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12 longueur métrique
6-6 mètre
VOL_3/VOL51
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LA HENRIADE
POËME EN DIX CHANTS
1723
CHANT NEUVIÈME
ARGUMENT
Description du temple de l’Amour : la Discorde implore son pouvoir pour amollir le courage de Henri IV. Ce héros est retenu quelque temps auprès de Mme d’Estrées, si célèbre sous le nom de la belle Gabrielle. Mornay l’arrache à son amour, et le roi retourne à son armée.
Sur les bords fortunésde l’antique Idalie, 6+6 a
Lieux finit l’Europeet commence l’Asie, 6+6 a
S’élève un vieux palaisrespecté par les temps : 6+6 b
La Nature en posales premiers fondements ; 6+6 b
5 Et l’art, ornant depuissa simple architecture, 6+6 a
Par ses travaux hardissurpassa la nature. 6+6 a
Là, tous les champs voisins,peuplés de myrtes verts, 6+6 b
N’ont jamais ressentil’outrage des hivers. 6+6 b
Partout on voit mûrir,partout on voit éclore 6+6 a
10 Et les fruits de Pomoneet les présents de Flore ; 6+6 a
Et la terre n’attend,pour donner ses moissons, 6+6 b
Ni les vœux des humains,ni l’ordre des saisons. 6+6 b
L’homme y semble gter,dans une paix profonde, 6+6 a
Tout ce que la nature,aux premiers jours du monde, 6+6 a
15 De sa main bienfaisanteaccordait aux humains, 6+6 b
Un éternel repos,des jours purs et sereins, 6+6 b
Les douceurs, les plaisirsque promet l’abondance, 6+6 a
Les biens du premier âge,hors la seule innocence. 6+6 a
On entend, pour tout bruit,des concerts enchanteurs 6+6 b
20 Dont la molle harmonieinspire les langueurs ; 6+6 b
Les voix de mille amants,les chants de leurs mtresses 6+6 a
Qui célèbrent leur honte,et vantent leurs faiblesses. 6+6 a
Chaque jour on les voit,le front paré de fleurs, 6+6 b
De leur aimable mtreimplorer les faveurs ; 6+6 b
25 Et, dans l’art dangereuxde plaire et de séduire, 6+6 a
Dans son temple à l’envis’empressent de s’instruire. 6+6 a
La flatteuse Espérance,au front toujours serein, 6+6 b
À l’autel de l’Amourles conduit par la main. 6+6 b
Près du temple sacréles Grâces demi-nues 6+6 a
30 Accordent à leurs voixleurs danses ingénues, 6+6 a
La molle Volupté,sur un lit de gazons, 6+6 b
Satisfaite et tranquille,écoute leurs chansons. 6+6 b
On voit à ses côtésle Mystère en silence, 6+6 a
Le Sourire enchanteur,les Soins, la Complaisance, 6+6 a
35 Les Plaisirs amoureux,et les tendres Désirs, 6+6 b
Plus doux, plus séduisantsencor que les Plaisirs. 6+6 b
De ce temple fameuxtelle est l’aimable entrée. 6+6 a
Mais, lorsqu’en avançantsous la vte sacrée, 6+6 a
On porte au sanctuaireun pas audacieux, 6+6 b
40 Quel spectacle funesteépouvante les yeux ! 6+6 b
Ce n’est plus des Plaisirsla troupe aimable et tendre : 6+6 a
Leurs concerts amoureuxne s’y font plus entendre. 6+6 a
Les Plaintes, les Dégts,l’Imprudence, la Peur, 6+6 b
Font de ce beau séjourun séjour plein d’horreur. 6+6 b
45 La sombre Jalousie,au teint pâle et livide, 6+6 a
Suit d’un pied chancelantle Souon qui la guide : 6+6 a
La Haine et le Courroux,répandant leur venin, 6+6 b
Marchent devant ses pas,un poignard à la main. 6+6 b
La Malice les voit,et d’un souris perfide 6+6 a
50 Applaudit, en passant,à leur troupe homicide. 6+6 a
Le Repentir les suit,détestant leurs fureurs, 6+6 b
Et baisse en soupirantses yeux mouillés de pleurs. 6+6 b
C’est là, c’est au milieude cette cour affreuse, 6+6 a
Des plaisirs des humainscompagne malheureuse, 6+6 a
55 Que l’Amour a choisison séjour éternel. 6+6 b
Ce dangereux enfant,si tendre et si cruel, 6+6 b
Porte en sa faible mainles destins de la terre, 6+6 a
Donne, avec un souris,ou la paix, ou la guerre, 6+6 a
Et, répandant partoutses trompeuses douceurs, 6+6 b
60 Anime l’univers,et vit dans tous les cœurs. 6+6 b
Sur un trône éclatantcontemplant ses conquêtes, 6+6 a
Il foulait à ses piedsles plus superbes têtes ; 6+6 a
Fier de ses cruautésplus que de ses bienfaits, 6+6 b
Il semblait s’applaudirdes maux qu’il avait faits. 6+6 b
65 La Discorde soudain,conduite par la Rage, 6+6 a
Écarte les Plaisirs,s’ouvre un libre passage, 6+6 a
Secouant dans ses mainsses flambeaux allumés, 6+6 b
Le front couvert de sang,et les yeux enflammés : 6+6 b
Mon frère, lui dit-elle, sont tes traits terribles ? 6+6 a
70 Pour qui réserves-tutes flèches invincibles ? 6+6 a
Ah ! si de la Discordeallumant le tison, 6+6 b
Jamais à tes fureurstu mêlas mon poison ; 6+6 b
Si tant de fois pour toij’ai troublé la nature, 6+6 a
Viens, vole sur mes pas,viens venger mon injure : 6+6 a
75 Un roi victorieuxécrase mes serpents ; 6+6 b
Ses mains joignent l’oliveaux lauriers triomphants : 6+6 b
La Clémence avec luimarchant d’un pas tranquille, 6+6 a
Au sein tumultueuxde la guerre civile, 6+6 a
Va sous ses étendards,flottants de tous côtés, 6+6 b
80 Réunir tous les cœurspar moi seul écartés : 6+6 b
Encore une victoire,et mon trône est en poudre. 6+6 a
Aux remparts de ParisHenri porte la foudre : 6+6 a
Ce héros va combattre,et vaincre, et pardonner ; 6+6 b
De cent chnes d’airainson bras va m’enchner. 6+6 b
85 C’est à toi d’arrêterce torrent dans sa course ; 6+6 a
Va de tant de hauts faitsempoisonner la source ; 6+6 a
Que sous ton joug, Amour,il gémisse abattu ; 6+6 b
Va dompter son courageau sein de la vertu. 6+6 b
C’est toi, tu t’en souviens,toi dont la main fatale 6+6 a
90 Fit tomber sans effortHercule aux pieds d’Omphale. 6+6 a
Ne vit-on pas Antoineamolli dans tes fers, 6+6 b
Abandonnant pour toiles soins de l’univers, 6+6 b
Fuyant devant Auguste,et, te suivant sur l’onde, 6+6 a
Préférer Cléopâtreà l’empire du monde ? 6+6 a
95 Henri te reste à vaincre,après tant de guerriers : 6+6 b
Dans ses superbes mainsva flétrir ses lauriers ; 6+6 b
Va du myrte amoureuxceindre sa tête altière ; 6+6 a
Endors entre tes brasson audace guerrière ; 6+6 a
À mon trône ébranlécours servir de soutien : 6+6 b
100 Viens, ma cause est la tienne,et ton règne est le mien. » 6+6 b
Ainsi parlait ce monstre ;et la vte tremblante 6+6 a
Répétait les accentsde sa voix effrayante. 6+6 a
L’Amour, qui l’écoutait,couché parmi des fleurs, 6+6 b
D’un souris fier et douxrépond à ses fureurs. 6+6 b
105 Il s’arme cependantde ses flèches dorées : 6+6 a
Il fend des vastes cieuxles vtes azurées, 6+6 a
Et, précédé des Jeux,des Grâces, des Plaisirs, 6+6 b
Il vole aux champs françaissur l’aile des Zéphyrs. 6+6 b
Dans sa course d’abordil découvre avec joie 6+6 a
110 Le faible Simoïs,et les champs fut Troie ; 6+6 a
Il rit en contemplant,dans ces lieux renommés, 6+6 b
La cendre des palaispar ses mains consumés. 6+6 b
Il apeoit de loinces murs bâtis sur l’onde, 6+6 a
Ces remparts orgueilleux,ce prodige du monde, 6+6 a
115 Venise, dont Neptuneadmire le destin, 6+6 b
Et qui commande aux flotsrenfermés dans son sein. 6+6 b
Il descend, il s’arrêteaux champs de la Sicile, 6+6 a
lui-même inspiraThéocrite et Virgile, 6+6 a
l’on dit qu’autrefois,par des chemins nouveaux, 6+6 b
120 De l’amoureux Alphéeil conduisit les eaux. 6+6 b
Bientôt, quittant les bordsde l’aimable Aréthuse, 6+6 a
Dans les champs de Provenceil vole vers Vaucluse, 6+6 a
Asile encor plus doux,lieux , dans ses beaux jours, 6+6 b
Pétrarque soupirases vers et ses amours. 6+6 b
125 Il voit les murs d’Anet,bâtis aux bords de l’Eure ; 6+6 a
Lui-même en ordonnala superbe structure : 6+6 a
Par ses adroites mainsavec art enlacés, 6+6 b
Les chiffres de Dianey sont encor tracés. 6+6 b
Sur sa tombe, en passant,les Plaisirs et les Grâces 6+6 a
130 Répandirent les fleursqui naissaient sur leurs traces. 6+6 a
Aux campagnes d’Ivryl’Amour arrive enfin. 6+6 b
Le roi, près d’en partirpour un plus grand dessein, 6+6 b
Mêlant à ses plaisirsl’image de la guerre, 6+6 a
Laissait pour un momentreposer son tonnerre. 6+6 a
135 Mille jeunes guerriers,à travers les guérets, 6+6 b
Poursuivaient avec luiles hôtes des forêts. 6+6 b
L’Amour sent, à sa vue,une joie inhumaine ; 6+6 a
Il aiguise ses traits,il prépare sa chne ; 6+6 a
Il agite les airsque lui-même a calmés ; 6+6 b
140 Il parle, on voit soudainles éléments armés. 6+6 b
D’un bout du monde à l’autreappelant les orages, 6+6 a
Sa voix commande aux ventsd’assembler les nuages, 6+6 a
De verser ces torrentssuspendus dans les airs, 6+6 b
Et d’apporter la nuit,la foudre, et les éclairs. 6+6 b
145 Déjà les Aquilons,à ses ordres fidèles, 6+6 a
Dans les cieux obscurcisont déployé leurs ailes ; 6+6 a
La plus affreuse nuitsuccède au plus beau jour ; 6+6 b
La Nature en gémit,et reconnt l’Amour. 6+6 b
Dans les sillons fangeuxde la campagne humide ; 6+6 a
150 Le roi marche incertain,sans escorte et sans guide ; 6+6 a
L’Amour, en ce moment,allumant son flambeau, 6+6 b
Fait briller devant luice prodige nouveau. 6+6 b
Abandonné des siens,le roi, dans ces bois sombres, 6+6 a
Suit cet astre ennemi,brillant parmi les ombres : 6+6 a
155 Comme on voit quelquefoisles voyageurs troublés 6+6 b
Suivre ces feux ardentsde la terre exhalés, 6+6 b
Ces feux dont la vapeurmaligne et passagère 6+6 a
Conduit au précipice,à l’instant qu’elle éclaire. 6+6 a
Depuis peu la fortune,en ces tristes climats, 6+6 b
160 D’une illustre mortelleavait conduit les pas. 6+6 b
Dans le fond d’un châteautranquille et solitaire, 6+6 a
Loin du bruit des combatselle attendait son père, 6+6 a
Qui, fidèle à ses rois,vieilli dans les hasards, 6+6 b
Avait du grand Henrisuivi les étendards. 6+6 b
165 D’Estrée était son nom :la main de la nature 6+6 a
De ses aimables donsla combla sans mesure. 6+6 a
Telle ne brillait point,aux bords de l’Eurotas, 6+6 b
La coupable beautéqui trahit Ménélas ; 6+6 b
Moins touchante et moins belleà Tarse on vit partre 6+6 a
170 Celle qui des Romainsavait dompté le mtre, 6+6 a
Lorsque les habitantsdes rives du Cydnus, 6+6 b
L’encensoir à la main,la prirent pour Vénus. 6+6 b
Elle entrait dans cet âge,hélas ! trop redoutable, 6+6 a
Qui rend des passionsle joug inévitable. 6+6 a
175 Son cœur, né pour aimer,mais fier et généreux, 6+6 b
D’aucun amant encorn’avait reçu les vœux : 6+6 b
Semblable en son printempsà la rose nouvelle, 6+6 a
Qui renferme en naissantsa beauté naturelle, 6+6 a
Cache aux vents amoureuxles trésors de son sein, 6+6 b
180 Et s’ouvre aux doux rayonsd’un jour pur et serein. 6+6 b
L’Amour, qui cependants’apprête à la surprendre, 6+6 a
Sous un nom supposévient près d’elle se rendre : 6+6 a
Il part sans flambeau,sans flèches, sans carquois ; 6+6 b
Il prend d’un simple enfantla figure et la voix. 6+6 b
185 « On a vu, lui dit-il,sur la rive prochaine, 6+6 a
S’avancer vers ces lieuxle vainqueur de Mayenne. » 6+6 a
Il glissait dans son cœur,en lui disant ces mots, 6+6 b
Un désir inconnude plaire à ce héros. 6+6 b
Son teint fut animéd’une grâce nouvelle. 6+6 a
190 L’Amour s’applaudissaiten la voyant si belle : 6+6 a
Que n’espérait-il point,aidé de tant d’appas ! 6+6 b
Au-devant du monarqueil conduisit ses pas. 6+6 b
L’art simple dont lui-mêmea formé sa parure 6+6 a
Part aux yeux séduitsl’effet de la nature : 6+6 a
195 L’or de ses blonds cheveux,qui flotte au gré des vents, 6+6 b
Tantôt couvre sa gorgeet ses trésors naissants, 6+6 b
Tantôt expose aux yeuxleur charme inexprimable. 6+6 a
Sa modestie encorla rendait plus aimable : 6+6 a
Non pas cette faroucheet triste austérité 6+6 b
200 Qui fait fuir les Amours,et même la beauté ; 6+6 b
Mais cette pudeur douce,innocente, enfantine, 6+6 a
Qui colore le frontd’une rougeur divine, 6+6 a
Inspire le respect,enflamme les désirs, 6+6 b
Et de qui la peut vaincreaugmente les plaisirs. 6+6 b
205 Il fait plus (à l’Amourtout miracle est possible) ; 6+6 a
Il enchante ces lieuxpar un charme invincible. 6+6 a
Des myrtes enlacés,que d’un prodigue sein 6+6 b
La terre obéissantea fait ntre soudain, 6+6 b
Dans les lieux d’alentourétendent leur feuillage : 6+6 a
210 À peine a-t-on passésous leur fatal ombrage, 6+6 a
Par des liens secretson se sent arrêter ; 6+6 b
On s’y plt, on s’y trouble,on ne peut les quitter. 6+6 b
On voit fuir sous cette ombreune onde enchanteresse ; 6+6 a
Les amants fortunés,pleins d’une douce ivresse, 6+6 a
215 Y boivent à longs traitsl’oubli de leur devoir. 6+6 b
L’Amour dans tous ces lieuxfait sentir son pouvoir : 6+6 b
Tout y part changé ;tous les cœurs y soupirent : 6+6 a
Tous sont empoisonnésdu charme qu’ils respirent : 6+6 a
Tout y parle d’amour.Les oiseaux dans les champs 6+6 b
220 Redoublent leurs baisers,leurs caresses, leurs chants. 6+6 b
Le moissonneur ardent,qui court avant l’aurore 6+6 a
Couper les blonds épisque l’été fait éclore, 6+6 a
S’arrête, s’inquiète,et pousse des soupirs : 6+6 b
Son cœur est étonnéde ses nouveaux désirs : 6+6 b
225 Il demeure enchantédans ces belles retraites, 6+6 a
Et laisse, en soupirant,ses moissons imparfaites. 6+6 a
Près de lui, la bergère,oubliant ses troupeaux, 6+6 b
De sa tremblante mainsent tomber ses fuseaux. 6+6 b
Contre un pouvoir si grandqu’t pu faire d’Estrée ? 6+6 a
230 Par un charme indomptableelle était attirée ; 6+6 a
Elle avait à combattre,en ce funeste jour, 6+6 b
Sa jeunesse, son cœur,un héros, et l’Amour. 6+6 b
Quelque temps de Henrila valeur immortelle 6+6 a
Vers ses drapeaux vainqueursen secret le rappelle : 6+6 a
235 Une invisible mainle retient malgré lui. 6+6 b
Dans sa vertu premièreil cherche un vain appui : 6+6 b
Sa vertu l’abandonne,et son âme enivrée 6+6 a
N’aime, ne voit, n’entend,ne connt que d’Estrée. 6+6 a
Loin de lui cependanttous ses chefs étonnés 6+6 b
240 Se demandent leur prince,et restent consternés. 6+6 b
Ils tremblaient pour ses jours ;aucun d’eux n’t pu croire 6+6 a
Qu’on t, dans ce moment,dû craindre pour sa gloire : 6+6 a
On le cherchait en vain ;ses soldats abattus, 6+6 b
Ne marchant plus sous lui,semblaient déjà vaincus. 6+6 b
245 Mais le génie heureuxqui préside à la France 6+6 a
Ne souffrit pas longtempssa dangereuse absence : 6+6 a
Il descendit des cieuxà la voix de Louis, 6+6 b
Et vint d’un vol rapideau secours de son fils. 6+6 b
Quand il fut descenduvers ce triste hémisphère, 6+6 a
250 Pour y trouver un sageil regarda la terre. 6+6 a
Il ne le chercha pointdans ces lieux révérés, 6+6 b
À l’étude, au silence,au jne consacrés ; 6+6 b
Il alla dans Ivry :là, parmi la licence 6+6 a
du soldat vainqueurs’emporte l’insolence, 6+6 a
255 L’ange heureux des Françaisfixa son vol divin 6+6 b
Au milieu des drapeauxdes enfants de Calvin : 6+6 b
Il s’adresse à Mornay.C’était pour nous instruire 6+6 a
Que souvent la raisonsuffit à nous conduire, 6+6 a
Ainsi qu’elle guida,chez des peuples païens, 6+6 b
260 Marc-Aurèle, ou Platon,la honte des chrétiens. 6+6 b
Non moins prudent amique philosophe austère, 6+6 a
Mornay sut l’art discretde reprendre et de plaire : 6+6 a
Son exemple instruisaitbien mieux que ses discours : 6+6 b
Les solides vertusfurent ses seuls amours. 6+6 b
265 Avide de travaux,insensible aux délices, 6+6 a
Il marchait d’un pas fermeau bord des précipices. 6+6 a
Jamais l’air de la cour,et son souffle infecté, 6+6 b
N’altéra de son cœurl’austère pureté. 6+6 b
Belle Aréthuse, ainsiton onde fortunée 6+6 a
270 Roule, au sein furieuxd’Amphitrite étonnée, 6+6 a
Un cristal toujours pur,et des flots toujours clairs, 6+6 b
Que jamais ne corromptl’amertume des mers. 6+6 b
Le généreux Mornay,conduit par la Sagesse, 6+6 a
Part, et vole en ces lieux la douce Mollesse 6+6 a
275 Retenait dans ses brasle vainqueur des humains, 6+6 b
Et de la France en luimtrisait les destins. 6+6 b
L’Amour, à chaque instant,redoublant sa victoire, 6+6 a
Le rendait plus heureux,pour mieux flétrir sa gloire. 6+6 a
Les plaisirs, qui souventont des termes si courts, 6+6 b
280 Partageaient ses momentset remplissaient ses jours. 6+6 b
L’Amour, au milieu d’eux,découvre avec colère, 6+6 a
À côté de Mornay,la Sagesse sévère : 6+6 a
Il veut sur ce guerrierlancer un trait vengeur ; 6+6 b
Il croit charmer ses sens,il croit blesser son cœur : 6+6 b
285 Mais Mornay méprisaitsa colère et ses charmes ; 6+6 a
Tous ses traits impuissantss’émoussaient sur ses armes. 6+6 a
Il attend qu’en secretle roi s’offre à ses yeux, 6+6 b
Et d’un œil irritécontemple ces beaux lieux. 6+6 b
Au fond de ces jardins,au bord d’une onde claire, 6+6 a
290 Sous un myrte amoureux,asile du mystère, 6+6 a
D’Estrée à son amantprodiguait ses appas ; 6+6 b
Il languissait près d’elle,il brûlait dans ses bras. 6+6 b
De leurs doux entretiensrien n’altérait les charmes : 6+6 a
Leurs yeux étaient remplisde ces heureuses larmes, 6+6 a
295 De ces larmes qui fontles plaisirs des amants : 6+6 b
Ils sentaient cette ivresseet ces saisissements, 6+6 b
Ces transports, ces fureurs,qu’un tendre amour inspire, 6+6 a
Que lui seul fait gter,que lui seul peut décrire. 6+6 a
Les folâtres Plaisirs,dans le sein du repos, 6+6 b
300 Les Amours enfantinsdésarmaient ce héros : 6+6 b
L’un tenait sa cuirasseencor de sang trempée, 6+6 a
L’autre avait détachésa redoutable épée, 6+6 a
Et riait, en tenantdans ses débiles mains 6+6 b
Ce fer, l’appui du trôneet l’effroi des humains. 6+6 b
305 La Discorde de loininsulte à sa faiblesse ; 6+6 a
Elle exprime, en grondant,sa barbare allégresse. 6+6 a
Sa fière activitéménage ces instants : 6+6 b
Elle court de la Ligueirriter les serpents ; 6+6 b
Et tandis que Bourbonse repose et sommeille, 6+6 a
310 De tous ses ennemisla rage se réveille. 6+6 a
Enfin dans ces jardins, sa vertu languit, 6+6 b
Il voit Mornay partre :il le voit, et rougit. 6+6 b
L’un de l’autre, en secret,ils craignaient la présence. 6+6 a
Le sage, en l’abordant,garde un morne silence ; 6+6 a
315 Mais ce silence même,et ces regards baissés, 6+6 b
Se font entendre au prince,et s’expliquent assez. 6+6 b
Sur ce visage austère, régnait la tristesse, 6+6 a
Henri lut aisémentsa honte et sa faiblesse. 6+6 a
Rarement de sa fauteon aime le témoin : 6+6 b
320 Tout autre t de Mornaymal reconnu le soin. 6+6 b
« Cher ami, dit le roi,ne crains point ma colère ; 6+6 a
Qui m’apprend mon devoirest trop sûr de me plaire : 6+6 a
Viens, le cœur de ton princeest digne encor de toi : 6+6 b
Je t’ai vu, c’en est fait,et tu me rends à moi ; 6+6 b
325 Je reprends ma vertu,que l’Amour m’a ravie : 6+6 a
De ce honteux reposfuyons l’ignominie ; 6+6 a
Fuyons ce lieu funeste, mon cœur mutiné 6+6 b
Aime encor les liensdont il fut enchné. 6+6 b
Me vaincre est désormaisma plus belle victoire : 6+6 a
330 Partons, bravons l’Amourdans les bras de la Gloire ; 6+6 a
Et bientôt, vers Parisrépandant la terreur, 6+6 b
Dans le sang espagnoleffaçons mon erreur. 6+6 b
À ces mots généreux,Mornay connut son mtre. 6+6 a
« C’est vous, s’écria-t-il,que je revois partre ; 6+6 a
335 Vous, de la France entièreauguste défenseur ; 6+6 b
Vous, vainqueur de vous-même,et roi de votre cœur ! 6+6 b
L’Amour à votre gloireajoute un nouveau lustre : 6+6 a
Qui l’ignore est heureux,qui le dompte est illustre. » 6+6 a
Il dit. Le roi s’apprêteà partir de ces lieux. 6+6 b
340 Quelle douleur, ô ciel !attendrit ses adieux ! 6+6 b
Plein de l’aimable objetqu’il fuit et qu’il adore, 6+6 a
En condamnant ses pleurs,il en versait encore. 6+6 a
Entrné par Mornay,par l’Amour attiré, 6+6 b
Il s’éloigne, il revient,il part désespéré. 6+6 b
345 Il part. En ce momentd’Estrée, évanouie, 6+6 a
Reste sans mouvement,sans couleur, et sans vie ; 6+6 a
D’une soudaine nuitses beaux yeux sont couverts. 6+6 b
L’Amour, qui l’apeut,jette un cri dans les airs ; 6+6 b
Il s’épouvante, il craintqu’une nuit éternelle 6+6 a
350 N’enlève à son empireune nymphe si belle, 6+6 a
N’efface pour jamaisles charmes de ces yeux 6+6 b
Qui devaient dans la Franceallumer tant de feux. 6+6 b
Il la prend dans ses bras ;et bientôt cette amante 6+6 a
Rouvre, à sa douce voix,sa paupière mourante, 6+6 a
355 Lui nomme son amant,le redemande en vain, 6+6 b
Le cherche encor des yeux,et les ferme soudain. 6+6 b
L’Amour, baigné des pleursqu’il répand auprès d’elle, 6+6 a
Au jour qu’elle fuyaittendrement la rappelle ; 6+6 a
D’un espoir séduisantil lui rend la douceur, 6+6 b
360 Et soulage les mauxdont lui seul est l’auteur. 6+6 b
Mornay, toujours sévèreet toujours inflexible, 6+6 a
Entrnait cependantson mtre trop sensible. 6+6 a
La Force et la Vertuleur montrent le chemin ; 6+6 b
La Gloire les conduit,les lauriers à la main ; 6+6 b
365 Et l’Amour indigné,que le devoir surmonte, 6+6 a
Va cacher loin d’Anetsa colère et sa honte. 6+6 a
FIN DU CHANT NEUVIÈME
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