Métrique en Ligne
GLA_1/GLA9
Albert GLATIGNY
Le Fer rouge
1870
IX
WILHELMSHŒHE
C'est un château galant, trianon germanique, 12
Qu'un bottier de Cassel, laissant là sa manique, 12
Construisit en l'honneur des grâces et des ris. 12
Les fourrés sont épais, les sentiers sont fleuris ; 12
5 L'ombre est douce, l'eau court dans le parc, les statues 12
Agacent le regard, blanches et court-vêtues. 12
On voit bondir parfois de beaux cerfs familiers, 12
Et les roses, lançant leurs parfums par milliers, 12
Ignorent que l'on parle allemand autour d'elles ; 12
10 Les oiseaux au soleil font un charmant bruit d'ailes. 12
On rêve en ce retrait, dans un frais demi-jour, 12
Quelque jeune margrave, aux airs de Pompadour, 12
Devant un grand miroir ajustant une mouche… 12
Non ! C'est un vieux soudard, au front bas, à l'œil louche, 12
15 Qui bâille en regardant les panneaux de Lancret. 12
Bazile, en le voyant rire, se convaincrait 12
Que sa race hideuse est encor de ce monde ; 12
Car s'il a dépouillé la souquenille immonde 12
Du vieux maître de chant, pour se chamarrer d'or, 12
20 Ce cuistre n'a pas su se défroquer encor 12
De son masque à soufflets et de son œil atone, 12
Qu'un rayon de soleil ou de franchise étonne. 12
Ce fantoche cassé que, dans ses doigts étroits, 12
La démence a saisi, c'est Napoléon Trois. 12
25 La honte ne rougit pas même sa pommette. 12
Il mange. Il est heureux pourvu qu'on lui permette 12
De s'habiller en chien savant. Il est d'un sang 12
Où l'on aime à l'excès les plaques de fer-blanc. 12
Que de croix ! Il en a jusques aux jarretières ! 12
30 Et pour jouer avec met des heures entières. 12
Il a pour ces hochets un sourire enfantin : 12
On les met dans sa couche, afin que le matin 12
Il ne pleure pas trop.
Il rumine, il digère ;
Sa conscience est nulle, et son âme est légère ; 12
35 Et cependant, le vent dans les arbres, le soir, 12
Gémit lugubrement, et l'homme pourrait voir 12
Les morts de Wissembourg et les morts de décembre 12
Coller leur face pâle aux vitres de la chambre… 12
Il en vient de Cayenne, il en vient des pontons, 12
40 Soldats, proscrits, martyrs, ceux dont nous racontons 12
Dans les veilles d'hiver l'histoire épouvantable… 12
Alors il se réveille, il s'accroche à la table, 12
Et tremblant, effaré, s'écrie avec stupeur : 12
« Apportez des flambeaux ! Piétri ! Piétri ! J'ai peur ! » 12
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