Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VOL_4/VOL147
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE XCV
1765
À MADEMOISELLE CLAIRON
Le sublime en tout genre est le don le plus rare ; 6+6 a
C'est là le vrai phénix ; et, sagement avare, 6+6 a
La nature a prévu qu'en nos faibles esprits 6+6 b
Le beau, s'il est commun, doit perdre de son prix. 6+6 b
5 La médiocrité couvre la terre entière ; 6+6 a
Les mortels ont à peine une faible lumière, 6+6 a
Quelques vertus sans force, et des talents bornés. 6+6 b
S'il est quelques esprits par le ciel destinés 6+6 b
À s'ouvrir des chemins inconnus au vulgaire, 6+6 a
10 À franchir des beaux-arts la limite ordinaire, 6+6 a
La nature est alors prodigue en ses présents ; 6+6 b
Elle égale dans eux les vertus aux talents. 6+6 b
Le souffle du génie et ses fécondes flammes 6+6 a
N'ont jamais descendu que dans de nobles âmes ; 6+6 a
15 Il faut qu'on en soit digne, et le cœur épuré 6+6 b
Est le seul aliment de ce flambeau sacré. 6+6 b
Un esprit corrompu ne fut jamais sublime. 6+6 a
Toi que forma Vénus, et que Minerve anime, 6+6 a
Toi qui ressuscitas sous mes rustiques toits 6+6 b
20 L'électre de Sophocle aux accents de ta voix 6+6 b
(Non l'électre française, à la mode soumise, 6+6 a
Pour le galant Itys si galamment éprise) ; 6+6 a
Toi qui peins la nature en osant l'embellir, 6+6 b
Souveraine d'un art que tu sus ennoblir, 6+6 b
25 Toi dont un geste, un mot, m'attendrit et m'enflamme, 6+6 a
Si j'aime tes talents, je respecte ton âme. 6+6 a
L'amitié, la grandeur, la fermeté, la foi, 6+6 b
Les vertus que tu peins, je les retrouve en toi ; 6+6 b
Elles sont dans ton cœur. La vertu que j'encense 6+6 a
30 N'est pas des voluptés la sévère abstinence. 6+6 a
L'amour, ce don du ciel, digne de son auteur, 6+6 b
Des malheureux humains est le consolateur. 6+6 b
Lui-même il fut un dieu dans les siècles antiques ; 6+6 a
On en fait un démon chez nos vils fanatiques : 6+6 a
35 Très-désintéressé sur ce péché charmant, 6+6 b
J'en parle en philosophe, et non pas en amant. 6+6 b
Une femme sensible, et que l'amour engage, 6+6 a
Quand elle est honnête homme, à mes yeux est un sage. 6+6 a
Que ce conteur heureux qui plaisamment chanta 6+6 b
40 Le démon Belphégor et Madame Honesta, 6+6 b
L'ésope des français, le maître de la fable, 6+6 a
Ait de la Champmêlé vanté la voix aimable, 6+6 a
Ses accents amoureux et ses sons affétés, 6+6 b
Écho des fades airs que Lambert a notés ; 6+6 b
45 Tu n'étais pas alors ; on ne pouvait connaître 6+6 a
Cet art qui n'est qu'à toi, cet art que tu fais Naître. 6+6 a
Corneille, des romains peintre majestueux, 6+6 b
T'aurait vue aussi noble, aussi romaine qu'eux. 6+6 b
Le ciel, pour échauffer les glaces de mon âge, 6+6 a
50 Le ciel me réservait ce flatteur avantage : 6+6 a
Je ne suis point surpris qu'un sort capricieux 6+6 b
Ait pu mêler quelque ombre à tes jours glorieux. 6+6 b
L'âme qui sait penser n'en est point étonnée ; 6+6 a
Elle s'en affermit, loin d'être consternée : 6+6 a
55 C'est le creuset du sage ; et son or altéré 6+6 b
En renaît plus brillant, en sort plus épuré. 6+6 b
En tout temps, en tout lieu, le public est injuste ; 6+6 a
Horace s'en plaignait sous l'empire d'Auguste. 6+6 a
La malice, l'orgueil, un indigne désir 6+6 b
60 D'abaisser des talents qui font notre plaisir, 6+6 b
De flétrir les beaux-arts qui consolent la vie, 6+6 a
Voilà le cœur de l'homme ; il est né pour l'envie. 6+6 a
À l'église, au barreau, dans les camps, dans Les cours, 6+6 b
Il est, il fut ingrat, et le sera toujours. 6+6 b
65 Du siècle que j'ai vu tu sais quelle est la gloire ; 6+6 a
Ce siècle des talents vivra dans la mémoire. 6+6 a
Mais vois à quels dégoûts le sort abandonna 6+6 b
L'auteur d'Iphigénie et celui de Cinna, 6+6 b
Ce qu'essuya Quinault ; ce que souffrit Molière, 6+6 a
70 Fénelon dans l'exil terminant sa carrière ; 6+6 a
Arnauld, qui dut jouir du destin le plus beau, 6+6 b
Arnauld manquant d'asile, et même de tombeau. 6+6 b
De l'âge où nous vivons que pouvons-nous attendre ? 6+6 a
La lumière, il est vrai, commence à se répandre ; 6+6 a
75 Avec moins de talents on est plus éclairé ; 6+6 b
Mais le goût s'est perdu, l'esprit s'est égaré. 6+6 b
Ce siècle ridicule est celui des brochures, 6+6 a
Des chansons, des extraits, et surtout des injures. 6+6 a
La barbarie approche : Apollon indigné 6+6 b
80 Quitte les bords heureux où ses lois ont régné ; 6+6 b
Et, fuyant à regret son parterre et ses loges, 6+6 a
Melpomène avec toi fuit chez les allobroges. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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