Métrique en Ligne
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F = "e" féminin
| = césure
BRB_1/BRB42
Auguste BARBIER
Ïambes et poèmes
1831
LAZARE
LA LYRE D'AIRAIN
Quand l'Italie en délire, 7 a
L'Allemagne aux blonds cheveux, 7 b
Se partagent toutes deux 7 b
Les plus beaux fils de la lyre, 7 a
5 Hélas ! Non moins chère aux dieux, 7 b
La ténébreuse Angleterre, 7 a
Dans son île solitaire, 7 a
Ne sent vibrer sous sa main 7 a
Qu'un luth aux cordes d'airain. 7 a
10 Ah ! Pour elle Polymnie, 7 a
La mère de l'harmonie, 7 a
N'a que de rudes accents, 7 a
Et les bruits de ses fabriques 7 b
Sont les hymnes magnifiques 7 b
15 Et les sublimes cantiques 7 b
Qui viennent frapper ses sens. 7 a
Écoutez, écoutez, enfants des autres terres ! 6+6 a
Enfants du continent, prêtez l'oreille aux vents 6+6 b
Qui passent sur le front des villes ouvrières, 6+6 a
20 Et ramassent au vol comme flots de poussières 6+6 a
Les cris humains qui montent de leurs flancs ! 4+6 b
Écoutez ces soupirs, ces longs gémissements 6+6 b
Que vous laisse tomber leur aile vagabonde, 6+6 a
Et puis vous me direz s'il est musique au monde 6+6 a
25 Qui surpasse en terreur profonde 8 a
Les chants lugubres qu'en ces lieux 8 a
Des milliers de mortels élèvent jusqu'aux cieux ! 6+6 a
Là tous les instruments qui vibrent à l'oreille 6+6 a
Sont enfants vigoureux du cuivre ou de l'airain ; 6+6 b
30 Ce sont des balanciers dont la force est pareille 6+6 a
À cent chevaux frappés d'un aiguillon soudain ; 6+6 b
Ici, comme un taureau, la vapeur prisonnière 6+6 a
Hurle, mugit au fond d'une vaste chaudière, 6+6 a
Et, poussant au dehors deux immenses pistons, 6+6 a
35 Fait crier cent rouets à chacun de leurs bonds. 6+6 a
Plus loin, à travers l'air, des milliers de bobines 6+6 a
Tournant avec vitesse et sans qu'on puisse voir, 6+6 b
Comme mille serpents aux langues assassines 6+6 a
Dardent leurs sifflements du matin jusqu'au soir. 6+6 b
40 C'est un choc éternel d'étages en étages, 6+6 a
Un mélange confus de leviers, de rouages, 6+6 a
De chaînes, de crampons se croisant, se heurtant, 6+6 b
Un concert infernal qui va toujours grondant, 6+6 b
Et dans le sein duquel un peuple aux noirs visages, 6+6 a
45 Un peuple de vivants rabougris et chétifs 6+6 a
Mêlent comme chanteurs des cris sourds et plaintifs. 6+6 a
L'ouvrier
Ô maître, bien que je sois pâle, 8 a
Bien qu'usé par de longs travaux 8 b
Mon front vieillisse, et mon corps mâle 8 a
50 Ait besoin d'un peu de repos ; 8 b
Cependant, pour un fort salaire, 8 a
Pour avoir plus d'ale et de bœuf, 8 b
Pour revêtir un habit neuf, 8 b
Il n'est rien que je n'ose faire : 8 a
55 Vainement la consomption, 8 a
La fièvre et son ardent poison, 8 a
Lancent sur ma tête affaiblie 8 a
Les cent spectres de la folie, 8 a
Maître, j'irai jusqu'au trépas ; 8 a
60 Et si mon corps ne suffit pas, 8 a
J'ai femme, enfants que je fais vivre, 8 a
Ils sont à toi, je te les livre. 8 a
Les enfants
Ma mère, que de maux dans ces lieux nous souffrons ! 6+6 a
L'air de nos ateliers nous ronge les poumons, 6+6 a
65 Et nous mourons, les yeux tournés vers les campagnes. 6+6 a
Ah ! Que ne sommes-nous habitants des montagnes, 6+6 a
Ou pauvres laboureurs dans le fond d'un vallon ; 6+6 a
Alors traçant en paix un fertile sillon, 6+6 a
Ou paissant des troupeaux aux penchants des collines, 6+6 a
70 L'air embaumé des fleurs serait notre aliment 6+6 b
Et le divin soleil notre chaud vêtement. 6+6 b
Et, s'il faut travailler sur terre, nos poitrines 6+6 a
Ne se briseraient pas sur de froides machines, 6+6 a
Et la nuit nous laissant respirer ses pavots, 6+6 a
75 Nous dormirions enfin comme les animaux. 6+6 a
La femme
Pleurez, criez, enfants dont la misère 4+6 a
De si bonne heure a ployé les genoux, 4+6 b
Plaignez-vous bien : les animaux sur terre 4+6 a
Les plus soumis à l'humaine colère 4+6 a
80 Sont quelquefois moins malheureux que nous. 4+6 b
La vache pleine et dont le terme arrive 4+6 a
Reste à l'étable, et sans labeur nouveau, 4+6 b
Paisiblement sur une couche oisive 4+6 a
Va déposer son pénible fardeau ; 4+6 b
85 Et moi, malgré le poids de mes mamelles, 4+6 a
Mes flancs durcis, mes douleurs maternelles, 4+6 a
Je ne dois pas m'arrêter un instant : 4+6 b
Il faut toujours travailler comme avant, 4+6 b
Vivre au milieu des machines cruelles, 4+6 a
90 Monter, descendre, et risquer en passant 4+6 b
De voir broyer par leurs dures ferrailles, 4+6 a
L'œuvre de Dieu dans mes jeunes entrailles. 4+6 a
Le maître
Malheur au mauvais ouvrier 8 a
Qui pleure au lieu de travailler ; 8 a
95 Malheur au fainéant, au lâche, 8 a
À celui qui manque à sa tâche 8 a
Et qui me prive de mon gain ; 8 b
Malheur ! Il restera sans pain. 8 b
Allons, qu'on veille sans relâche, 8 a
100 Qu'on tienne les métiers en jeu ; 8 a
Je veux que ma fabrique en feu 8 a
Écrase toutes ses rivales, 8 a
Et que le coton de mes halles, 8 a
En quittant mes brûlantes salles, 8 a
105 Pour habiller le genre humain, 8 a
Me rentre à flots d'or dans la main. 8 a
Et le bruit des métiers de plus fort recommence, 6+6 a
Et chaque lourd piston dans la chaudière immense, 6+6 a
Comme les deux talons d'un fort géant qui danse, 6+6 a
110 S'enfonce et se relève avec un sourd fracas. 6+6 a
Les leviers ébranlés entrechoquent leurs bras, 6+6 a
Les rouets étourdis, les bobines actives 6+6 a
Lancent leurs cris aigus, et les clameurs plaintives, 6+6 a
Les humaines chansons plus cuisantes, plus vives, 6+6 a
115 Se perdent au milieu de ce sombre chaos, 6+6 a
Comme un cri de détresse au vaste sein des flots… 6+6 a
Ah ! Le hurlement sourd des vagues sur la grève, 6+6 a
Le cri des dogues de Fingal, 8 b
Le sifflement des pins que l'ouragan soulève 6+6 a
120 Et bat de son souffle infernal, 8 b
La plainte des soldats déchirés par le glaive, 6+6 a
La balle et le boulet fatal, 8 b
Tous les bruits effrayants que l'homme entend ou rêve 6+6 a
À ce concert n'ont rien d'égal ; 8 b
125 Car cette noire symphonie 8 a
Aux instruments d'airain, à l'archet destructeur, 6+6 b
Ce sombre oratorio qui fait saigner le cœur, 6+6 b
Sont chantés souvent en partie 8 a
Par l'avarice et la douleur. 8 b
130 Et vous, heureux enfants d'une douce contrée 6+6 a
Où la musique voit sa belle fleur pourprée, 6+6 a
Sa fraîche rose au calice vermeil, 4+6 a
Croître et briller sans peine aux rayons du soleil, 6+6 a
Vous qu'on traite souvent dans cette courte vie 6+6 a
135 De gens mous et perdus aux bras de la folie, 6+6 a
Parce que doux viveurs, sans ennui, sans chagrins, 6+6 a
Vous respirez par trop la divine ambroisie 6+6 b
Que cette fleur répand sur vos brûlants chemins, 6+6 a
Ah ! Bienheureux enfants de l'Italie, 4+6 b
140 Tranquilles habitants des golfes aux flots bleus, 6+6 c
Beaux citoyens des monts, des champs voluptueux 6+6 c
Que le reste du monde envie ; 8 b
Laissez dire l'orgueil au fond de ses frimas ! 6+6 a
Et bien que l'industrie, ouvrant de larges bras, 6+6 a
145 Épanche à flots dorés sur la face du monde 6+6 a
Les trésors infinis de son urne féconde, 6+6 a
Enfants dégénérés, oh ! Ne vous pressez pas 6+6 a
D'échanger les baisers de votre enchanteresse 6+6 b
Et les illusions qui naissent sous ses pas, 6+6 a
150 Contre les dons de cette autre déesse 4+6 b
Qui veut bien des humains soulager la détresse, 6+6 b
Mais qui, le plus souvent, ne leur accorde, hélas ! 6+6 a
Qu'une existence rude et fertile en combats, 6+6 a
Où, pour faire à grand'peine un gain de quelques sommes 6+6 a
155 Le fer use le fer et l'homme use les hommes. 6+6 a
mètre profils métriques : 7, 8, 6+6, 4+6
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