Métrique en Ligne
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12 longueur métrique
6-6 mètre
VOL_3/VOL52
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LA HENRIADE
POËME EN DIX CHANTS
1723
CHANT DIXIÈME
ARGUMENT
Retour du roi à son armée : il recommence le siège. Combat singulier du vicomte de Turenne et du chevalier d’Aumale. Famine horrible qui désole la ville. Le roi nourrit lui-même les habitants qu’il assiège. Le ciel récompense enfin ses vertus. La vérité vient l’éclairer. Paris lui ouvre ses portes, et la guerre est finie.
Ces moments dangereux,perdus dans la mollesse, 6+6 a
Avaient fait aux vaincusoublier leur faiblesse. 6+6 a
À de nouveaux exploitsMayenne est préparé ; 6+6 b
D’un espoir renaissantle peuple est enivré. 6+6 b
5 Leur espoir les trompait :Bourbon, que rien n’arrête, 6+6 a
Accourt, impatientd’achever sa conquête. 6+6 a
Paris épouvantérevit ses étendards ; 6+6 b
Le héros reparutau pied de ses remparts, 6+6 b
De ces mêmes remparts fume encor sa foudre, 6+6 a
10 Et qu’à réduire en cendreil ne put se résoudre, 6+6 a
Quand l’ange de la France,apaisant son courroux, 6+6 b
Retint son bras vainqueur,et suspendit ses coups. 6+6 b
Déjà le camp du roijette des cris de joie ; 6+6 a
D’un œil d’impatienceil dévorait sa proie. 6+6 a
15 Les ligueurs cependant,d’un juste effroi troublés, 6+6 b
Près du prudent Mayenneétaient tous rassemblés. 6+6 b
Là, d’Aumale, ennemide tout conseil timide, 6+6 a
Leur tenait fièrementce langage intrépide : 6+6 a
« Nous n’avons point encoreappris à nous cacher ; 6+6 b
20 L’ennemi vient à nous :c’est là qu’il faut marcher, 6+6 b
C’est là qu’il faut porterune fureur heureuse. 6+6 a
Je connais des Françaisla fougue impétueuse ; 6+6 a
L’ombre de leurs rempartsaffaiblit leur vertu : 6+6 b
Le Français qu’on attaqueest à demi vaincu. 6+6 b
25 Souvent le désespoira gagné des batailles ; 6+6 a
J’attends tout de nous seuls,et rien de nos murailles. 6+6 a
Héros qui m’écoutez,volez aux champs de Mars ; 6+6 b
Peuples qui nous suivez,vos chefs sont vos remparts. » 6+6 b
Il se tut à ces mots :les ligueurs en silence 6+6 a
30 Semblaient de son audaceaccuser l’imprudence. 6+6 a
Il en rougit de honte,et dans leurs yeux confus 6+6 b
Il lut, en frémissant,leur crainte et leur refus. 6+6 b
« Eh bien ! poursuivit-il,si vous n’osez me suivre, 6+6 a
Français, à cet affrontje ne veux point survivre. 6+6 a
35 Vous craignez les dangers ;seul je m’y vais offrir, 6+6 b
Et vous apprendre à vaincre,ou du moins a mourir. » 6+6 b
De Paris à l’instantil fait ouvrir la porte ; 6+6 a
Du peuple qui l’entoureil éloigne l’escorte ; 6+6 a
Il s’avance : un héraut,ministre des combats, 6+6 b
40 Jusqu’aux tentes du roimarche devant ses pas, 6+6 b
Et crie à haute voix :« Quiconque aime la gloire, 6+6 a
Qu’il dispute en ces lieuxl’honneur de la victoire : 6+6 a
D’Aumale vous attend ;ennemis, paraissez. » 6+6 b
Tous les chefs, à ces mots,d’un beau zèle poussés, 6+6 b
45 Voulaient contre d’Aumaleessayer leur courage : 6+6 a
Tous briguaient près du roicet illustre avantage ; 6+6 a
Tous avaient méritéce prix de la valeur : 6+6 b
Mais le vaillant Turenneemporta cet honneur. 6+6 b
Le roi mit dans ses mainsla gloire de la France. 6+6 a
50 « Va, dit-il, d’un superbeabaisser l’insolence ; 6+6 a
Combats pour ton pays,pour ton prince, et pour toi, 6+6 b
Et reçois, en partant,les armes de ton roi. » 6+6 b
Le héros, à ces mots,lui donne son épée. 6+6 a
« Votre attente, ô grand roi !ne sera point trompée, 6+6 a
55 Lui répondit Turenneembrassant ses genoux : 6+6 b
J’en atteste ce fer,et j’en jure par vous. » 6+6 b
Il dit. Le roi l’embrasse,et Turenne s’élance 6+6 a
Vers l’endroit d’Aumale,avec impatience, 6+6 a
Attendait qu’à ses yeuxun combattant parût. 6+6 b
60 Le peuple de Parisaux remparts accourut ; 6+6 b
Les soldats de Henriprès de lui se rangèrent : 6+6 a
Sur les deux combattantstous les yeux s’attachèrent : 6+6 a
Chacun, dans l’un des deuxvoyant son défenseur, 6+6 b
Du geste et de la voixexcitait sa valeur. 6+6 b
65 Cependant sur Pariss’élevait un nuage 6+6 a
Qui semblait apporterle tonnerre et l’orage ; 6+6 a
Ses flancs noirs et brûlants,tout à coup entr’ouverts, 6+6 b
Vomissent dans ces lieuxles monstres des enfers, 6+6 b
Le Fanatisme affreux,la Discorde farouche, 6+6 a
70 La sombre Politiqueau cœur faux, à l’œil louche, 6+6 a
Le démon des combatsrespirant les fureurs, 6+6 b
Dieux enivrés de sang,dieux dignes des ligueurs. 6+6 b
Aux remparts de la villeils fondent, ils s’arrêtent ; 6+6 a
En faveur de d’Aumaleau combat ils s’apprêtent. 6+6 a
75 Voilà qu’au même instant,du haut des cieux ouverts, 6+6 b
Un ange est descendusur le trône des airs, 6+6 b
Couronné de rayons,nageant dans la lumière, 6+6 a
Sur des ailes de feuparcourant sa carrière, 6+6 a
Et laissant loin de luil’occident éclairé 6+6 b
80 Des sillons lumineuxdont il est entouré. 6+6 b
Il tenait d’une maincette olive sacrée, 6+6 a
Présage consolantd’une paix désirée ; 6+6 a
Dans l’autre étincelaitce fer d’un Dieu vengeur, 6+6 b
Ce glaive dont s’armal’ange exterminateur, 6+6 b
85 Quand jadis le Très-Hautà la Mort dévorante 6+6 a
Livra les premiers nésd’une race insolente. 6+6 a
À l’aspect de ce glaive,interdits, désarmés, 6+6 b
Les monstres infernauxsemblent inanimés ; 6+6 b
La terreur les enchne ;un pouvoir invincible 6+6 a
90 Fait tomber tous les traitsde leur troupe inflexible. 6+6 a
Ainsi de son autelteint du sang des humains 6+6 b
Tomba ce fier Dagon,ce dieu des Philistins, 6+6 b
Lorsque de l’Éternel,en son temple apportée, 6+6 a
À ses yeux éblouisl’arche fut présentée. 6+6 a
95 Paris, le roi, l’armée,et l’enfer, et les cieux, 6+6 b
Sur ce combat illustreavaient fixé les yeux. 6+6 b
Bientôt les deux guerriersentrent dans la carrière. 6+6 a
Henri du champ d’honneurleur ouvre la barrière. 6+6 a
Leur bras n’est point chargédu poids d’un bouclier ; 6+6 b
100 Ils ne se cachent pointsous ces bustes d’acier, 6+6 b
Des anciens chevaliersornement honorable, 6+6 a
Éclatant à la vue,aux coups impénétrable : 6+6 a
Ils négligent tous deuxcet appareil qui rend 6+6 b
Et le combat plus long,et le danger moins grand. 6+6 b
105 Leur arme est une épée ;et, sans autre défense, 6+6 a
Exposé tout entier,l’un et l’autre s’avance. 6+6 a
« Ô Dieu ! cria Turenne,arbitre de mon roi, 6+6 b
Descends, juge sa cause,et combats avec moi ; 6+6 b
Le courage n’est riensans ta main protectrice ; 6+6 a
110 J’attends peu de moi-même,et tout de ta justice. » 6+6 a
D’Aumale répondit :« J’attends tout de mon bras ; 6+6 b
C’est de nous que dépendle destin des combats : 6+6 b
En vain l’homme timideimplore un Dieu suprême ; 6+6 a
Tranquille au haut du ciel,il nous laisse à nous-même : 6+6 a
115 Le parti le plus justeest celui du vainqueur ; 6+6 b
Et le dieu de la guerreest la seule valeur. » 6+6 b
Il dit ; et, d’un regardenflammé d’arrogance, 6+6 a
Il voit de son rivalla modeste assurance. 6+6 a
Mais la trompette sonne :ils s’élancent tous deux ; 6+6 b
120 Ils commencent enfince combat dangereux. 6+6 b
Tout ce qu’ont pu jamaisla valeur et l’adresse, 6+6 a
L’ardeur, la fermeté,la force, la souplesse, 6+6 a
Parut des deux côtésen ce choc éclatant. 6+6 b
Cent coups étaient portéset parés à l’instant. 6+6 b
125 Tantôt avec fureurl’un d’eux se précipite ; 6+6 a
L’autre d’un pas légerse détourne, et l’évite : 6+6 a
Tantôt, plus rapprochés,ils semblent se saisir ; 6+6 b
Leur péril renaissantdonne un affreux plaisir ; 6+6 b
On se plt à les voirs’observer et se craindre, 6+6 a
130 Avancer, s’arrêter,se mesurer, s’atteindre : 6+6 a
Le fer étincelant,avec art détourné, 6+6 b
Par de feints mouvementstrompe l’œil étonné. 6+6 b
Telle on voit du soleilla lumière éclatante 6+6 a
Briser ses traits de feudans l’onde transparente, 6+6 a
135 Et, se rompant encorpar des chemins divers, 6+6 b
De ce cristal mouvantrepasser dans les airs. 6+6 b
Le spectateur surpris,et ne pouvant le croire, 6+6 a
Voyait à tout momentleur chute et leur victoire. 6+6 a
D’Aumale est plus ardent,plus fort, plus furieux : 6+6 b
140 Turenne est plus adroit,et moins impétueux ; 6+6 b
Mtre de tous ses sens,animé sans colère, 6+6 a
Il fatigue à loisirson terrible adversaire. 6+6 a
D’Aumale en vains effortsépuise sa vigueur : 6+6 b
Bientôt son bras lasséne sert plus sa valeur. 6+6 b
145 Turenne, qui l’observe,apeoit sa faiblesse ; 6+6 a
Il se ranime alors,il le pousse, il le presse ; 6+6 a
Enfin, d’un coup mortel,il lui perce le flanc. 6+6 b
D’Aumale est renversédans les flots de son sang : 6+6 b
Il tombe, et de l’enfertous les monstres frémirent ; 6+6 a
150 Ces lugubres accentsdans les airs s’entendirent : 6+6 a
« De la Ligue à jamaisle trône est renversé ; 6+6 b
Tu l’emportes, Bourbon ;notre règne est passé. » 6+6 b
Tout le peuple y répondpar un cri lamentable. 6+6 a
D’Aumale sans vigueur,étendu sur le sable, 6+6 a
155 Menace encor Turenne,et le menace en vain ; 6+6 b
Sa redoutable épéeéchappe de sa main : 6+6 b
Il veut parler : sa voixexpire dans sa bouche. 6+6 a
L’horreur d’être vaincurend son air plus farouche. 6+6 a
Il se lève, il retombe,il ouvre un œil mourant, 6+6 b
160 Il regarde Paris,et meurt en soupirant. 6+6 b
Tu le vis expirer,infortuné Mayenne ; 6+6 a
Tu le vis ; tu frémis ;et ta chute prochaine 6+6 a
Dans ce moment affreuxs’offrit à tes esprits. 6+6 b
Cependant des soldatsdans les murs de Paris 6+6 b
165 Rapportaient à pas lentsle malheureux d’Aumale. 6+6 a
Ce spectacle sanglant,cette pompe fatale 6+6 a
Entre au milieu d’un peupleinterdit, égaré : 6+6 b
Chacun voit, en tremblant,ce corps défiguré, 6+6 b
Ce front souillé de sang,cette bouche entr’ouverte, 6+6 a
170 Cette tête penchée,et de poudre couverte, 6+6 a
Ces yeux le trépasétale ses horreurs. 6+6 b
On n’entend point de cris,on ne voit point de pleurs : 6+6 b
La honte, la pitié,l’abattement, la crainte, 6+6 a
Étouffent leurs sanglots,et retiennent leur plainte : 6+6 a
175 Tout se tait, et tout tremble.Un bruit rempli d’horreur 6+6 b
Bientôt de ce silenceaugmente la terreur. 6+6 b
Les cris des assiégeantsjusqu’au ciel s’élevèrent ; 6+6 a
Les chefs et les soldatsprès du roi s’assemblèrent ; 6+6 a
Ils demandent l’assaut :mais l’auguste Louis, 6+6 b
180 Protecteur des Français,protecteur de son fils, 6+6 b
Modérait de Henrile courage terrible. 6+6 a
Ainsi des élémentsle moteur invisible 6+6 a
Contient les aquilonssuspendus dans les airs, 6+6 b
Et pose la barrière se brisent les mers : 6+6 b
185 Il fonde les cités,les disperse en ruines, 6+6 a
Et les cœurs des mortelssont dans ses mains divines. 6+6 a
Henri, de qui le ciela réprimé l’ardeur, 6+6 b
Des guerriers qu’il gouverneenchne la fureur. 6+6 b
Il sentit qu’il aimaitson ingrate patrie ; 6+6 a
190 Il voulut la sauverde sa propre furie. 6+6 a
Haï de ses sujets,prompt à les épargner, 6+6 b
Eux seuls voulaient se perdre ;il les voulut gagner. 6+6 b
Heureux si sa bonté,prévenant leur audace, 6+6 a
Foait ces malheureuxà lui demander grâce. 6+6 a
195 Pouvant les emporter,il les fait investir ; 6+6 b
Il laisse à leur fureurle temps du repentir. 6+6 b
Il crut que, sans assauts,sans combats, sans alarmes, 6+6 a
La disette et la faim,plus fortes que ses armes, 6+6 a
Lui livreraient sans peineun peuple inanimé, 6+6 b
200 Nourri dans l’abondance,au luxe accoutumé ; 6+6 b
Qui, vaincu par ses maux,souple dans l’indigence, 6+6 a
Viendrait à ses genouximplorer sa clémence : 6+6 a
Mais le faux Zèle, hélas !qui ne saurait céder, 6+6 b
Enseigne à tout souffrir,comme à tout hasarder. 6+6 b
205 Les mutins, qu’épargnaitcette main vengeresse, 6+6 a
Prenaient d’un roi clémentla Vertu pour faiblesse ; 6+6 a
Et, fiers de ses bontés,oubliant sa valeur, 6+6 b
Ils défiaient leur mtre,ils bravaient leur vainqueur ; 6+6 b
Ils osaient insulterà sa vengeance oisive. 6+6 a
210 Mais lorsqu’enfin les eauxde la Seine captive 6+6 a
Cessèrent d’apporterdans ce vaste séjour 6+6 b
L’ordinaire tributdes moissons d’alentour ; 6+6 b
Quand on vit dans Parisla Faim pâle et cruelle, 6+6 a
Montrant déjà la Mortqui marchait après elle ; 6+6 a
215 Alors on entenditdes hurlements affreux ; 6+6 b
Ce superbe Parisfut plein de malheureux 6+6 b
De qui la main tremblante,et la voix affaiblie, 6+6 a
Demandaient vainementle soutien de leur vie. 6+6 a
Bientôt le riche même,après de vains efforts, 6+6 b
220 Éprouva la famineau milieu des trésors. 6+6 b
Ce n’était plus ces jeux,ces festins, et ces fêtes, 6+6 a
de myrte et de roseils couronnaient leurs têtes ; 6+6 a
, parmi des plaisirstoujours trop peu gtés, 6+6 b
Les vins les plus parfaits,les mets les plus vantés, 6+6 b
225 Sous des lambris dorésqu’habite la Mollesse, 6+6 a
De leurs gts dédaigneuxirritaient la paresse. 6+6 a
On vit avec effroitous ces voluptueux, 6+6 b
Pâles, défigurés,et la mort dans les yeux, 6+6 b
Périssant de misèreau sein de l’opulence, 6+6 a
230 Détester de leurs biensl’inutile abondance. 6+6 a
Le vieillard, dont la faimva terminer les jours, 6+6 b
Voit son fils au berceau,qui périt sans secours. 6+6 b
Ici meurt dans la rageune famille entière. 6+6 a
Plus loin, des malheureux,couchés sur la poussière, 6+6 a
235 Se disputaient encore,à leurs derniers moments, 6+6 b
Les restes odieuxdes plus vils aliments. 6+6 b
Ces spectres affamés,outrageant la nature, 6+6 a
Vont au sein des tombeauxchercher leur nourriture. 6+6 a
Des morts épouvantésles ossements poudreux, 6+6 b
240 Ainsi qu’un pur froment,sont préparés par eux. 6+6 b
Que n’osent point tenterles extrêmes misères ! 6+6 a
On les vit se nourrirdes cendres de leurs pères. 6+6 a
Ce détestable metsavança leur trépas, 6+6 b
Et ce repas pour euxfut le dernier repas. 6+6 b
245 Ces prêtres cependant,ces docteurs fanatiques, 6+6 a
Qui, loin de partagerles misères publiques, 6+6 a
Bornant à leurs besoinstous leurs soins paternels, 6+6 b
Vivaient dans l’abondanceà l’ombre des autels, 6+6 b
Du Dieu qu’ils offensaientattestant la souffrance, 6+6 a
250 Allaient partout du peupleanimer la constance. 6+6 a
Aux uns, à qui la mortallait fermer les yeux, 6+6 b
Leurs libérales mainsouvraient déjà les cieux ; 6+6 b
Aux autres ils montraient,d’un coup d’œil prophétique, 6+6 a
Le tonnerre allumésur un prince hérétique, 6+6 a
255 Paris bientôt sauvépar des secours nombreux, 6+6 b
Et la manne du cielprête à tomber pour eux. 6+6 b
Hélas ! ces vains appâts,ces promesses stériles, 6+6 a
Charmaient ces malheureux,à tromper trop faciles : 6+6 a
Par les prêtres séduits,par les Seize effrayés, 6+6 b
260 Soumis, presque contents,ils mouraient à leurs pieds. 6+6 b
Trop heureux, en effet,d’abandonner la vie ! 6+6 a
D’un ramas d’étrangersla ville était remplie, 6+6 a
Tigres que nos aïeuxnourrissaient dans leur sein, 6+6 b
Plus cruels que la mort,et la guerre, et la faim. 6+6 b
265 Les uns étaient venusdes campagnes belgiques ; 6+6 a
Les autres, des rocherset des monts helvétiques ; 6+6 a
Barbares dont la guerreest l’unique métier, 6+6 b
Et qui vendent leur sangà qui veut le payer. 6+6 b
De ces nouveaux tyransles avides cohortes 6+6 a
270 Assiègent les maisons,en enfoncent les portes ; 6+6 a
Aux hôtes effrayésprésentent mille morts, 6+6 b
Non pour leur arracherd’inutiles trésors, 6+6 b
Non pour aller ravir,d’une main adultère, 6+6 a
Une fille éploréeà sa tremblante mère ; 6+6 a
275 De la cruelle faimle besoin consumant 6+6 b
Fait expirer en euxtout autre sentiment ; 6+6 b
Et d’un peu d’alimentsla découverte heureuse 6+6 a
Était l’unique butde leur recherche affreuse. 6+6 a
Il n’est point de tourment,de supplice, et d’horreur, 6+6 b
280 Que, pour en découvrir,n’inventât leur fureur. 6+6 b
Une femme (grand Dieu !faut-il à la mémoire 6+6 a
Conserver le récitde cette horrible histoire ?), 6+6 a
Une femme avait vu,par ces cœurs inhumains, 6+6 b
Un reste d’alimentarraché de ses mains. 6+6 b
285 Des biens que lui ravitla fortune cruelle, 6+6 a
Un enfant lui restait,prêt à périr comme elle : 6+6 a
Furieuse, elle approche,avec un coutelas, 6+6 b
De ce fils innocentqui lui tendait les bras : 6+6 b
Son enfance, sa voix,sa misère, et ses charmes, 6+6 a
290 À sa mère en fureurarrachent mille larmes ; 6+6 a
Elle tourne sur luison visage effrayé, 6+6 b
Plein d’amour, de regret,de rage, de pitié ; 6+6 b
Trois fois le fer échappeà sa main défaillante. 6+6 a
La rage enfin l’emporte ;et, d’une voix tremblante, 6+6 a
295 Détestant son hymenet sa fécondité : 6+6 b
« Cher et malheureux filsque mes flancs ont porté, 6+6 b
Dit-elle, c’est en vainque tu reçus la vie ; 6+6 a
Les tyrans ou la faiml’auraient bientôt ravie. 6+6 a
Et pourquoi vivrais-tu ?Pour aller dans Paris, 6+6 b
300 Errant et malheureux,pleurer sur ses débris ? 6+6 b
Meurs, avant de sentirmes maux et ta misère ; 6+6 a
Rends-moi le jour, le sang,que t’a donné ta mère 6+6 a
Que mon sein malheureuxte serve de tombeau, 6+6 b
Et que Paris du moinsvoie un crime nouveau. » 6+6 b
305 En achevant ces mots,furieuse, égarée, 6+6 a
Dans les flancs de son filssa main désespérée 6+6 a
Enfonce, en frémissant,le parricide acier, 6+6 b
Porte le corps sanglantauprès de son foyer, 6+6 b
Et, d’un bras que poussaitsa faim impitoyable, 6+6 a
310 Prépare avidementce repas effroyable. 6+6 a
Attirés par la faim,les farouches soldats 6+6 b
Dans ces coupables lieuxreviennent sur leurs pas : 6+6 b
Leur transport est semblableà la cruelle joie 6+6 a
Des ours et des lionsqui fondent sur leur proie ; 6+6 a
315 À l’envi l’un de l’autreils courent en fureur, 6+6 b
Ils enfoncent la porte.Ô surprise ! ô terreur ! 6+6 b
Près d’un corps tout sanglantà leurs yeux se présente 6+6 a
Une femme égarée,et de sang dégouttante. 6+6 a
« Oui, c’est mon propre fils,oui, monstres inhumains, 6+6 b
320 C’est vous qui dans son sangavez trempé mes mains ; 6+6 b
Que la mère et le filsvous servent de pâture 6+6 a
Craignez-vous plus que moid’outrager la nature ? 6+6 a
Quelle horreur à mes yeuxsemble vous glacer tous ! 6+6 b
Tigres, de tels festinssont préparés pour vous. » 6+6 b
325 Ce discours insensé,que sa rage prononce, 6+6 a
Est suivi d’un poignardqu’en son cœur elle enfonce. 6+6 a
De crainte, à ce spectacle,et d’horreur agités, 6+6 b
Ces monstres confonduscourent épouvantés. 6+6 b
Ils n’osent regardercette maison funeste ; 6+6 a
330 Ils pensent voir sur euxtomber le feu céleste, 6+6 a
Et le peuple, effrayéde l’horreur de son sort, 6+6 b
Levait les mains au ciel,et demandait la mort. 6+6 b
Jusqu’aux tentes du roimille bruits en coururent ; 6+6 a
Son cœur en fut touché,ses entrailles s’émurent ; 6+6 a
335 Sur ce peuple infidèleil répandit des pleurs : 6+6 b
« Ô Dieu ! s’écria-t-il,Dieu qui lis dans les cœurs, 6+6 b
Qui vois ce que je puis,qui connais ce que j’ose, 6+6 a
Des ligueurs et de moitu sépares la cause. 6+6 a
Je puis lever vers toimes innocentes mains 6+6 b
340 Tu le sais, je tendaisles bras à ces mutins ; 6+6 b
Tu ne m’imputes pointleurs malheurs et leurs crimes. 6+6 a
Que Mayenne à son grés’immole ces victimes : 6+6 a
Qu’il impute, s’il veut,des désastres si grands 6+6 b
À la nécessité,l’excuse des tyrans ; 6+6 b
345 De mes sujets séduitsqu’il comble la misère ; 6+6 a
Il en est l’ennemi ;j’en dois être le père : 6+6 a
Je le suis ; c’est à moide nourrir mes enfants, 6+6 b
Et d’arracher mon peupleà ces loups dévorants : 6+6 b
Dût-il de mes bienfaitss’armer contre moi-même, 6+6 a
350 Dussé-je, en le sauvant,perdre mon diadème, 6+6 a
Qu’il vive, je le veux,il n’importe à quel prix ; 6+6 b
Sauvons-le, malgré lui,de ses vrais ennemis ; 6+6 b
Et, si trop de pitiéme cte mon empire, 6+6 a
Que du moins sur ma tombeun jour on puisse lire : 6+6 a
355 « Henri, de ses sujetsennemi généreux, 6+6 b
« Aima mieux les sauverque de régner sur eux. » 6+6 b
Il dit ; et dans l’instantil veut que son armée 6+6 a
Approche sans éclatde la ville affamée, 6+6 a
Qu’on porte aux citoyensdes paroles de paix, 6+6 b
360 Et qu’au lieu de vengeanceon parle de bienfaits. 6+6 b
À cet ordre divinses troupes obéissent. 6+6 a
Les murs en ce momentde peuple se remplissent ; 6+6 a
On voit sur les rempartsavancer à pas lents 6+6 b
Ces corps inanimés,livides, et tremblants, 6+6 b
365 Tels qu’on feignait jadisque des royaumes sombres 6+6 a
Les mages à leur gréfaisaient sortir les ombres 6+6 a
Quand leur voix, du Cocytearrêtant les torrents, 6+6 b
Appelait les enfers,et les mânes errants. 6+6 b
Quel est de ces mourantsl’étonnement extrême ! 6+6 a
370 Leur cruel ennemivient les nourrir lui-même. 6+6 a
Tourmentés, déchiréspar leurs fiers défenseurs, 6+6 b
Ils trouvent la pitiédans leurs persécuteurs. 6+6 b
Tous ces événementsleur semblaient incroyables. 6+6 a
Ils voyaient devant euxces piques formidables, 6+6 a
375 Ces traits, ces instrumentsdes cruautés du sort, 6+6 b
Ces lances qui toujoursavaient porté la mort, 6+6 b
Secondant de Henrila généreuse envie, 6+6 a
Au bout d’un fer sanglantleur apporter la vie. 6+6 a
« Sont-ce là, disaient-ils,ces monstres si cruels ? 6+6 b
380 Est-ce là ce tyransi terrible aux mortels, 6+6 b
Cet ennemi de Dieu,qu’on peint si plein de rage ? 6+6 a
Hélas ! du Dieu vivantc’est la brillante image ; 6+6 a
C’est un roi bienfaisant,le modèle des rois ; 6+6 b
Nous ne méritons pasde vivre sous ses lois. 6+6 b
385 Il triomphe, il pardonne,il chérit qui l’offense. 6+6 a
Puisse tout notre sangcimenter sa puissance ! 6+6 a
Trop dignes du trépasdont il nous a sauvés, 6+6 b
Consacrons-lui ces joursqu’il nous a conservés. 6+6 b
De leurs cœurs attendristel était le langage : 6+6 a
390 Mais qui peut s’assurersur un peuple volage, 6+6 a
Dont la faible amitiés’exhale en vains discours, 6+6 b
Qui quelquefois s’élève,et retombe toujours ? 6+6 b
Ces prêtres, dont cent foisla fatale éloquence 6+6 a
Ralluma tous ces feuxqui consumaient la France, 6+6 a
395 Vont se montrer en pompeà ce peuple abattu. 6+6 b
« Combattants sans courage,et chrétiens sans vertu, 6+6 b
À quel indigne appâtvous laissez-vous séduire ? 6+6 a
Ne connaissez-vous plusles palmes du martyre ? 6+6 a
Soldats du Dieu vivant,voulez-vous aujourd’hui 6+6 b
400 Vivre pour l’outrager,pouvant mourir pour lui ? 6+6 b
Quand Dieu du haut des cieuxnous montre la couronne, 6+6 a
Chrétiens, n’attendons pasqu’un tyran nous pardonne. 6+6 a
Dans sa coupable secteil veut nous réunir : 6+6 b
De ses propres bienfaitssongeons à le punir. 6+6 b
405 Sauvons nos temples saintsde son culte hérétique. » 6+6 a
C’est ainsi qu’ils parlaient ;et leur voix fanatique, 6+6 a
Mtresse du vil peuple,et redoutable aux rois, 6+6 b
Des bienfaits de Henrifaisait taire la voix ; 6+6 b
Et déjà quelques-uns,reprenant leur furie, 6+6 a
410 S’accusaient en secretde lui devoir la vie. 6+6 a
À travers ces clameurset ces cris odieux, 6+6 b
La vertu de Henripénétra dans les cieux. 6+6 b
Louis, qui du plus hautde la vte divine 6+6 a
Veille sur les Bourbonsdont il est l’origine, 6+6 a
415 Connut qu’enfin les tempsallaient être accomplis, 6+6 b
Et que le Roi des roisadopterait son fils. 6+6 b
Aussitôt de son cœuril chassa les alarmes : 6+6 a
La Foi vint essuyerses yeux mouillés de larmes ; 6+6 a
Et la douce Espérance,et l’Amour paternel, 6+6 b
420 Conduisirent ses pasaux pieds de l’Éternel. 6+6 b
Au milieu des clartésd’un feu pur et durable, 6+6 a
Dieu mit, avant les temps,son trône inébranlable. 6+6 a
Le ciel est sous ses pieds ;de mille astres divers 6+6 b
Le cours, toujours réglé,l’annonce à l’univers. 6+6 b
425 La puissance, l’amour,avec l’intelligence, 6+6 a
Unis et divisés,composent son essence. 6+6 a
Ses saints, dans les douceursd’une éternelle paix, 6+6 b
D’un torrent de plaisirsenivrés à jamais, 6+6 b
Pénétrés de sa gloire,et remplis de lui-même, 6+6 a
430 Adorent à l’envisa majesté suprême. 6+6 a
Devant lui sont ces dieux,ces brûlants séraphins, 6+6 b
À qui de l’universil commet les destins. 6+6 b
Il parle, et de la terreils vont changer la face : 6+6 a
Des puissances du siècleils retranchent la race : 6+6 a
435 Tandis que les humains,vils jouets de l’erreur, 6+6 b
Des conseils éternelsaccusent la hauteur. 6+6 b
Ce sont eux dont la main,frappant Rome asservie, 6+6 a
Aux fiers enfants du Norda livré l’Italie, 6+6 a
L’Espagne aux Africains,Solyme aux Ottomans : 6+6 b
440 Tout empire est tombé,tout peuple eut ses tyrans, 6+6 b
Mais cette impénétrableet juste Providence 6+6 a
Ne laisse pas toujoursprospérer l’insolence ; 6+6 a
Quelquefois sa bonté,favorable aux humains, 6+6 b
Met le sceptre des roisdans d’innocentes mains. 6+6 b
445 Le père des Bourbonsà ses yeux se présente, 6+6 a
Et lui parle en ces motsd’une voix gémissante : 6+6 a
Père de l’univers,si tes yeux quelquefois 6+6 b
Honorent d’un regardles peuples et les rois, 6+6 b
Vois le peuple françaisà son prince rebelle ; 6+6 a
450 S’il viole tes lois,c’est pour t’être fidèle. 6+6 a
Aveuglé par son zèle,il te désobéit, 6+6 b
Et pense te vengeralors qu’il te trahit. 6+6 b
Vois ce roi triomphant,ce foudre de la guerre, 6+6 a
L’exemple, la terreur,et l’amour de la terre ; 6+6 a
455 Avec tant de vertus,n’as-tu formé son cœur 6+6 b
Que pour l’abandonneraux pièges de l’erreur ? 6+6 b
Faut-il que de tes mainsle plus parfait ouvrage 6+6 a
À son Dieu qu’il adoreoffre un coupable hommage ? 6+6 a
Ah ! si du grand Henriton culte est ignoré, 6+6 b
460 Par qui le Roi des roisveut-il être adoré ? 6+6 b
Daigne éclairer ce cœurcréé pour te conntre : 6+6 a
Donne à l’Église un fils,donne à la France un mtre ; 6+6 a
Des ligueurs obstinésconfonds les vains projets ; 6+6 b
Rends les sujets au prince,et le prince aux sujets 6+6 b
465 Que tous les cœurs unisadorent ta justice, 6+6 a
Et t’offrent dans Parisle même sacrifice. » 6+6 a
L’Éternel à ses vœuxse laissa pénétrer ; 6+6 b
Par un mot de sa boucheil daigna l’assurer. 6+6 b
À sa divine voixles astres s’ébranlèrent ; 6+6 a
470 La terre en tressaillit,les ligueurs en tremblèrent. 6+6 a
Le roi, qui dans le cielavait mis son appui, 6+6 b
Sentit que le Très-Hauts’intéressait pour lui. 6+6 b
Soudain la Vérité,si longtemps attendue, 6+6 a
Toujours chère aux humains,mais souvent inconnue, 6+6 a
475 Dans les tentes du roidescend du haut des cieux. 6+6 b
D’abord un voile épaisla cache à tous les yeux : 6+6 b
De moment en moment,les ombres qui la couvrent 6+6 a
Cèdent à la clartédes feux qui les entr’ouvrent : 6+6 a
Bientôt elle se montreà ses yeux satisfaits, 6+6 b
480 Brillante d’un éclatqui n’éblouit jamais. 6+6 b
Henri, dont le grand cœurétait formé pour elle, 6+6 a
Voit, connt, aime enfinsa lumière immortelle. 6+6 a
Il avoue, avec foi,que la religion 6+6 b
Est au-dessus de l’homme,et confond la raison. 6+6 b
485 Il reconnt l’Égliseici-bas combattue, 6+6 a
L’Église toujours une,et partout étendue, 6+6 a
Libre, mais sous un chef,adorant en tout lieu, 6+6 b
Dans le bonheur des saints,la grandeur de son Dieu. 6+6 b
Le Christ, de nos péchésvictime renaissante, 6+6 a
490 De ses élus chérisnourriture vivante, 6+6 a
Descend sur les autelsà ses yeux éperdus, 6+6 b
Et lui découvre un Dieusous un pain qui n’est plus. 6+6 b
Son cœur obéissantse soumet, s’abandonne 6+6 a
À ces mystères saintsdont son esprit s’étonne. 6+6 a
495 Louis, dans ce momentqui comble ses souhaits, 6+6 b
Louis, tenant en mainl’olive de la paix, 6+6 b
Descend du haut des cieuxvers le héros qu’il aime ; 6+6 a
Aux remparts de Parisil le conduit lui-même. 6+6 a
Les remparts ébranléss’entr’ouvrent à sa voix ; 6+6 b
500 Il entre au nom du Dieuqui fait régner les rois. 6+6 b
Les ligueurs éperdus,et mettant bas les armes, 6+6 a
Sont aux pieds de Bourbon,les baignent de leurs larmes ; 6+6 a
Les prêtres sont muets ;les Seize épouvantés 6+6 b
En vain cherchent, pour fuir,des antres écartés. 6+6 b
505 Tout le peuple, changédans ce jour salutaire, 6+6 a
Reconnt son vrai roi,son vainqueur, et son père. 6+6 a
Dès lors on admirace règne fortuné, 6+6 b
Et commencé trop tard,et trop tôt terminé. 6+6 b
L’Autrichien trembla.Justement désarmée, 6+6 a
510 Rome adopta Bourbon,Rome s’en vit aimée. 6+6 a
La Discorde rentradans l’éternelle nuit. 6+6 b
À reconntre un roiMayenne fut réduit ; 6+6 b
Et, soumettant enfinson cœur et ses provinces, 6+6 a
Fut le meilleur sujetdu plus juste des princes. 6+6 a
FIN DE LA HENRIADE
mètre profil métrique : 6+6
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