Métrique en Ligne
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C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
VOL_4/VOL55
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE III
1714
A MONSIEUR L'ABBÉ SERVIEN,
PRISONNIER AU CHÂTEAU DE VINCENNES
Aimable abbé, dans Paris autrefois 4+6 a
La volupté de toi reçut des lois ; 4+6 a
Les ris badins, les grâces enjouées, 4+6 b
À te servir dès longtemps dévouées, 4+6 b
5 Et dès longtemps fuyant les yeux du roi, 4+6 a
Marchaient souvent entre Philippe et toi, 4+6 a
Te prodiguaient leurs faveurs libérales, 4+6 b
Et de leurs mains marquaient dans leurs annales, 4+6 b
En lettres d'or, mots et contes joyeux, 4+6 a
10 De ton esprit enfants capricieux. 4+6 a
Ô doux plaisirs, amis de l'innocence, 4+6 b
Plaisirs goûtés au sein de l'indolence, 4+6 b
Et cependant des dévots inconnus ! 4+6 a
Ô jours heureux ! Qu'êtes-vous devenus ? 4+6 a
15 Hélas ! J'ai vu les grâces éplorées, 4+6 b
Le sein meurtri, pâles, désespérées ; 4+6 b
J'ai vu les ris, tristes et consternés, 4+6 a
Jeter les fleurs dont ils étaient ornés ; 4+6 a
Les yeux en pleurs, et soupirant leurs peines, 4+6 b
20 Ils suivaient tous le chemin de Vincennes, 4+6 b
Et, regardant ce château malheureux, 4+6 a
Aux beaux esprits, hélas ! Si dangereux, 4+6 a
Redemandaient au destin en colère 4+6 b
Le tendre abbé qui leur servait de père. 4+6 b
25 N'imite point leur sombre désespoir ; 4+6 a
Et, puisque enfin tu ne peux plus revoir 4+6 a
Le prince aimable à qui tu plais, qui t'aime, 4+6 b
Ose aujourd'hui te suffire à toi-même. 4+6 b
On ne vit pas au donjon comme ici : 4+6 a
30 Le destin change, il faut changer aussi. 4+6 a
Au sel attique, au riant badinage, 4+6 b
Il faut mêler la force et le courage ; 4+6 b
À son état mesurant ses désirs, 4+6 a
Selon les temps se faire des plaisirs, 4+6 a
35 Et suivre enfin, conduit par la nature, 4+6 b
Tantôt Socrate, et tantôt épicure. 4+6 b
Tel dans son art un pilote assuré, 4+6 a
Maître des flots dont il est entouré, 4+6 a
Sous un ciel pur où brillent les étoiles, 4+6 b
40 Au vent propice abandonne ses voiles, 4+6 b
Et, quand la mer a soulevé ses flots, 4+6 a
Dans la tempête il trouve le repos : 4+6 a
D'une ancre sûre il fend la molle arène, 4+6 b
Trompe des vents l'impétueuse haleine ; 4+6 b
45 Et, du trident bravant les rudes coups, 4+6 a
Tranquille et fier, rit des dieux en courroux. 4+6 a
Tu peux, abbé, du sort jadis propice 4+6 b
Par ta vertu corriger l'injustice ; 4+6 b
Tu peux changer ce donjon détesté 4+6 a
50 En un palais par Minerve habité. 4+6 a
Le froid ennui, la sombre inquiétude, 4+6 b
Monstres affreux, nés dans la solitude, 4+6 b
De ta prison vont bientôt s'exiler. 4+6 a
Vois dans tes bras de toutes parts voler 4+6 a
55 L'oubli des maux, le sommeil désirable ; 4+6 b
L'indifférence, au cœur inaltérable, 4+6 b
Qui, dédaignant les outrages du sort, 4+6 a
Voit d'un même œil et la vie et la mort ; 4+6 a
La paix tranquille, et la constance altière, 4+6 b
60 Au front d'airain, à la démarche fière, 4+6 b
À qui jamais ni les rois ni les dieux, 4+6 a
La foudre en main, n'ont fait baisser les yeux. 4+6 a
Divinités des sages adorées, 4+6 b
Que chez les grands vous êtes ignorées ! 4+6 b
65 Le fol amour, l'orgueil présomptueux, 4+6 a
Des vains plaisirs l'essaim tumultueux, 4+6 a
Troupe volage à l'erreur consacrée, 4+6 b
De leurs palais vous défendent l'entrée. 4+6 b
Mais la retraite a pour vous des appas : 4+6 a
70 Dans nos malheurs vous nous tendez les bras ; 4+6 a
Des passions la troupe confondue 4+6 b
À votre aspect disparaît éperdue. 4+6 b
Par vous, heureux au milieu des revers, 4+6 a
Le philosophe est libre dans les fers. 4+6 a
75 Ainsi Fouquet, dont Thémis fut le guide, 4+6 b
Du vrai mérite appui ferme et solide, 4+6 b
Tant regretté, tant pleuré des neuf sœurs, 4+6 a
Le grand Fouquet, au comble des malheurs, 4+6 a
Frappé des coups d'une main rigoureuse, 4+6 b
80 Fut plus content dans sa demeure affreuse, 4+6 b
Environné de sa seule vertu, 4+6 a
Que quand jadis, de splendeur revêtu, 4+6 a
D'adulateurs une cour importune 4+6 b
Venait en foule adorer sa fortune. 4+6 b
85 Suis donc, abbé, ce héros malheureux ; 4+6 a
Mais ne va pas, tristement vertueux, 4+6 a
Sous le beau nom de la philosophie, 4+6 b
Sacrifier à la mélancolie, 4+6 b
Et par chagrin, plus que par fermeté, 4+6 a
90 T'accoutumer à la calamité. 4+6 a
Ne passons point les bornes raisonnables. 4+6 b
Dans tes beaux jours, quand les dieux favorables 4+6 b
Prenaient plaisir à combler tes souhaits, 4+6 a
Nous t'avons vu, méritant leurs bienfaits, 4+6 a
95 Voluptueux avec délicatesse, 4+6 b
Dans tes plaisirs respecter la sagesse. 4+6 b
Par les destins aujourd'hui maltraité, 4+6 a
Dans ta sagesse aime la volupté. 4+6 a
D'un esprit sain, d'un cœur toujours tranquille, 4+6 b
100 Attends qu'un jour, de ton noir domicile 4+6 b
On te rappelle au séjour bienheureux. 4+6 a
Que les plaisirs, les grâces, et les jeux, 4+6 a
Quand dans Paris ils te verront paraître, 4+6 b
Puissent sans peine encor te reconnaître. 4+6 b
105 Sois tel alors que tu fus autrefois ; 4+6 a
Et cependant que Sully quelquefois 4+6 a
Dans ton château vienne, par sa présence, 4+6 b
Contre le sort affermir ta constance. 4+6 b
Rien n'est plus doux, après la liberté, 4+6 a
110 Qu'un tel ami dans la captivité. 4+6 a
Il est connu chez le dieu du permesse : 4+6 b
Grand sans fierté, simple et doux sans bassesse, 4+6 b
Peu courtisan, partant homme de foi, 4+6 a
Et digne enfin d'un oncle tel que toi. 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
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