Mais, supplice horrible ! 12
C'est notre esprit qui ne voit pas. 8
Il tâtonne au hasard depuis des jours sans nombre, 12
10 A chaque pas qu'il fait forcé de s'arrêter ; 12
Et, bien loin de percer cet épais réseau d'ombre, 12
Il peut à peine l'écarter. 8
Parfois son désespoir confine à la démence. 12
Il s'agite, il s'égare au sein de l'Inconnu, 12
15 Tout prêt à se jeter, dans son angoisse immense, 12
Sur le premier flambeau venu. 8
La Foi lui tend le sien en lui disant : « J'éclaire ! 12
Tu trouveras en moi la fin de tes tourments. » 12
Mais lui, la repoussant du geste avec colère, 12
20 A déjà répondu : « Tu mens ! » ! 8
« Ton prétendu flambeau n'a jamais sur la terre 12
Apporté qu'un surcroît d'ombre et de cécité ; 12
Mais réponds-nous d'abord : est-ce avec ton mystère 12
Que tu feras de la clarté ? » ! 8
25 La Science à son tour s'avance et nous appelle. 12
Ce ne sont entre nous que veilles et labeurs. 12
Eh bien ! Tous nos efforts à sa torche immortelle 12
N'ont arraché que les lueurs. 8
Sans doute elle a rendu nos ombres moins funèbres ; 12
30 Un peu de jour s'est fait où ses rayons portaient ; 12
Mais son pouvoir ne va qu'à chasser des ténèbres 12
Les fantômes qui les hantaient. 8
Et l'homme est là, devant une obscurité vide, 12
Sans guide désormais, et tout au désespoir 12
35 De n'avoir pu forcer, en sa poursuite avide, 12
L'Invisible à se laisser voir. 8
Rien ne le guérira du mal qui le possède ; 12
Dans son âme et son sang il est enraciné, 12
Et le rêve divin de la lumière obsède 12
40 A jamais cet aveugle-né. 8
Qu'on ne lui parle pas de quitter sa torture. 12
S'il en souffre, il en vit ; c'est là son élément ; 12
Et vous n'obtiendrez pas de cette créature 12
Qu'elle renonce à son tourment. 8
45 De la lumière donc ! Bien que ce mot n'exprime 12
Qu'un désir sans espoir qui va s'exaspérant. 12
A force d'être en vain poussé, ce cri sublime 12
Devient de plus en plus navrant. 8
Et, quand il s'éteindra, le vieux Soleil lui-même 12
50 Frissonnera d'horreur dans son obscurité, 12
En l'entendant sortir, comme un adieu suprême, 12
Des lèvres de l'Humanité. 8
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