Métrique en Ligne
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Louise-Victorine ACKERMANN
PREMIÈRES POÉSIES
1862
XVI
L'Hyménée et l'Amour
Sur le seuil des enfers Eurydice éplorée 12
S'évaporait légère, et cette ombre adorée 12
À son époux en vain dans un suprême effort 12
Avait tendu les bras. Vers la nuit éternelle, 12
5 Par delà les flots noirs le Destin la rappelle ; 12
Déjà la barque triste a gagné l'autre bord. 12
Tout entier aux regrets de sa perte fatale, 12
Orphée erra longtemps sur la rive infernale. 12
Sa voix du nom chéri remplit ces lieux déserts. 12
10 Il repoussait du chant la douceur et les charmes ; 12
Mais, sans qu'il la touchât, sa lyre sous ses larmes 12
Rendait un son plaintif qui mourait dans les airs. 12
Enfin, las d'y gémir, il quitta ce rivage 12
Témoin de son malheur. Dans la Thrace sauvage 12
15 Il s'arrête, et là, seul, secouant la torpeur 12
Où le désespoir sombre endormait son génie, 12
Il laissa s'épancher sa tristesse infinie 12
En de navrants accords arrachés à son cœur. 12
Ce fut le premier chant de la douleur humaine 12
20 Que ce cri d'un époux et que sa plainte vaine ; 12
La parole et la lyre étaient des dons récents. 12
Alors la poésie émue et colorée 12
Voltigeait sans effort sur la lèvre inspirée 12
Dans la grâce et l'ampleur de ses jeunes accents. 12
25 Des sons harmonieux telle fut la puissance 12
Qu'elle adoucit bientôt cette amère souffrance ; 12
Un sanglot moins profond sort de ce sein brisé. 12
La Muse d'un sourire a calmé le poète ; 12
Il sent, tandis qu'il chante, une vertu secrète 12
30 Descendre lentement dans son cœur apaisé. 12
Et tout à coup sa voix qu'attendrissent encore 12
Les larmes qu'il versa, prend un accent sonore. 12
Son chant devient plus pur ; grave et mélodieux, 12
Il célèbre à la fois dans son élan lyrique 12
35 L'Hyménée et l'Amour, ce beau couple pudique 12
Qui marche heureux et fier sous le regard des Dieux. 12
Il les peint dans leur force et dans la confiance 12
De leurs vœux éternels. Sur le Temps qui s'avance 12
Ils ont leurs yeux fixés que nul pleur n'a ternis. 12
40 Leur présence autour d'eux répand un charme austère ; 12
Mais ces enfants du ciel descendus sur la terre 12
Ne sont vraiment divins que quand ils sont unis. 12
Oui, si quelque erreur triste un moment les sépare, 12
Dans leurs sentiers divers bientôt chacun s'égare. 12
45 Leur pied mal affermi trébuche à tout moment. 12
La Pudeur se détourne et les Grâces décentes, 12
Qui les suivaient, formant des danses innocentes, 12
Ont à l'instant senti rougir leur front charmant. 12
Eux seuls en l'enchantant font à l'homme éphémère 12
50 Oublier ses destins. Leur main douce et légère 12
Le soutient dans la vie et le guide au tombeau. 12
Si les temps sont mauvais et si l'horizon semble 12
S'assombrir devant eux, ils l'éclairent ensemble, 12
Appuyés l'un sur l'autre et n'ayant qu'un flambeau. 12
55 Pour mieux entendre Orphée, au sein de la nature 12
Tout se taisait ; les vents arrêtaient leur murmure. 12
Même les habitants de l'Olympe éthéré 12
Oubliaient le nectar ; devant leur coupe vide 12
Ils écoutaient charmés, et d'une oreille avide, 12
60 Monter vers eux la voix du mortel inspiré. 12
Ces deux divinités que chantait l'hymne antique 12
N'ont rien perdu pour nous de leur beauté pudique ; 12
Leur front est toujours jeune et serein. Dans leurs yeux 12
L'immortelle douceur de leur âme respire. 12
65 Calme et pur, le bonheur fleurit sous leur sourire ; 12
Un parfum sur leurs pas trahit encor les Dieux. 12
Bien des siècles ont fui depuis l'heure lointaine 12
Où la Thrace entendit ce chant ; sur l'âme humaine 12
Plus d'un souffle a passé ; mais l'homme sent toujours 12
70 Battre le même cœur au fond de sa poitrine. 12
Gardons-nous d'y flétrir la fleur chaste et divine 12
De l'amour dans l'hymen éclose aux anciens jours. 12
L'âge est triste ; il pressent quelque prochaine crise. 12
Déjà plus d'un lien se relâche ou se brise. 12
75 On se trouble, on attend. Vers un but ignoré 12
Lorsque l'orage est là qui bientôt nous emporte, 12
Ah ! pressons, s'il se peut, d'une étreinte plus forte 12
Un cœur contre le nôtre, et dans un nœud sacré. 12
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