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BAN_1/BAN57
Théodore de BANVILLE
Les Cariatides
1842
LIVRE TROISIÈME
LES CAPRICES
En dizains à la manière de Clément Marot
I
CONGÉ
çà, qu'on me laisse, amour, petit maraud. 4+6 a
Va ! Donne-moi la paix ; je veux écrire, 4+6 b
À la façon de mon aïeul Marot, 4+6 a
Qui dans son temps n'eut jamais de quoi frire, 4+6 b
5 Quelques dizains, car il est temps de rire. 4+6 b
Donc, loin de moi le vulgaire odieux ! 4+6 c
Et d'un vaillant effort, s'il plaît aux Dieux, 4+6 c
J'en veux polir, dans mes rimes hardies, 4+6 d
Autant qu'Homère, esprit mélodieux, 4+6 c
10 En son poëme a fait de rhapsodies. 4+6 d
II
LE VALLON
Dans ce vallon ne cherchez pas des fleurs, 4+6 a
Ou bien un vol d'insectes vers la nue 4+6 b
Ou le babil des oiseaux querelleurs. 4+6 a
Non, frémissant d'une horreur inconnue 4+6 b
15 Jusqu'en ses os, la terre est toute nue. 4+6 b
Rien. C'est le deuil, le silence, la mort, 4+6 c
Et sur le sol, par un constant effort, 4+6 c
Les ouragans ont jeté leur ravage ; 4+6 d
Mais sous le vent avide qui le mord, 4+6 c
20 Ici grandit un lys pur et sauvage. 4+6 d
III
FÊTE GALANTE
Voilà Silvandre et Lycas et Myrtil, 4+6 a
C'est aujourd'hui fête chez Cydalise. 4+6 b
Enchantant l'air de son parfum subtil, 4+6 a
Au clair de lune où tout s'idéalise 4+6 b
25 Avec la rose Aminthe rivalise. 4+6 b
Philis, Églé, que suivent leurs amants, 4+6 c
Cherchent l'ombrage et les abris charmants ; 4+6 c
Dans le soleil qui s'irrite et qui joue, 4+6 d
Luttant d'orgueil avec les diamants, 4+6 c
30 Sur leur chemin le paon blanc fait la roue. 4+6 d
IV
L'ÉTANG
Dans la clairière ouverte, un vent d'orage 4+6 a
Passait ; le tremble au doux feuillage blanc 4+6 b
De sa morsure avait subi l'outrage ; 4+6 a
Dans le miroir sinistre de l'étang 4+6 b
35 Se reflétait une lueur de sang ; 4+6 b
Le sombre ciel d'airain qui brûle et pèse 4+6 c
Couvrait de nuit le chêne et le mélèze ; 4+6 c
L'embrasement et la pourpre des soirs 4+6 d
Parmi cette ombre allumaient leur fournaise, 4+6 c
40 Et j'entendis chanter les cygnes noirs. 4+6 d
V
LES BERGERS
Amaryllis rit au pâtre Daphnis, 4+6 a
Tout en courant pour rassembler ses chèvres, 4+6 b
Voici le vieux Damon avec son fils, 4+6 a
Néère ayant une pomme à ses lèvres, 4+6 b
45 Et l'air est plein de murmure et de fièvres. 4+6 b
Le zéphyr passe, heureux d'éparpiller 4+6 c
Les noirs cheveux ; lasse de sommeiller, 4+6 c
Phyllis accourt vers le chant qui l'attire 4+6 d
Et sous le hêtre on entend gazouiller, 4+6 c
50 Comme un oiseau, la flûte de Tityre. 4+6 d
VI
PIERROT
Le bon Pierrot, que la foule contemple, 4+6 a
Ayant fini les noces d'Arlequin, 4+6 b
Suit en songeant le boulevard du temple. 4+6 a
Une fillette au souple casaquin 4+6 b
55 En vain l'agace avec son œil coquin ; 4+6 b
Et cependant mystérieuse et lisse 4+6 c
Faisant de lui sa plus chère délice, 4+6 c
La blanche lune aux cornes de taureau 4+6 d
Jette un regard de son œil en coulisse 4+6 c
60 À son ami Jean Gaspard Deburau. 4+6 d
VII
SÉRÉNADE
Las ! Colombine a fermé le volet, 4+6 a
Et vainement le chasseur tend ses toiles, 4+6 b
Car la fillette au doux esprit follet, 4+6 a
De ses rideaux laissant tomber les voiles, 4+6 b
65 S'est dérobée, ainsi que les étoiles. 4+6 b
Bien qu'elle cache à l'amant indigent 4+6 c
Son casaquin pareil au ciel changeant, 4+6 c
C'est pour charmer cette beauté barbare 4+6 d
Que remuant comme du vif-argent, 4+6 c
70 Arlequin chante et gratte sa guitare. 4+6 d
VIII
LA COMÉDIE
Yeux noirs, yeux bleus, cheveux bruns, cheveux d'or, 4+6 a
Beaux chérubins joufflus comme des pommes, 4+6 b
Bouches de rose, amour, espoir, trésor, 4+6 a
Troupeau charmé, fillettes, petits hommes, 4+6 b
75 Anges et fleurs qu'en souriant tu nommes, 4+6 b
Orgueil humain justement ébloui, 4+6 c
Tous ces bandits à l'œil épanoui, 4+6 c
Sur leurs fronts purs ayant l'aube éternelle, 4+6 d
Battent des mains au vieux drame inouï 4+6 c
80 Du commissaire et de polichinelle. 4+6 d
IX
BAL MASQUÉ
Blancs, jaunes, bleus, roses, comme la foudre, 4+6 a
Les débardeurs, farouches escadrons 4+6 b
De leurs cheveux faisant voler la poudre, 4+6 a
Passent, nombreux comme des moucherons, 4+6 b
85 Sous l'ouragan des cors et des clairons. 4+6 b
L'affreux galop furieux se prolonge, 4+6 c
D'un élan fou dans la clarté se plonge, 4+6 c
Chœur effré qui jamais ne se rompt, 4+6 d
Et, dans un coin pensif, Gavarni songe 4+6 c
90 Que tout ce peuple est sorti de son front. 4+6 d
X
PARADE
La saltimbanque aux yeux pleins de douceur 4+6 a
Frappe et meurtrit les cymbales sonores. 4+6 b
Son front, se de taches de rousseur, 4+6 a
Est plus brû que les rivages mores 4+6 b
95 Et rouge encor du baiser des aurores. 4+6 b
Charmante, elle a des bijoux de laiton ; 4+6 c
Pour égayer son maillot de coton, 4+6 c
Elle a bro sur sa jupe une guivre ; 4+6 d
Ses cheveux, noirs comme le Phlégéton, 4+6 c
100 Sont enfermés dans un cercle de cuivre. 4+6 d
XI
ENFIN MALHERBE VINT
C'était l'orgie au Parnasse, la muse 4+6 a
Qui par raison se plaît à courir vers 4+6 b
Tout ce qui brille et tout ce qui l'amuse, 4+6 a
Éparpillait les rubis dans ses vers. 4+6 b
105 Elle mettait son laurier de travers. 4+6 b
Les bons rhythmeurs, pris d'une frénésie, 4+6 c
Comme des dieux gaspillaient l'ambroisie ; 4+6 c
Tant qu'à la fin, pour mettre le ho 4+6 d
Malherbe vint, et que la poésie, 4+6 c
110 En le voyant arriver, s'en alla. 4+6 d
XII
HEINE
Comme Phébos, après l'avoir branché, 4+6 a
Heine toujours portait la peau sanglante 4+6 b
D'un Marsyas qu'il avait écorché. 4+6 a
Pour un amant de la rime galante 4+6 b
115 Cette manière est un peu violente. 4+6 b
Ô noirs pavots ! Horrible floraison ! 4+6 c
Mais le satyre à la comparaison 4+6 c
Ne peut gagner, s'il entreprend la lutte, 4+6 d
Et les porteurs de lyre ont eu raison 4+6 c
120 En écorchant le vain joueur de flûte. 4+6 d
XIII
LES PARIAS
Oh ! Je voudrais sur leur front innocent 4+6 a
Baiser tous ceux qu'on raille et qu'on opprime ! 4+6 b
Dieux ! Apporter le malheur en naissant ! 4+6 a
Toi qui sais tout, mystérieuse rime, 4+6 b
125 Dis-moi pourquoi la tendresse est un crime. 4+6 b
La terre noire à l'homme triste et vain 4+6 c
Prodigue tout, les blés d'or, le doux vin ; 4+6 c
Mais qu'elle fut une amère nourrice, 4+6 d
L'inépuisable aïeule au flanc divin, 4+6 c
130 Pour l'âne triste et pour le doux Jocrisse ! 4+6 d
XIV
TRUMEAU
Dans un panneau de la chambre à coucher, 4+6 a
Je me rappelle encore une Diane 4+6 b
Au sein charmant, caprice de Boucher. 4+6 a
Un flot d'amours chasseurs en caravane 4+6 b
135 Sourit aux lys de sa chair diaphane ; 4+6 b
À son front pur étincelle un croissant, 4+6 c
Et, sur le bord d'un ruisseau caressant, 4+6 c
On voit briller, nonchalamment jetée, 4+6 d
Sous un rayon de lune éblouissant, 4+6 c
140 La cuisse blanche et de rose fouettée. 4+6 d
XV
LES ROSES
Lorsque le ciel de saphir est en feu, 4+6 a
Lorsque l'é de son haleine touche 4+6 b
La folle nymphe amoureuse, et par jeu 4+6 a
Met un charbon rougissant sur sa bouche ; 4+6 b
145 Quand sa chaleur dédaigneuse et farouche 4+6 b
Fait tressaillir le myrte et le cyprès, 4+6 c
On sent brûler sous ses magiques traits 4+6 c
Des fronts blêmis et des lèvres décloses 4+6 d
Et le riant feuillage des forêts, 4+6 c
150 Et vous aussi, cœurs enflammés des roses ! 4+6 d
XVI
IMPERIA
Aux longs baisers offrant sa joue imberbe, 4+6 a
Sous les lambris du palais Doria, 4+6 b
Un tout jeune homme en fleur, pâle et superbe, 4+6 a
Est aux genoux charmants d'Impéria, 4+6 b
155 Tenant ses mains qu'amour coloria. 4+6 b
Dans les langueurs d'une molle paresse, 4+6 c
Il sait ravir la grande enchanteresse ; 4+6 c
La profondeur vague de l'océan 4+6 d
En sa prunelle où rit une caresse 4+6 c
160 Joue, orgueilleuse et folle, et c'est don Juan. 4+6 d
XVII
LE LILAS
Ô floraison divine du lilas, 4+6 a
Je te bénis, pour si peu que tu dures ! 4+6 b
Nos pauvres cœurs de souffrir étaient las : 4+6 a
Enfin l'oubli guérit nos peines dures. 4+6 b
165 Enivrez-nous, fleurs, horizons, verdures ! 4+6 b
Le clair réveil du matin gracieux 4+6 c
Charme l'azur irradié des cieux ; 4+6 c
Mai fleurissant cache les blanches tombes, 4+6 d
Tout éclai de feux délicieux, 4+6 c
170 Et l'air frémit, blanc des vols de colombes. 4+6 d
XVIII
HAMLET
Oh ! Tu pouvais porter la noble armure 4+6 a
Et, blond héros, faucher au grand soleil 4+6 b
Tes ennemis, comme une moisson mûre, 4+6 a
Et resplendir, aux dieux même pareil, 4+6 b
175 Dans la poussière et dans le sang vermeil. 4+6 b
Et cependant, enfant sevré de gloire, 4+6 c
Tu sens courir dans la nuit dérisoire, 4+6 c
Sur ton front pâle, aussi blanc que du lait, 4+6 d
Ce vent qui fait voler ta plume noire 4+6 c
180 Et te caresse, Hamlet, ô jeune Hamlet ! 4+6 d
XIX
LA FORÊT
Enfuyons-nous, mes amis ! Se peut-il 4+6 a
Qu'à ces bourgeois le destin nous condamne ? 4+6 b
Allons revoir, dans le rêve subtil 4+6 a
Où son amant se fait gratter le crâne, 4+6 b
185 Titania baisant la tête d'âne. 4+6 b
Partons, avec nos appâts d'oiseleurs ! 4+6 c
Cherchons les doux sommeils ensorceleurs ; 4+6 c
Allons au bois riant où Puck s'attarde, 4+6 d
Voir Fleur Des Pois et sur son lit de fleurs 4+6 c
190 Bottom, avec Monsieur Grain De Moutarde. 4+6 d
XX
CHÉRUBIN
Ô Chérubin ! Jeunesse, extase, amour, 4+6 a
Toi qu'en jouant Rosine déshabille, 4+6 b
Tu t'éveillais et tu riais au jour, 4+6 a
Et tu suivais, bel ange aux airs de fille, 4+6 b
195 Affrio par sa noire mantille, 4+6 b
Fanchette ou bien Madame Figaro. 4+6 c
Tu t'enivrais de l'odeur du sureau, 4+6 c
Puis tu posais ton front blanc sur les marbres, 4+6 d
Et tu venais comme un petit chevreau, 4+6 c
200 Mordre les fleurs et l'écorce des arbres ! 4+6 d
XXI
AVEU
Tes folles dents sont cruelles, dit-on, 4+6 a
Mais je te crois mieux qu'un docteur en chaire. 4+6 b
Égorge-moi d'ailleurs, je suis mouton, 4+6 a
Je suis gibier ; chasseresse ou bouchère 4+6 b
205 Comme on voudra, ta guenille m'est chère. 4+6 b
À manier les ciseaux, Dalila, 4+6 c
Tu fus experte, et le sang ruissela 4+6 c
Pour tes beaux yeux sous les murs de Pergame, 4+6 d
Je le sais bien ; mais quand tu n'es pas là, 4+6 c
210 Comme on s'ennuie, ô femme ! Femme ! Femme ! 4+6 d
XXII
PALINODIE
Oui, j'ai menti comme tous mes collègues ! 4+6 a
Pour faire voir ma bravoure à crédit, 4+6 b
Je t'ai crié : va ! Fuis ! Tire tes grègues ! 4+6 a
Je t'ai chassé, pauvre petit bandit : 4+6 b
215 Mais bah ! Mettons que je n'avais rien dit. 4+6 b
Prends, si tu veux, la poudre d'escampette, 4+6 c
Lève le camp sans tambour ni trompette, 4+6 c
Je saurai bien te suivre, si tu fuis : 4+6 d
Car, en effet, comme dit le poëte, 4+6 c
220 Méchant amour, de ta suite, j'en suis ! 4+6 d
XIII
LE DIVAN
Dans le boudoir où pareils à des strophes 4+6 a
Sont mariés les superbes accords 4+6 b
Des lourds tapis et des sombres étoffes, 4+6 a
L'obscuri de ces profonds décors 4+6 b
225 Brille et s'allume au flamboiement des ors. 4+6 b
Jeanne est couchée au milieu des fleurs rares ; 4+6 c
Et cependant que ses joyaux barbares 4+6 c
Dans cette nuit jettent des feux sanglants, 4+6 d
Sur les coussins ornés de fleurs bizarres 4+6 c
230 Un doux rayon fait briller ses pieds blancs. 4+6 d
XXIV
SAGESSE
Sur ce divan couvert d'amples fourrures, 4+6 a
Comme un guerrier vainqueur des sarrasins 4+6 b
Je me repose, en fermant les serrures, 4+6 a
Puisque j'ai fait mes vingt-quatre dizains. 4+6 b
235 Muse au beau front couronné de raisins, 4+6 b
Ô Thalia, narguons les élégies ! 4+6 c
Oui, je veux fuir (ce sont là mes orgies) 4+6 c
Tous les bourgeois, pendant un jour entier ; 4+6 d
J'allumerai des feux et des bougies, 4+6 c
240 Et je lirai les strophes de Gautier. 4+6 d
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