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| = césure
VOL_4/VOL144
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE XCII
1761
À MADAME DENIS,
SUR L'AGRICULTURE
Qu'il est doux d'employer le déclin de son âge 6+6 a
Comme le grand Virgile occupa son printemps ! 6+6 b
Du beau lac de Mantoue il aimait le rivage ; 6+6 a
Il cultivait la terre, et chantait ses présents. 6+6 b
5 Mais bientôt, ennu des plaisirs du village, 6+6 a
D'Alexis et d'Aminte il quitta le séjour, 6+6 c
Et, malgré Mævius, il parut à la cour. 6+6 c
C'est la cour qu'on doit fuir, c'est aux champs qu'il faut vivre. 6+6 d
Dieu du jour, dieu des vers, j'ai ton exemple à suivre. 6+6 d
10 Tu gardas les troupeaux, mais c'étaient ceux d'un roi ; 6+6 e
Je n'aime les moutons que quand ils sont à moi. 6+6 e
L'arbre qu'on a plan rit plus à notre vue 6+6 f
Que le parc de Versaille et sa vaste étendue. 6+6 f
Le normand Fontenelle, au milieu de Paris, 6+6 g
15 Prêta des agréments au chalumeau champêtre ; 6+6 h
Mais il vantait des soins qu'il craignait de connaître, 6+6 h
Et de ses faux bergers il fit de beaux esprits. 6+6 g
Je veux que le cœur parle, ou que l'auteur se taise ; 6+6 i
Ne célébrons jamais que ce que nous aimons. 6+6 j
20 En fait de sentiment l'art n'a rien qui nous plaise : 6+6 i
Ou chantez vos plaisirs, ou quittez vos chansons ; 6+6 j
Ce sont des faussetés, et non des fictions. 6+6 j
« Mais quoi ! Loin de Paris se peut-il qu'on respire ? 6+6 k
Me dit un petit-maître, amoureux du fracas. 6+6 l
25 Les plaisirs dans Paris voltigent sur nos pas : 6+6 l
On oublie, on espère, on jouit, on désire ; 6+6 k
Il nous faut du tumulte, et je sens que mon cœur, 6+6 m
S'il n'est pas enivré, va tomber en langueur. 6+6 m
Attends, bel étourdi, que les rides de l'âge 6+6 a
30 Mûrissent ta raison, sillonnent ton visage ; 6+6 a
Que Gaussin t'ait quitté, qu'un ingrat t'ait trahi, 6+6 n
Qu'un Bernard t'ait volé, qu'un jaloux hypocrite 6+6 o
T'ait noirci des poisons de sa langue maudite ; 6+6 o
Qu'un opulent fripon, de ses pareils haï, 6+6 n
35 Ait ravi des honneurs qu'on enlève au mérite : 6+6 o
Tu verras qu'il est bon de vivre enfin pour soi, 6+6 e
Et de savoir quitter le monde qui nous quitte. 6+6 o
— Mais vivre sans plaisir, sans faste, sans emploi ! 6+6 e
Succomber sous le poids d'un ennui volontaire ! 6+6 p
40 — De l'ennui ! Penses-tu que, retiré chez toi, 6+6 e
Pour les tiens, pour l'état, tu n'as plus rien a faire ? 6+6 p
La nature t'appelle, apprends à l'observer ; 6+6 q
La France a des déserts, ose les cultiver ; 6+6 q
Elle a des malheureux : un travail nécessaire, 6+6 p
45 Ce partage de l'homme, et son consolateur, 6+6 m
En chassant l'indigence amène le bonheur : 6+6 m
Change en épis dorés, change en gras pâturages 6+6 r
Ces ronces, ces roseaux, ces affreux marécages. 6+6 r
Tes vassaux languissants, qui pleuraient d'être nés, 6+6 s
50 Qui redoutaient surtout de former leurs semblables, 6+6 t
Et de donner le jour à des infortunés, 6+6 s
Vont se lier gment par des nœuds désirables ; 6+6 t
D'un canton déso l'habitant s'enrichit ; 6+6 u
Turbilli, dans l'Anjou, t'imite et t'applaudit ; 6+6 u
55 Bertin, qui dans son roi voit toujours sa patrie, 6+6 v
Prête un bras secourable à ta noble industrie ; 6+6 v
Trudaine sait assez que le cultivateur 6+6 m
Des ressorts de l'état est le premier moteur, 6+6 m
Et qu'on ne doit pas moins, pour le soutien du trône, 6+6 w
60 À la faux de Cérès qu'au sabre de Bellone. » 6+6 w
J'aime assez saint Benoît : il prétendit du moins 6+6 y
Que ses enfants tondus, chargés d'utiles soins, 6+6 y
Méritassent de vivre en guidant la charrue, 6+6 f
En creusant des canaux, en défrichant des bois. 6+6 z
65 Mais je suis peu content du bonhomme François ; 6+6 z
Il crut qu'un vrai chrétien doit gueuser dans la rue, 6+6 f
Et voulut que ses fils, robustes fainéants, 6+6 b
Fissent serment à Dieu de vivre à nos dépens. 6+6 b
Dieu veut que l'on travaille et que l'on s'évertue ; 6+6 f
70 Et le sot mari d'Ève, au paradis d'éden, 6+6 a
Reçut un ordre exprès d'arranger son jardin. 6+6 a
C'est la première loi donnée au premier homme, 6+6 b
Avant qu'il eût man la moitié de sa pomme. 6+6 b
Mais ne détournons point nos mains et nos regards 6+6 c
75 Ni des autres emplois, ni surtout des beaux-arts. 6+6 c
Il est des temps pour tout ; et lorsqu'en mes vallées, 6+6 d
Qu'entoure un long amas de montagnes pelées, 6+6 d
De quelques malheureux ma main sèche les pleurs, 6+6 e
Sur la scène, à Paris, j'en fais verser peut-être ; 6+6 h
80 Dans Versaille étonné j'attendris de grands cœurs ; 6+6 e
Et, sans croire approcher de Racine, mon maître, 6+6 h
Quelquefois je peux plaire, à l'aide de Clairon. 6+6 f
Au fond de son bourbier je fais rentrer Fréron. 6+6 f
L'archidiacre Trublet prétend que je l'ennuie ; 6+6 v
85 La représaille est juste ; et je sais à propos 6+6 g
Confondre les pervers, et me moquer des sots. 6+6 g
En vain sur son crédit un délateur s'appuie ; 6+6 v
Sous son bonnet carré, que ma main jette à bas, 6+6 l
Je découvre, en riant, la tête de Midas. 6+6 l
90 J'honore Diderot, malgré la calomnie ; 6+6 v
Ma voix parle plus haut que les cris de l'envie : 6+6 v
Les échos des rochers qui ceignent mon désert 6+6 h
Répètent après moi le nom de D'Alembert. 6+6 h
Un philosophe est ferme, et n'a point d'artifice ; 6+6 i
95 Sans espoir et sans crainte il sait rendre justice : 6+6 i
Jamais adulateur, et toujours citoyen, 6+6 a
À son prince attaché sans lui demander rien, 6+6 a
Fuyant des factions les brigues ennemies 6+6 j
Qui se glissent parfois dans nos académies, 6+6 j
100 Sans aimer Loyola, condamnant saint Médard, 6+6 k
Des billets qu'on exige il se rit à l'écart, 6+6 k
Et laisse aux parlements à réprimer l'église ; 6+6 i
Il s'élève à son Dieu, quand il foule à ses pieds 6+6 s
Un fatras dégtant d'arguments décriés ; 6+6 s
105 Et son âme inflexible au vrai seul est soumise. 6+6 i
C'est ainsi qu'on peut vivre à l'ombre de ses bois, 6+6 z
En guerre avec les sots, en paix avec soi-même, 6+6 m
Gouvernant d'une main le soc de Triptolème, 6+6 m
Et de l'autre essayant d'accorder sous ses doigts 6+6 z
110 La lyre de Racine et le luth de Chapelle. 6+6 n
Ô vous, à l'amitié dans tous les temps fidèle, 6+6 n
Vous qui, sans préjugés, sans vices, sans travers, 6+6 o
Embellissez mes jours ainsi que mes déserts, 6+6 o
Soutenez mes travaux et ma philosophie ; 6+6 v
115 Vous cultivez les arts, les arts vous ont suivie. 6+6 v
Le sang du grand Corneille, élevé sous vos yeux, 6+6 p
Apprend, par vos leçons, à mériter d'en être. 6+6 h
Le père de Cinna vient m'instruire en ces lieux : 6+6 p
Son ombre entre nous trois aime encore à paraître ; 6+6 h
120 Son ombre nous console, et nous dit qu'à Paris 6+6 g
Il faut abandonner la place aux Scudéris. 6+6 g
mètre profil métrique : 6+6
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