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VOL_4/VOL103
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LES ÉPÎTRES
1706-1778
ÉPÎTRE LI
1736
À MADAME LA MARQUISE DU CHÂTELET,
SUR LA PHILOSOPHIE DE NEWTON
Tu m'appelles à toi, vaste et puissant génie, 6+6 a
Minerve de la France, immortelle Émilie ; 6+6 a
Je m'éveille à ta voix, je marche à ta clarté, 6+6 b
Sur les pas des vertus et de la vérité. 6+6 b
5 Je quitte Melpomène et les jeux du théâtre, 6+6 a
Ces combats, ces lauriers, dont je fus idolâtre ; 6+6 a
De ces triomphes vains mon cœur n'est plus touché. 6+6 b
Que le jaloux Rufus, à la terre attaché, 6+6 b
Traîne au bord du tombeau la fureur insene 6+6 a
10 D'enfermer dans un vers une fausse pene ; 6+6 a
Qu'il arme contre moi ses languissantes mains 6+6 b
Des traits qu'il destinait au reste des humains ; 6+6 b
Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle 6+6 a
Élève, en frémissant, une voix imbécile : 6+6 a
15 Je n'entends point leurs cris, que la haine a formés ; 6+6 b
Je ne vois point leurs pas, dans la fange imprimés. 6+6 b
Le charme tout-puissant de la philosophie 6+6 a
Élève un esprit sage au-dessus de l'envie. 6+6 a
Tranquille au haut des cieux que Newton s'est soumis, 6+6 b
20 Il ignore en effet s'il a des ennemis : 6+6 b
Je ne les connais plus. Déjà de la carrière 6+6 a
L'auguste véri vient m'ouvrir la barrière ; 6+6 a
Déjà ces tourbillons, l'un par l'autre pressés, 6+6 b
Se mouvant sans espace, et sans règle entassés, 6+6 b
25 Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent. 6+6 a
Un jour plus pur me luit ; les mouvements renaissent. 6+6 a
L'espace, qui de Dieu contient l'immensité, 6+6 b
Voit rouler dans son sein l'univers limité, 6+6 b
Cet univers si vaste à notre faible vue, 6+6 a
30 Et qui n'est qu'un atome, un point dans l'étendue. 6+6 a
Dieu parle, et le chaos se dissipe à sa voix : 6+6 b
Vers un centre commun tout gravite à la fois. 6+6 b
Ce ressort si puissant, l'âme de la nature, 6+6 a
Était enseveli dans une nuit obscure ; 6+6 a
35 Le compas de Newton, mesurant l'univers, 6+6 b
Lève enfin ce grand voile, et les cieux sont ouverts. 6+6 b
Il déploie à mes yeux, par une main savante, 6+6 a
De l'astre des saisons la robe étincelante : 6+6 a
L'émeraude, l'azur, le pourpre, le rubis, 6+6 b
40 Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits. 6+6 b
Chacun de ses rayons, dans sa substance pure, 6+6 a
Porte en soi les couleurs dont se peint la nature ; 6+6 a
Et, confondus ensemble, ils éclairent nos yeux ; 6+6 b
Ils animent le monde, ils emplissent les cieux. 6+6 b
45 Confidents du très-haut, substances éternelles, 6+6 a
Qui brûlez de ses feux, qui couvrez de vos ailes 6+6 a
Le trône où votre maître est assis parmi vous, 6+6 b
Parlez : du grand Newton n'étiez-vous point jaloux ? 6+6 b
La mer entend sa voix. Je vois l'humide empire 6+6 a
50 S'élever, s'avancer vers le ciel qui l'attire : 6+6 a
Mais un pouvoir central arrête ses efforts ; 6+6 b
La mer tombe, s'affaisse, et roule vers ses bords. 6+6 b
Comètes, que l'on craint à l'égal du tonnerre, 6+6 a
Cessez d'épouvanter les peuples de la terre : 6+6 a
55 Dans une ellipse immense achevez votre cours ; 6+6 b
Remontez, descendez près de l'astre des jours ; 6+6 b
Lancez vos feux, volez, et, revenant sans cesse, 6+6 a
Des mondes épuisés ranimez la vieillesse. 6+6 a
Et toi, sœur du soleil, astre qui, dans les cieux, 6+6 b
60 Des sages éblouis trompais les faibles yeux, 6+6 b
Newton de ta carrière a marqué les limites ; 6+6 a
Marche, éclaire les nuits, tes bornes sont prescrites. 6+6 a
Terre, change de forme ; et que la pesanteur, 6+6 b
En abaissant le pôle, élève l'équateur ; 6+6 b
65 Pôle immobile aux yeux, si lent dans votre course, 6+6 a
Fuyez le char gla des sept astres de l'Ourse : 6+6 a
Embrassez, dans le cours de vos longs mouvements, 6+6 b
Deux cents siècles entiers par delà six mille ans. 6+6 b
Que ces objets sont beaux ! Que notre âme épue 6+6 a
70 Vole à ces vérités dont elle est éclaie ! 6+6 a
Oui, dans le sein de Dieu, loin de ce corps mortel, 6+6 b
L'esprit semble écouter la voix de l'éternel. 6+6 b
Vous à qui cette voix se fait si bien entendre, 6+6 a
Comment avez-vous pu, dans un âge encor tendre, 6+6 a
75 Malgré les vains plaisirs, ces écueils des beaux Jours, 6+6 b
Prendre un vol si hardi, suivre un si vaste cours ? 6+6 b
Marcher, après Newton, dans cette route obscure 6+6 a
Du labyrinthe immense où se perd la nature ? 6+6 a
Puissé-je auprès de vous, dans ce temple écarté, 6+6 b
80 Aux regards des français montrer la vérité ! 6+6 b
Tandis qu'Algarotti, sûr d'instruire et de plaire, 6+6 a
Vers le Tibre étonné conduit cette étrangère, 6+6 a
Que de nouvelles fleurs il orne ses attraits, 6+6 b
Le compas à la main j'en tracerai les traits ; 6+6 b
85 De mes crayons grossiers je peindrai l'immortelle. 6+6 a
Cherchant à l'embellir, je la rendrais moins belle : 6+6 a
Elle est, ainsi que vous, noble, simple, et sans Fard, 6+6 b
Au-dessus de l'éloge, au-dessus de mon art. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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