Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_3/DES272
Marceline DESBORDES-VALMORE
BOUQUETS ET PRIÈRES
1843
JOURS D'ÉTÉ
Ma sœur m'aimait en mère : | elle m'apprit à lire. 6+6 a
Ce qu'elle y mit d'ardeur | ne saurait se décrire : 6+6 a
Mais l'enfant ne sait pas | qu'apprendre, c'est courir, 6+6 b
Et qu'on lui donne, assis, | le monde à parcourir. 6+6 b
5 Voir ! voir ! l'enfant veut voir. | Les doux bruits de la rue 6+6 a
Albertine charmante | à la vitre apparue, 6+6 a
Élevant ses bouquets, | ses volans, et là-bas, 6+6 b
Les jeux qui m'attendaient | et ne commençaient pas ; 6+6 b
Oh ! le livre avait tort ! | Tous les livres du monde, 6+6 a
10 Ne valaient pas un chant | de la lointaine ronde, 6+6 a
Où mon âme sans moi | tournait de main en main, 6+6 b
Quand ma sœur avait dit : | — Tu danseras demain. 6+6 b
Demain, c'était jamais ! | Ma jeune providence, 6+6 a
Nouant d'un fil prudent | les ailes de la danse, 6+6 a
15 Me répétait en vain | toute grave et tout bas : 6+6 b
« Vois donc : je suis heureuse, | et je ne danse pas. » 6+6 b
J'aimais tant les anges 5 a
Glissant au soleil ! 5 b
Ce flot sans mélanges, 5 a
20 D'amour sans pareil ! 5 b
Étude vivante 5 c
D'avenirs en fleur ; 5 d
École savante, 5 c
Savante au bonheur ! 5 d
25 Pour regarder de près | ces aurores nouvelles, 6+6 a
Mes six ans curieux | battaient toutes leurs ailes ; 6+6 a
Marchant sur l'alphabet | rangé sur mes genoux, 6+6 b
La mouche en bourdonnant | me disait : Venez-vous ?… 6+6 b
Et mon nom qui tintait | dans l'air ardent de joie, 6+6 a
30 Les pigeons sans liens | sous leur robe de soie, 6+6 a
Mollement envolés | de maison en maison, 6+6 b
Dont le fluide essor | entraînait ma raison ; 6+6 b
Les arbres, hors des murs | poussant leurs têtes vertes ; 6+6 a
Jusqu'au fond des jardins | les demeures ouvertes ; 6+6 a
35 Le rire de l'été | sonnant de toutes parts, 6+6 b
Et le congé, sans livre ! | errant aux vieux remparts : 6+6 b
Tout combattait ma sœur | à l'aiguille attachée ; 6+6 a
Tout passait en chantant | sous ma tête penchée ; 6+6 a
Tout m'enlevait, boudeuse | et riante à la fois ; 6+6 b
40 Et l'alphabet toujours | s'endormait dans ma voix. 6+6 b
Oh ! l'enfance est poète. | Assise ou turbulente, 6+6 a
Elle reconnaît tout | empreint de plus haut lieu : 6+6 b
L'oiseau qui jette au loin | sa musique volante, 6+6 a
Lui chante une lettre de Dieu ! 8 b
45 Moi, j'y reviens toujours | à l'enfance chérie, 6+6 a
Comme un pâle exilé | cherche au loin sa patrie » 6+6 a
Bel âge qui demande : |en quoi sont faits les morts ? 6+6 b
_Et dit avec Malcolm ; | « Qu'est-ce que le Remords ? » 6+6 b
Esprit qui passe, ouvrant | son aile souple et forte, 6+6 a
50 Au souffle impérieux | qui l'enivre et l'emporte, 6+6 a
D'où vient qu'à ton beau rêve | où se miraient les cieux, 6+6 b
Je sens fondre une larme | en un coin dé mes yeux ? 6+6 b
C'est qu'aux flots de lait pur | que me versait ma mère, 6+6 a
Ne se mêlait alors | pas une goutte amère ; 6+6 a
55 C'est qu'on baisait l'enfant | qui criait : Tout pour moi ! 6+6 b
C'est qu'on lui répondait | encor : « Oui tout pour toi ; 6+6 b
« Veux-tu le monde aussi ? | tu l'auras, ma jeune âme. » 6+6 a
Hélas ! qu'avons-nous eu ? | belle espérance ! ô femme ! 6+6 a
O toi qui m'as trompée | avec tes blonds cheveux, 6+6 b
60 Tes chants de rossignol | et tes placides jeux ! 6+6 b
Ma sœur : ces jours d'été | nous les courions ensemble ; 6+6 a
Je reprends sous leurs flots | ta douce main qui tremble ; 6+6 a
Je t'aime du bonheur | que tu tenais de moi ; 6+6 b
Et mes soleils d'alors | se rallument sur toi ! 6+6 b
65 Mais j'épelais enfin : | l'esprit et la lumière, 6+6 a
Éclairaient par degrés | la page, la première 6+6 a
D'un beau livre, terni | sous mes doigts, sous mes pleurs, 6+6 b
Où la Bible aux enfans | ouvre toutes ses fleurs : 6+6 b
Pourtant c'est par le cœur, | cette bible vivante, 6+6 a
70 Que je compris bientôt | qu'on me faisait savante : 6+6 a
Dieu ! le jour n'entre-t-il | dans notre entendement, 6+6 b
Que trempé pour jamais | d'un triste sentiment ! 6+6 b
Un frêle enfant manquait | aux genoux de ma mère : 6+6 a
Il s'était comme enfui | par une bise amère, 6+6 a
75 Et, disparu du rang | de ses petits amis, 6+6 b
Au berceau blanc, le soir, | il ne fut pas remis. 6+6 b
Ce vague souvenir, | sur ma jeune pensée 6+6 a
Avait pesé deux ans, | et puis, m'avait laissée. 6+6 a
Je ne comprenais plus | pourquoi, pâle de pleurs, 6+6 b
80 Ma mère, vers l'église | allait avec ses fleurs. 6+6 b
L'église, en ce temps là, | des vertes sépultures, 6+6 a
Se composait encor | de sévères ceintures ; 6+6 a
Et versant sur les morts | ses longs hymnes fervens, 6+6 b
Au rendez-vous de tous | appelait les vivans. 6+6 b
85 C'était beau d'enfermer | dans une même enceinte, 6+6 a
La poussière animée | et la poussière éteinte ; 6+6 a
C'était doux, dans les fleurs | éparses au saint lieu, 6+6 b
De respirer son père | en visitant son Dieu ! 6+6 b
J'y pense ; un jour | de tiède et pâle automne, 4+6 a
90 Après le mois | qui consume et qui tonne, 4+6 a
Près de ma sœur | et ma main dans sa main, 4+6 b
De Notre-Dame | ayant pris le chemin 4+6 b
Tout sinueux, | planté de croix fleuries, 4+6 a
Où se mouraient | des couronnes flétries, 4+6 a
95 Je regardais | avec saisissement 4+6 b
Ce que ma sœur | saluait tristement. 4+6 b
La lune large | avant la nuit levée, 4+6 a
Comme une lampe | avant l'heure éprouvée, 4+6 a
D'un reflet rouge | enluminait les croix, 4+6 b
100 L'église blanche | et tous ces lits étroits ; 4+6 b
Puis, dans les coins | le chardon solitaire, 4+6 a
Éparpillait | ses flocons sur la terre. 4+6 a
Sans deviner | ce que c'est que mourir, 4+6 a
Devant la mort | je n'osai plus courir. 4+6 a
105 Un ruban gris | qui serpentait dans l'herbe, 4+6 b
De résédas | nouant l'humide gerbe, 4+6 b
Tira mon âme | au tertre le plus vert, 4+6 a
Sous la madone, | au flanc sept fois ouvert : 4+6 a
Là, j'épelai | notre nom de famille, 4+6 b
110 Et je pâlis, | faible petite fille ; 4+6 b
Puis mot à mot : | « Notre dernier venu 4+6 a
Est passé là | vers le monde inconnu ! » 4+6 a
Cette leçon, | aux pieds de Notre-Dame, 4+6 b
Mouilla mes yeux | et dessilla mon âme : 4+6 b
115 Je savais lire ! | et j'appris sous des fleurs, 4+6 a
Ce qu'une mère | aime avec tant de pleurs. 4+6 a
Je savais lire… | et je pleurai moi-même. 4+6 b
Merci, ma sœur : | on pleure dès qu'on aime. 4+6 b
Si jeune donc | que soit le souvenir ; 4+6 a
120 C'est par un deuil | qu'il faut y revenir ? 4+6 a
Mais, que j'aime à t'aimer, | sœur charmante et sévère, 6+6 a
Qui reçus pour nous deux | l'instinct qui persévère ; 6+6 a
Rayon droit du devoir, | humble, ardent et caché, 6+6 b
Sur mon aveugle vie | à toute heure épanché ! 6+6 b
125 Oh ! si Dieu m'aime encore ; | oh ! si Dieu me remporte, 6+6 a
Comme un rêve flottant, | sur le seuil de ta porte, 6+6 a
Devant mes traits changés | si tu fermes tes bras, 6+6 b
Je saisirai ta main… |, tu me reconnaîtras ! 6+6 b
mètre profils métriques : 5, 6+6, 4+6, (8)
logo du CRISCO logo de l'université