Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VOL_4/VOL65
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE XIII
1716
À MONSIEUR LE DUC D'ORLÉANS, RÉGENT
Prince chéri des dieux, | toi qui sers aujourd'hui 6+6 a
De père à ton monarque, | à son peuple d'appui ; 6+6 a
Toi qui, de tout l'état | portant le poids immense, 6+6 b
Immoles ton repos | à celui de la France ; 6+6 b
5 Philippe, ne crois point, | dans ces jours ténébreux, 6+6 a
Plaire à tous les français | que tu veux rendre heureux : 6+6 a
Aux princes les plus grands, | comme aux plus beaux ouvrages, 6+6 b
Dans leur gloire naissante | il manque des suffrages. 6+6 b
Eh ! Qui de sa vertu | reçut toujours le prix ? 6+6 a
10 Il est chez les français | de ces sombres esprits, 6+6 a
Censeurs extravagants | d'un sage ministère, 6+6 b
Incapables de tout, | à qui rien ne peut plaire. 6+6 b
Dans leurs caprices vains | tristement affermis, 6+6 a
Toujours du nouveau maître | ils sont les ennemis ; 6+6 a
15 Et, n'ayant d'autre emploi | que celui de médire, 6+6 b
L'objet le plus auguste | irrite leur satire : 6+6 b
Ils voudraient de cet astre | éteindre la clarté, 6+6 a
Et se venger sur lui | de leur obscurité. 6+6 a
Ne crains point leur poison : | quand tes soins politiques 6+6 b
20 Auront réglé le cours | des affaires publiques, 6+6 b
Quand tu verras nos cœurs, | justement enchantés, 6+6 a
Au-devant de tes pas | volant de tous côtés, 6+6 a
Les cris de ces frondeurs, | à leurs chagrins en proie, 6+6 b
Ne seront point ouïs | parmi nos cris de joie. 6+6 b
25 Mais dédaigne ainsi qu'eux | les serviles flatteurs, 6+6 a
De la gloire d'un prince | infâmes corrupteurs ; 6+6 a
Que ta mâle vertu | méprise et désavoue 6+6 b
Le méchant qui te blâme | et le fat qui te loue. 6+6 b
Toujours indépendant | du reste des humains, 6+6 a
30 Un prince tient sa gloire | ou sa honte en ses mains ; 6+6 a
Et, quoiqu'on veuille enfin | le servir ou lui nuire, 6+6 b
Lui seul peut s'élever, | lui seul peut se détruire. 6+6 b
En vain contre Henri | la France a vu longtemps 6+6 a
La calomnie affreuse | exciter ses serpents ; 6+6 a
35 En vain de ses rivaux | les fureurs catholiques 6+6 b
Armèrent contre lui | des mains apostoliques ; 6+6 b
Et plus d'un monacal | et servile écrivain 6+6 a
Vendit, pour l'outrager, | sa haine et son venin ; 6+6 a
La gloire de Henri | par eux n'est point flétrie : 6+6 b
40 Leurs noms sont détestés, | sa mémoire est chérie. 6+6 b
Nous admirons encor | sa valeur, sa bonté ; 6+6 a
Et longtemps dans la France | il sera regretté. 6+6 a
Cromwell, d'un joug terrible | accablant sa patrie, 6+6 b
Vit bientôt à ses pieds | ramper la flatterie ; 6+6 b
45 Ce monstre politique, | au Parnasse adoré, 6+6 a
Teint du sang de son roi, | fut aux dieux comparé : 6+6 a
Mais malgré les succès | de sa prudente audace, 6+6 b
L'univers indigné | démentait le parnasse, 6+6 b
Et de Waller enfin | les écrits les plus beaux 6+6 a
50 D'un illustre tyran | n'ont pu faire un héros. 6+6 a
Louis fit sur son trône | asseoir la flatterie ; 6+6 b
Louis fut encensé | jusqu'à l'idolâtrie. 6+6 b
En éloges enfin | le parnasse épuisé 6+6 a
Répète ses vertus | sur un ton presque usé ; 6+6 a
55 Et, l'encens à la main, | la docte académie 6+6 b
L'endormit cinquante ans | par sa monotonie. 6+6 b
Rien ne nous a séduits : | en vain en plus d'un lieu 6+6 a
Cent auteurs indiscrets | l'ont traité comme un dieu ; 6+6 a
De quelque nom sacré | que l'opéra le nomme, 6+6 b
60 L'équitable français | ne voit en lui qu'un homme. 6+6 b
Pour élever sa gloire | on ne nous verra plus 6+6 a
Dégrader les Césars, | abaisser les Titus ; 6+6 a
Et, si d'un crayon vrai | quelque main libre et sûre 6+6 b
Nous traçait de Louis | la fidèle peinture, 6+6 b
65 Nos yeux trop dessillés | pourraient dans ce héros 6+6 a
Avec bien des vertus | trouver quelques défauts. 6+6 a
Prince, ne crois donc point | que ces hommes vulgaires 6+6 b
Qui prodiguent aux grands | des écrits mercenaires, 6+6 b
Imposant par leurs vers | à la postérité, 6+6 a
70 Soient les dispensateurs | de l'immortalité. 6+6 a
Tu peux, sans qu'un auteur | te critique ou t'encense, 6+6 b
Jeter les fondements | du bonheur de la France ; 6+6 b
Et nous verrons un jour | l'équitable univers 6+6 a
Peser tes actions | sans consulter nos vers. 6+6 a
75 Je dis plus : un grand prince, | un héros, sans l'histoire, 6+6 b
Peut même à l'avenir | transmettre sa mémoire. 6+6 b
Taisez-vous, s'il se peut, | illustres écrivains, 6+6 a
Inutiles appuis | de ces honneurs certains ; 6+6 a
Tombez, marbres vivants, | que d'un ciseau fidèle 6+6 b
80 Anima sur ses traits | la main d'un Praxitèle ; 6+6 b
Que tous ces monuments | soient partout renversés. 6+6 a
Il est grand, il est juste, | on l'aime : c'est assez. 6+6 a
Mieux que dans nos écrits, | et mieux que sur le cuivre, 6+6 b
Ce héros dans nos cœurs | à jamais doit revivre. 6+6 b
85 L'heureux vieillard, en paix | dans son lit expirant, 6+6 a
De ce prince à son fils | fait l'éloge en pleurant ; 6+6 a
Le fils, encor tout plein | de son règne adorable, 6+6 b
Le vante à ses neveux ; | et ce nom respectable, 6+6 b
Ce nom dont l'univers | aime à s'entretenir, 6+6 a
90 Passe de bouche en bouche | aux siècles à venir. 6+6 a
C'est ainsi qu'on dira | chez la race future : 6+6 b
Philippe eut un cœur noble ; | ami de la droiture, 6+6 b
Politique et sincère, | habile et généreux, 6+6 a
Constant quand il fallait | rendre un mortel heureux ; 6+6 a
95 Irrésolu, changeant, | quand le bien de l'empire 6+6 b
Au malheur d'un sujet | le forçait à souscrire ; 6+6 b
Affable avec noblesse, | et grand avec bonté, 6+6 a
Il sépara l'orgueil | d'avec la majesté ; 6+6 a
Et le dieu des combats, | et la docte Minerve, 6+6 b
100 De leurs présents divins | le comblaient sans réserve ; 6+6 b
Capable également | d'être avec dignité 6+6 a
Et dans l'éclat du trône | et dans l'obscurité : 6+6 a
Voilà ce que de toi | mon esprit se présage. 6+6 b
Ô toi de qui ma plume | a crayonné l'image, 6+6 b
105 Toi de qui j'attendais | ma gloire et mon appui, 6+6 a
Ne chanterai-je donc | que le bonheur d'autrui ? 6+6 a
En peignant ta vertu, | plaindrai-je ma misère ? 6+6 b
Bienfaisant envers tous, | envers moi seul sévère, 6+6 b
D'un exil rigoureux | tu m'imposes la loi ; 6+6 a
110 Mais j'ose de toi-même | en appeler à toi. 6+6 a
Devant toi je ne veux | d'appui que l'innocence ; 6+6 b
J'implore ta justice, | et non point ta clémence. 6+6 b
Lis seulement ces vers, | et juge de leur prix ; 6+6 a
Vois ce que l'on m'impute, | et vois ce que j'écris. 6+6 a
115 La libre vérité | qui règne en mon ouvrage 6+6 b
D'une âme sans reproche | est le noble partage ; 6+6 b
Et de tes grands talents | le sage estimateur 6+6 a
N'est point de ces couplets | l'infâme et vil auteur. 6+6 a
Philippe, quelquefois | sur une toile antique 6+6 b
120 Si ton œil pénétrant | jette un regard critique, 6+6 b
Par l'injure du temps | le portrait effacé 6+6 a
Ne cachera jamais | la main qui l'a tracé ; 6+6 a
D'un choix judicieux | dispensant la louange, 6+6 b
Tu ne confondras point | Vignon et Michel-Ange. 6+6 b
125 Prince, il en est ainsi | chez nous autres rimeurs ; 6+6 a
Et si tu connaissais | mon esprit et mes mœurs, 6+6 a
D'un peuple de rivaux | l'adroite calomnie 6+6 b
Me chargerait en vain | de leur ignominie ; 6+6 b
Tu les démentirais, | et je ne verrais plus 6+6 a
130 Dans leurs crayons grossiers | mes pinceaux confondus ; 6+6 a
Tu plaindrais par leurs cris | ma jeunesse opprimée ; 6+6 b
À verser les bienfaits | ta main accoutumée 6+6 b
Peut-être de mes maux | voudrait me consoler, 6+6 a
Et me protégerait | au lieu de m'accabler. 6+6 a
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