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VOL_4/VOL136
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE LXXXIV
AU ROI DE PRUSSE
Blaise Pascal a tort, il en faut convenir ; 6+6 a
Ce pieux misanthrope, Héraclite sublime, 6+6 b
Qui pense qu'ici-bas tout est misère et crime, 6+6 b
Dans ses tristes accès ose nous maintenir 6+6 a
5 Qu'un roi que l'on amuse, et même un roi qu'on aime, 6+6 a
Dès qu'il n'est plus environné, 8 b
Dès qu'il est réduit à lui-même, 8 a
Est de tous les mortels le plus infortuné. 6+6 b
Il est le plus heureux s'il s'occupe et s'il pense. 6+6 a
10 Vous le prouvez très-bien ; car, loin de votre cour, 6+6 b
En hibou fort souvent renfermé tout le jour, 6+6 b
Vous percez d'un œil d'aigle en cet abîme immense 6+6 a
Que la philosophie offre à nos faibles yeux ; 6+6 a
Et votre esprit laborieux, 8 a
15 Qui sait tout observer, tout orner, tout connaître, 6+6 b
Qui se connaît lui-même, et qui n'en vaut que mieux, 6+6 a
Par ce mâle exercice augmente encor son être. 6+6 b
Travailler est le lot et l'honneur d'un mortel. 6+6 a
Le repos est, dit-on, le partage du ciel. 6+6 a
20 Je n'en crois rien du tout : quel bien imaginaire 6+6 a
D'être les bras croisés pendant l'éternité ? 6+6 b
Est-ce dans le néant qu'est la félicité ? 6+6 b
Dieu serait malheureux s'il n'avait rien à faire ; 6+6 a
Il est d'autant plus Dieu qu'il est plus agissant. 6+6 a
25 Toujours, ainsi que vous, il produit quelque ouvrage : 6+6 b
On prétend qu'il fait plus, on dit qu'il se repent. 6+6 a
Il préside au scrutin qui, dans le Vatican, 6+6 c
Met sur un front ridé la coiffe à triple étage. 6+6 b
Du prisonnier Mahmoud il vous fait un sultan. 6+6 c
30 Il mûrit à Moka, dans le sable arabique, 6+6 a
Ce café nécessaire aux pays des frimas : 6+6 b
Il met la fièvre en nos climats, 8 b
Et le remède en Amérique. 8 a
Il a rendu l'humain séjour 8 a
35 De la variété le mobile théâtre ; 6+6 b
Il se plut à pétrir d'incarnat et d'albâtre 6+6 b
Les charmes arrondis du sein de Pompadour, 6+6 a
Tandis qu'il vous étend un noir luisant d'ébène 6+6 c
Sur le nez aplati d'une dame africaine, 6+6 c
40 Qui ressemble à la nuit comme l'autre au beau jour. 6+6 a
Dieu se joue à son gré de la race mortelle ; 6+6 a
Il fait vivre cent ans le normand Fontenelle, 6+6 a
Et trousse à trente-neuf mon dévot de Pascal. 6+6 b
Il a deux gros tonneaux d'où le bien et le mal 6+6 b
45 Descendent en pluie éternelle 8 a
Sur cent mondes divers et sur chaque animal. 6+6 a
Les sots, les gens d'esprit, et les fous, et les sages, 6+6 b
Chacun reçoit sa dose, et le tout est égal. 6+6 a
On prétend que de Dieu les rois sont les images. 6+6 b
50 Les anglais pensent autrement ; 8 a
Ils disent en plein parlement 8 a
Qu'un roi n'est pas plus dieu que le pape infaillible. 6+6 a
Mais il est pourtant très-plausible 8 a
Que ces puissants du siècle un peu trop adorés, 6+6 a
55 À la faiblesse humaine ainsi que nous livrés, 6+6 a
Ressemblent en un point à notre commun maître : 6+6 a
C'est qu'ils font comme lui le mal et le bien-être ; 6+6 a
Ils ont les deux tonneaux. Bouchez-moi pour jamais 6+6 a
Le tonneau des dégoûts, des chagrins, des caprices, 6+6 b
60 Dont on voit tant de cours s'abreuver à longs traits ; 6+6 a
Répandez de pures délices 8 b
Sur votre peu d'élus à vos banquets admis ; 6+6 a
Que leurs fronts soient sereins, que leurs cœurs soient unis ; 6+6 a
Au feu de votre esprit que notre esprit s'éclaire ; 6+6 a
65 Que sans empressement nous cherchions à vous plaire ; 6+6 a
Qu'en dépit de la majesté, 8 a
Notre agréable liberté, 8 a
Compagne du plaisir, mère de la saillie, 6+6 b
Assaisonne avec volupté 8 a
70 Les ragoûts de votre ambrosie. 8 b
Les honneurs rendent vain, le plaisir rend heureux. 6+6 a
Versez les douceurs de la vie 8 b
Sur votre Olympe sablonneux, 8 a
Et que le bon tonneau soit à jamais sans lie. 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite de strophes
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