Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
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Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
POÉSIES DIVERSES
UNE MÈRE
IMITATION DE SHAKSPEARE
On accourt, on veut voir | la mère infortunée 6+6 a
D’Arthur ; et la Pitié | muette, consternée, 6+6 a
Pleure, et n’ose répondre | à ses profonds sanglots ; 6+6 a
Et la prison mobile | emporte sur les flots 6+6 a
5 Arthur, le jeune Arthur, | l’espoir de son veuvage, 6+6 a
Cet enfant-roi | tombé dans l’esclavage. 4+6 a
Inconsolable, errante | aux rivages déserts, 6+6 a
De longs gémissements | elle frappe les airs, 6+6 a
Comme un aigle éperdu | à son nid enlevée, 6+6 a
10 Quand le lâche vautour, | usurpateur affreux, 6+6 b
Cherchant un festin ténébreux, 8 b
Dans l’ombre a dévoré | la royale couvée. 6+6 a
Sur le sable où la nuit | répand un voile obscur 6+6 a
L’Écho mourant répond : | Arthur ! mon cher Arthur !… 6+6 a
15 Un heureux de la terre, | un sage, un insensible, 6+6 a
Ne voit dans ses clameurs | qu’un fol égarement ; 6+6 b
Pâle, elle ouvre les yeux, | le regarde un moment, 6+6 b
Et repousse en ces mots | cette voix inflexible : 6+6 a
« Il me parle ! et jamais | il n’a connu mon fils ; 6+6 a
20 Il n’entend pas mon âme, | il me croit insensée. 6+6 b
Eh ! que me rendra-t-il | pour tous mes biens ravis ? 6+6 a
Que dit-il ?… Je ne sais, | mais sa voix m’a blessée. 6+6 b
Oh ! tais-toi ! J’aime mieux | écouter ma douleur ; 6+6 a
Elle parle d’Arthur, | elle a ses jeunes charmes, 6+6 b
25 Elle a ses derniers cris, | ses sanglots et ses larmes, 6+6 b
Ses suppliantes mains, | son effroi, sa pâleur ; 6+6 a
Elle est… ce qu’il était ! | Oui, cette ombre fidèle 6+6 a
Au milieu de la nuit | me réveille, m’appelle, 6+6 a
M’embrasse et m’apparaît | avec ses traits chéris. 6+6 a
30 Laisse-moi l’adorer, | elle me rend mon fils ; 6+6 a
Elle me rend sa voix ! | Je l’écoute, je pleure ; 6+6 a
Je la suis comme Arthur, | au son triste de l’heure ; 6+6 a
Et sous son vêtement, | quand je l’ai rencontré, 6+6 a
Elle m’en a fait voir | le fantôme adoré. 6+6 a
35 « Toi, tu n’as pas de fils, | je le vois, j’en suis sûre : 6+6 a
Effrayé pour toi-même | et plaignant ma blessure, 6+6 a
Tu te fondrais en pleurs, | tu ne pourrais parler. 6+6 a
Non ! tu n’as pas de fils ! |… peux-tu me consoler ? 6+6 a
Toi seul n’es pas ému | de mes plaintes amères ; 6+6 a
40 Quand je parle d’Arthur, | tout m’entend, tout frémit. 6+6 b
Les Anges attentifs | pleurent aux cris des mères ; 6+6 a
Dieu même en les frappant | les regarde et gémit ; 6+6 b
Il est père ! il est Dieu. | Dans sa miséricorde, 6+6 a
Il forme de nos pleurs | l’espoir qu’il nous accorde : 6+6 a
45 On m’a volé mon fils, | et Dieu me le rendra. 6+6 a
Mais ici… plus jamais | nous n’y serons ensemble. 6+6 b
On m’a volé mon fils, | on l’emmène… il mourra… 6+6 a
Et je ne verrai plus | d’enfant qui lui ressemble ! 6+6 b
« Que ne suis-je insensée ! |… en mes rêves confus 6+6 a
50 Je serais, comme toi, | froide, austère, farouche ; 6+6 b
Et le doux nom d’Arthur, | exilé de ma bouche, 6+6 b
Fuirait de ma mémoire, | et je n’aimerais plus ! 6+6 a
Je préfère la mort | à ce songe immobile ; 6+6 a
Je veux aimer toujours | ce que j’ai tant aimé, 6+6 b
55 Arthur, mon cher Arthur, | qu’en ta pitié stérile 6+6 a
Tu ne m’as pas nommé ! 6 b
« Oh parle-moi d’Arthur ! |… Mais tu ne peux m’entendre. 6+6 a
Hélas ! ce que le ciel | a formé de plus tendre, 6+6 a
Son miracle d’amour, | est-il connu de toi ? 6+6 a
60 C’est le cœur d’une mère, | et je le porte en moi, 6+6 a
Et je n’ai plus d’enfant ! | et sa grâce enchaînée, 6+6 a
Et ses pas inégaux, | que je guidais encore, 6+6 b
Loin de ma destinée, 6 a
Ont emporté son sort ! 6 b
65 Et ce bel arbrisseau, | dont la tige brisée 6+6 a
Promettait à ma vie | un ombrage si beau, 6+6 b
Va languir sans amour, | sans soleil, sans rosée, 6+6 a
Sans fleur pour mon tombeau !… 6 b
Va ! je ne suis pas insensée ! 8 a
70 « Ma raison tout entière | éclate dans mes pleurs ; 6+6 b
Elle approuve, elle ordonne, | elle accroît mes douleurs, 6+6 b
Et c’est un crime à toi | de la dire éclipsée. 6+6 a
Qui donc était sa mère ? |… Oh ! moi !… c’était bien moi ; 6+6 a
Ces pleurs… ce sont mes pleurs | qui tombent devant toi ; 6+6 a
75 Peux-tu les démentir ? | Sans joie et sans parure 6+6 a
Comme un saule mourant | traîne sa chevelure, 6+6 a
Vois mon front se courber : | sous ce voile de deuil, 6+6 a
C’est la mère d’Arthur | qui se traîne au cercueil. 6+6 a
Suis-je insensée ? Eh bien ! | à ce nom qu’on lui donne, 6+6 a
80 C’est la mère d’Arthur | qui meurt et qui pardonne ; 6+6 a
Et si tu n’es ému, | si ton cœur est glacé, 6+6 a
Va, c’est toi qu’il faut plaindre | et nommer insensé ! 6+6 a
« Et vous qui me disiez, | dans vos leçons pieuses, 6+6 a
Qu’au delà du tombeau | Dieu nous rend nos amours, 6+6 b
85 Ma mère, ouvrez les cieux, | vos mains religieuses 6+6 a
Vont recevoir mon fils ; | gardez-le moi toujours ! 6+6 b
J’irai bientôt, bientôt… | Mais si l’affreuse envie 6+6 a
Veut le faire périr, 6 b
Souffrant, décoloré, | détruit, il va mourir ; 6+6 b
90 Je méconnaîtrai donc | mon sang, ma propre vie ! 6+6 a
Arrachez-moi le cœur, | ou cet horrible effroi ; 6+6 a
Vous tous qui m’écoutez, | sauvez-le, sauvez-moi ! 6+6 a
Otez-moi ces bandeaux | qui pèsent sur ma tête ; 6+6 a
Je veux m’enfuir… Laissez… | Non, que rien ne m’arrête, 6+6 a
95 Laissez-moi l’appeler, | n’étouffez pas mes cris ; 6+6 a
Mon Arthur ! mon enfant ! | mon univers ! mon fils !…» 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6, 6+6, (4+6)
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