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12 longueur métrique
6-6 mètre
VOL_3/VOL50
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LA HENRIADE
POËME EN DIX CHANTS
1723
CHANT HUITIÈME
ARGUMENT
Le comte d’Egmont vient de la part du roi d’Espagne au secours de Mayenne et des ligueurs. Bataille d’Ivry, dans laquelle Mayenne est défait, et d’Egmont tué. Valeur et clémence de Henri le Grand.
Des états dans Parisla confuse assemblée 6+6 a
Avait perdu l’orgueildont elle était enflée. 6+6 a
Au seul nom de Henri,les ligueurs, pleins d’effroi, 6+6 b
Semblaient tous oublierqu’ils voulaient faire un roi. 6+6 b
5 Rien ne pouvait fixerleur fureur incertaine ; 6+6 a
Et, n’osant dégraderni couronner Mayenne, 6+6 a
Ils avaient confirmé,par leurs décrets honteux, 6+6 b
Le pouvoir et le rangqu’il ne tenait pas d’eux. 6+6 b
Ce lieutenant sans chef,ce roi sans diadème, 6+6 a
10 Toujours dans son partigarde un pouvoir suprême. 6+6 a
Un peuple obéissant,dont il se dit l’appui, 6+6 b
Lui promet de combattreet de mourir pour lui. 6+6 b
Plein d’un nouvel espoir,au conseil il appelle 6+6 a
Tous ces chefs orgueilleux,vengeurs de sa querelle ; 6+6 a
15 Les Lorrains, les Nemours,La Châtre, Canillac, 6+6 b
Et l’inconstant Joyeuse,et saint-Paul, et Brissac. 6+6 b
Ils viennent : la fierté,la vengeance, la rage, 6+6 a
Le désespoir, l’orgueil,sont peints sur leur visage. 6+6 a
Quelques-uns en tremblantsemblaient porter leurs pas, 6+6 b
20 Affaiblis par leur sangversé dans les combats ; 6+6 b
Mais ces mêmes combats,leur sang, et leurs blessures, 6+6 a
Les excitaient encoreà venger leurs injures. 6+6 a
Tout auprès de Mayenneils viennent se ranger ; 6+6 b
Tous, le fer dans les mains,jurent de le venger. 6+6 b
25 Telle au haut de l’Olympe,aux champs de Thessalie, 6+6 a
Des enfants de la terreon peint la troupe impie 6+6 a
Entassant des rochers,et menaçant les cieux, 6+6 b
Ivre du fol espoirde détrôner les dieux. 6+6 b
La Discorde à l’instant,entr’ouvrant une nue, 6+6 a
30 Sur un char lumineuxse présente à leur vue : 6+6 a
« Courage ! leur dit-elle,on vient vous secourir ; 6+6 b
C’est maintenant, Français,qu’il faut vaincre ou mourir. 6+6 b
D’Aumale, le premier,se lève à ces paroles ; 6+6 a
Il court, il voit de loinles lances espagnoles : 6+6 a
35 « Le voilà, cria-t-il,le voilà, ce secours 6+6 b
Demandé si longtemps,et différé toujours : 6+6 b
Amis, enfin l’Autrichea secouru la France. » 6+6 a
Il dit. Mayenne alorsvers les portes s’avance. 6+6 a
Le secours paraissaitvers ces lieux révérés 6+6 b
40 Qu’aux tombes de nos roisla mort a consacrés. 6+6 b
Ce formidable amasd’armes étincelantes, 6+6 a
Cet or, ce fer brillant,ces lances éclatantes, 6+6 a
Ces casques, ces harnois,ce pompeux appareil, 6+6 b
Défiaient dans les champsles rayons du soleil : 6+6 b
45 Tout le peuple au-devantcourt en foule avec joie : 6+6 a
Ils bénissent le chefque Madrid leur envoie : 6+6 a
C’était le jeune Egmont,ce guerrier obstiné, 6+6 b
Ce fils ambitieuxd’un père infortuné ; 6+6 b
Dans les murs de Bruxelleil a reçu la vie : 6+6 a
50 Son père, qu’aveuglal’amour de la patrie, 6+6 a
Mourut sur l’échafaud,pour soutenir les droits 6+6 b
Des malheureux Flamandsopprimés par leurs rois : 6+6 b
Le fils, courtisan lâche,et guerrier téméraire, 6+6 a
Baisa longtemps la mainqui fit périr son père, 6+6 a
55 Servit, par politique,aux maux de son pays, 6+6 b
Persécuta Bruxelle,et secourut Paris. 6+6 b
Philippe l’envoyaitsur les bords de la Seine, 6+6 a
Comme un Dieu tutélaire,au secours de Mayenne ; 6+6 a
Et Mayenne, avec lui,crut aux tentes du roi 6+6 b
60 Rapporter à son tourle carnage et l’effroi. 6+6 b
Le téméraire orgueilaccompagnait leur trace. 6+6 a
Qu’avec plaisir, grand roi,tu voyais cette audace ! 6+6 a
Et que tes vœux hâtaientle moment d’un combat 6+6 b
semblaient attachésles destins de l’État. 6+6 b
65 Près des bords de l’Itonet des rives de l’Eure 6+6 a
Est un champ fortuné,l’amour de la nature : 6+6 a
La guerre avait longtempsrespecté les trésors 6+6 b
Dont Flore et les Zéphyrsembellissaient ces bords. 6+6 b
Au milieu des horreursdes discordes civiles, 6+6 a
70 Les bergers de ces lieuxcoulaient des jours tranquilles. 6+6 a
Protégés par le cielet par leur pauvreté, 6+6 b
Ils semblaient des soldatsbraver l’avidité, 6+6 b
Et, sous leurs toits de chaume,à l’abri des alarmes, 6+6 a
N’entendaient point le bruitdes tambours et des armes. 6+6 a
75 Les deux camps ennemisarrivent en ces lieux : 6+6 b
La désolationpartout marche avant eux. 6+6 b
De l’Eure et de l’Itonles ondes s’alarmèrent ; 6+6 a
Les bergers, pleins d’effroi,dans les bois se cachèrent ; 6+6 a
Et leurs tristes moitiés,compagnes de leurs pas, 6+6 b
80 Emportent leurs enfantsgémissants dans leurs bras. 6+6 b
Habitants malheureuxde ces bords pleins de charmes, 6+6 a
Du moins à votre roin’imputez point vos larmes ; 6+6 a
S’il cherche les combats,c’est pour donner la paix : 6+6 b
Peuples, sa main sur vousrépandra ses bienfaits : 6+6 b
85 Il veut finir vos maux,il vous plaint, il vous aime, 6+6 a
Et dans ce jour affreuxil combat pour vous-même. 6+6 a
Les moments lui sont chers,il court dans tous les rangs 6+6 b
Sur un coursier fougueuxplus léger que les vents, 6+6 b
Qui, fier de son fardeau,du pied frappant la terre, 6+6 a
90 Appelle les dangers,et respire la guerre. 6+6 a
On voyait près de luibriller tous ces guerriers, 6+6 b
Compagnons de sa gloireet ceints de ses lauriers : 6+6 b
D’Aumont, qui sous cinq roisavait porté les armes ; 6+6 a
Biron, dont le seul nomrépandait les alarmes ; 6+6 a
95 Et son fils, jeune encore,ardent, impétueux, 6+6 b
Qui depuis… mais alorsil était vertueux ; 6+6 b
Sully, Nangis, Crillon,ces ennemis du crime, 6+6 a
Que la Ligue détesteet que la Ligue estime ; 6+6 a
Turenne, qui, depuis,de la jeune Bouillon 6+6 b
100 Mérita, dans Sedan,la puissance et le nom ; 6+6 b
Puissance malheureuseet trop mal conservée, 6+6 a
Et par Armand détruiteaussitôt qu’élevée. 6+6 a
Essex avec éclatpart au milieu d’eux, 6+6 b
Tel que dans nos jardinsun palmier sourcilleux, 6+6 b
105 À nos ormes touffusmêlant sa tête altière, 6+6 a
Part s’enorgueillirde sa tige étrangère. 6+6 a
Son casque étincelaitdes feux les plus brillants 6+6 b
Qu’étalaient à l’envil’or et les diamants, 6+6 b
Dons chers et précieuxdont sa fière mtresse 6+6 a
110 Honora son courage,ou plutôt sa tendresse. 6+6 a
Ambitieux Essex,vous étiez à la fois 6+6 b
L’amour de votre reineet le soutien des rois. 6+6 b
Plus loin sont La Trimouille,et Clermont, et Feuquières, 6+6 a
Le malheureux de Nesle,et l’heureux Lesdiguières, 6+6 a
115 D’Ailly, pour qui ce jourfut un jour trop fatal. 6+6 b
Tous ces héros en fouleattendaient le signal, 6+6 b
Et, rangés près du roi,lisaient sur son visage 6+6 a
D’un triomphe certainl’espoir et le présage. 6+6 a
Mayenne, en ce moment,inquiet, abattu, 6+6 b
120 Dans son cœur étonnécherche en vain sa vertu. 6+6 b
Soit que, de son particonnaissant l’injustice, 6+6 a
Il ne crût point le cielà ses armes propice ; 6+6 a
Soit que l’âme, en effet,ait des pressentiments, 6+6 b
Avant-coureurs certainsdes grands événements. 6+6 b
125 Ce héros cependant,mtre de sa faiblesse, 6+6 a
Déguisait ses chagrinssous sa fausse allégresse : 6+6 a
Il s’excite, il s’empresse,il inspire aux soldats 6+6 b
Cet espoir généreuxque lui-même il n’a pas. 6+6 b
D’Egmont auprès de lui,plein de la confiance 6+6 a
130 Que dans un jeune cœurfait ntre l’imprudence, 6+6 a
Impatient déjàd’exercer sa valeur, 6+6 b
De l’incertain Mayenneaccusait la lenteur. 6+6 b
Tel qu’échappé du seind’un riant pâturage, 6+6 a
Au bruit de la trompetteanimant son courage, 6+6 a
135 Dans les champs de la Thraceun coursier orgueilleux, 6+6 b
Indocile, inquiet,plein d’un feu belliqueux, 6+6 b
Levant les crins mouvantsde sa tête superbe, 6+6 a
Impatient du frein,vole et bondit sur l’herbe ; 6+6 a
Tel paraissait Egmont :une noble fureur 6+6 b
140 Éclate dans ses yeux,et brûle dans son cœur. 6+6 b
Il s’entretient déjàde sa prochaine gloire ; 6+6 a
Il croit que son destincommande à la victoire. 6+6 a
Hélas ! il ne sait pointque son fatal orgueil 6+6 b
Dans les plaines d’Ivrylui prépare un cercueil. 6+6 b
145 Vers les ligueurs enfinle grand Henri s’avance ; 6+6 a
Et s’adressant aux siens,qu’enflammait sa présence : 6+6 a
« Vous êtes nés Français,et je suis votre roi ; 6+6 b
Voilà nos ennemis,marchez, et suivez-moi ; 6+6 b
Ne perdez point de vue,au fort de la tempête, 6+6 a
150 Ce panache éclatantqui flotte sur ma tête ; 6+6 a
Vous le verrez toujoursau chemin de l’honneur. 6+6 b
À ces mots, que ce roiprononçait en vainqueur, 6+6 b
Il voit d’un feu nouveauses troupes enflammées, 6+6 a
Et marche en invoquantle grand Dieu des armées. 6+6 a
155 Sur les pas des deux chefsalors en même temps 6+6 b
On voit des deux partisvoler les combattants. 6+6 b
Ainsi lorsque des montsséparés par Alcide 6+6 a
Les aquilons fougueuxfondent d’un vol rapide, 6+6 a
Soudain les flots émusde deux profondes mers 6+6 b
160 D’un choc impétueuxs’élancent dans les airs ; 6+6 b
La terre au loin gémit,le jour fuit, le ciel gronde, 6+6 a
Et l’Africain tremblantcraint la chute du monde. 6+6 a
Au mousquet réunile sanglant coutelas 6+6 b
Déjà de tous côtésporte un double trépas : 6+6 b
165 Cette arme que jadis,pour dépeupler la terre, 6+6 a
Dans Bayonne inventale démon de la guerre, 6+6 a
Rassemble en même temps,digne fruit de l’enfer, 6+6 b
Ce qu’ont de plus terribleet la flamme et le fer. 6+6 b
On se mêle, on combat ;l’adresse, le courage, 6+6 a
170 Le tumulte, les cris,la peur, l’aveugle rage, 6+6 a
La honte de céder,l’ardente soif du sang, 6+6 b
Le désespoir, la mort,passent de rang en rang. 6+6 b
L’un poursuit un parentdans le parti contraire ; 6+6 a
Là, le frère en fuyantmeurt de la main d’un frère. 6+6 a
175 La nature en frémit,et ce rivage affreux 6+6 b
S’abreuvait à regretde leur sang malheureux. 6+6 b
Dans d’épaisses forêtsde lances hérissées, 6+6 a
De bataillons sanglants,de troupes renversées, 6+6 a
Henri pousse, s’avance,et se fait un chemin. 6+6 b
180 Le grand Mornay le suit,toujours calme et serein ; 6+6 b
Il veille autour de luitel qu’un puissant génie, 6+6 a
Tel qu’on feignait jadis,aux champs de la Phrygie, 6+6 a
De la terre et des cieuxles moteurs éternels 6+6 b
Mêlés dans les combatssous l’habit des mortels ; 6+6 b
185 Ou tel que du vrai Dieules ministres terribles, 6+6 a
Ces puissances des cieux,ces êtres impassibles, 6+6 a
Environnés des vents,des foudres, des éclairs, 6+6 b
D’un front inaltérableébranlent l’univers. 6+6 b
Il reçoit de Henritous ces ordres rapides, 6+6 a
190 De l’âme d’un hérosmouvements intrépides, 6+6 a
Qui changent le combat,qui fixent le destin ; 6+6 b
Aux chefs des légionsil les porte soudain ; 6+6 b
L’officier les reçoit ;sa troupe impatiente 6+6 a
Règle, au soin de sa voix,sa rage obéissante. 6+6 a
195 On s’écarte, on s’unit,on marche en divers corps ; 6+6 b
Un esprit seul présideà ces vastes ressorts. 6+6 b
Mornay revole au prince,il le suit, il l’escorte ; 6+6 a
Il pare, en lui parlant,plus d’un coup qu’on lui porte ; 6+6 a
Mais il ne permet pasà ses stoïques mains 6+6 b
200 De se souiller du sangdes malheureux humains. 6+6 b
De son roi seulementson âme est occupée : 6+6 a
Pour sa défense seuleil a tiré l’épée ; 6+6 a
Et son rare courage,ennemi des combats, 6+6 b
Sait affronter la mort,et ne la donne pas. 6+6 b
205 De Turenne déjàla valeur indomptée 6+6 a
Repoussait de Nemoursla troupe épouvantée. 6+6 a
D’Ailly portait partoutla crainte et le trépas ; 6+6 b
D’Ailly, tout orgueilleuxde trente ans de combats, 6+6 b
Et qui, dans les horreursde la guerre cruelle, 6+6 a
210 Reprend, malgré son âge,une force nouvelle. 6+6 a
Un seul guerrier s’opposeà ses coups menaçants : 6+6 b
C’est un jeune hérosà la fleur de ses ans, 6+6 b
Qui, dans cette journéeillustre et meurtrière, 6+6 a
Commençait des combatsla fatale carrière ; 6+6 a
215 D’un tendre hymen à peineil gtait les appas ; 6+6 b
Favori des Amours,il sortait de leurs bras. 6+6 b
Honteux de n’être encorfameux que par ses charmes, 6+6 a
Avide de la gloire,il volait aux alarmes. 6+6 a
Ce jour, sa jeune épouse,en accusant le ciel, 6+6 b
220 En détestant la Ligueet ce combat mortel, 6+6 b
Arma son tendre amant,et, d’une main tremblante, 6+6 a
Attacha tristementsa cuirasse pesante, 6+6 a
Et couvrit, en pleurant,d’un casque précieux 6+6 b
Ce front si plein de grâce,et si cher à ses yeux. 6+6 b
225 Il marche vers d’Ailly,dans sa fureur guerrière : 6+6 a
Parmi des tourbillonsde flamme, de poussière, 6+6 a
À travers les blessés,les morts, et les mourants, 6+6 b
De leurs coursiers fougueuxtous deux pressent les flancs ; 6+6 b
Tous deux sur l’herbe unie,et de sang colorée, 6+6 a
230 S’élancent loin des rangsd’une course assurée : 6+6 a
Sanglants, couverts de fer,et la lance à la main, 6+6 b
D’un choc épouvantableils se frappent soudain. 6+6 b
La terre en retentit,leurs lances sont rompues ; 6+6 a
Comme en un ciel brûlantdeux effroyables nues, 6+6 a
235 Qui, portant le tonnerreet la mort dans leurs flancs, 6+6 b
Se heurtent dans les airs,et volent sur les vents : 6+6 b
De leur mélange affreuxles éclairs rejaillissent ; 6+6 a
La foudre en est formée,et les mortels frémissent. 6+6 a
Mais loin de leurs coursiers,par un subit effort, 6+6 b
240 Ces guerriers malheureuxcherchent une autre mort ; 6+6 b
Déjà brille en leurs mainsle fatal cimeterre. 6+6 a
La Discorde accourut ;le démon de la guerre, 6+6 a
La Mort pâle et sanglante,étaient à ses côtés. 6+6 b
Malheureux, suspendezvos coups précipités ! 6+6 b
245 Mais un destin funesteenflamme leur courage ; 6+6 a
Dans le cœur l’un de l’autreils cherchent un passage, 6+6 a
Dans ce cœur ennemiqu’ils ne connaissent pas. 6+6 b
Le fer qui les couvraitbrille et vole en éclats ; 6+6 b
Sous les coups redoublésleur cuirasse étincelle ; 6+6 a
250 Leur sang, qui rejaillit,rougit leur main cruelle ; 6+6 a
Leur bouclier, leur casque,arrêtant leur effort, 6+6 b
Pare encor quelques coups,et repousse la mort. 6+6 b
Chacun d’eux, étonnéde tant de résistance, 6+6 a
Respectait son rival,admirait sa vaillance. 6+6 a
255 Enfin le vieux d’Ailly,par un coup malheureux, 6+6 b
Fait tomber à ses piedsce guerrier généreux. 6+6 b
Ses yeux sont pour jamaisfermés à la lumière ; 6+6 a
Son casque auprès de luiroule sur la poussière. 6+6 a
D’Ailly voit son visage :ô désespoir ! ô cris ! 6+6 b
260 Il le voit, il l’embrasse :hélas ! c’était son fils. 6+6 b
Le père infortuné,les yeux baignés de larmes, 6+6 a
Tournait contre son seinses parricides armes ; 6+6 a
On l’arrête ; on s’opposeà sa juste fureur : 6+6 b
Il s’arrache, en tremblant,de ce lieu plein d’horreur ; 6+6 b
265 Il déteste à jamaissa coupable victoire ; 6+6 a
Il renonce à la cour,aux humains, à la gloire ; 6+6 a
Et, se fuyant lui-même,au milieu des déserts, 6+6 b
Il va cacher sa peineau bout de l’univers. 6+6 b
Là, soit que le soleilrendît le jour au monde, 6+6 a
270 Soit qu’il finît sa courseau vaste sein de l’onde, 6+6 a
Sa voix faisait redireaux échos attendris 6+6 b
Le nom, le triste nomde son malheureux fils. 6+6 b
Du héros expirantla jeune et tendre amante, 6+6 a
Par la terreur conduite,incertaine, tremblante, 6+6 a
275 Vient d’un pied chancelantsur ces funestes bords : 6+6 b
Elle cherche, elle voitdans la foule des morts, 6+6 b
Elle voit son époux ;elle tombe éperdue ; 6+6 a
Le voile de la mortse répand sur sa vue : 6+6 a
« Est-ce toi, cher amant ?» Ces mots interrompus, 6+6 b
280 Ces cris demi formésne sont point entendus ; 6+6 b
Elle rouvre les yeux ;sa bouche presse encore 6+6 a
Par ses derniers baisersla bouche qu’elle adore : 6+6 a
Elle tient dans ses brasce corps pâle et sanglant, 6+6 b
Le regarde, soupire,et meurt en l’embrassant. 6+6 b
285 Père, époux malheureux,famille déplorable, 6+6 a
Des fureurs de ces tempsexemple lamentable, 6+6 a
Puisse de ce combatle souvenir affreux 6+6 b
Exciter la pitiéde nos derniers neveux, 6+6 b
Arracher à leurs yeuxdes larmes salutaires ; 6+6 a
290 Et qu’ils n’imitent pointles crimes de leurs pères : 6+6 a
Mais qui fait fuir ainsices ligueurs dispersés ? 6+6 b
Quel héros, ou quel dieu,les a tous renversés ? 6+6 b
C’est le jeune Biron ;c’est lui dont le courage 6+6 a
Parmi leurs bataillonss’était fait un passage. 6+6 a
295 D’Aumale les voit fuir,et, bouillant de courroux : 6+6 b
« Arrêtez, revenezlâches, courez-vous ? 6+6 b
Vous, fuir ! vous, compagnonsde Mayenne et de Guise ! 6+6 a
Vous qui devez vengerParis, Rome, et l’Église ! 6+6 a
Suivez-moi, rappelezvotre antique vertu ; 6+6 b
300 Combattez sous d’Aumale,et vous avez vaincu. » 6+6 b
Aussitôt secourude Beauvau, de Fosseuse, 6+6 a
Du farouche Saint-Paul,et même de Joyeuse, 6+6 a
Il rassemble avec euxces bataillons épars, 6+6 b
Qu’il anime en marchantdu feu de ses regards. 6+6 b
305 La fortune avec luirevient d’un pas rapide : 6+6 a
Biron soutient en vain,d’un courage intrépide, 6+6 a
Le cours précipitéde ce fougueux torrent ; 6+6 b
Il voit à ses côtésParabère expirant ; 6+6 b
Dans la foule des mortsil voit tomber Feuquière ; 6+6 a
310 Nesle, Clermont, d’Angenne,ont mordu la poussière ; 6+6 a
Percé de coups lui-même,il est près de périr… 6+6 b
C’était ainsi, Biron ;que tu devais mourir ! 6+6 b
Un trépas si fameux,une chute si belle, 6+6 a
Rendait de ta vertula mémoire immortelle. 6+6 a
315 Le généreux Bourbonsut bientôt le danger 6+6 b
Biron, trop ardent,venait de s’engager : 6+6 b
Il l’aimait, non en roi,non en mtre sévère 6+6 a
Qui souffre qu’on aspireà l’honneur de lui plaire, 6+6 a
Et de qui le cœur duret l’inflexible orgueil 6+6 b
320 Croit le sang d’un sujettrop payé d’un coup d’œil. 6+6 b
Henri de l’amitiésentit les nobles flammes : 6+6 a
Amitié, don du ciel,plaisir des grandes âmes ; 6+6 a
Amitié, que les rois,ces illustres ingrats, 6+6 b
Sont assez malheureuxpour ne conntre pas ! 6+6 b
325 Il court le secourir ;ce beau feu qui le guide 6+6 a
Rend son bras plus puissant,et son vol plus rapide. 6+6 a
Biron, qu’environnaientles ombres de la mort, 6+6 b
À l’aspect de son roifait un dernier effort ; 6+6 b
Il rappelle, à sa voix,les restes de sa vie ; 6+6 a
330 Sous les coups de Bourbon,tout s’écarte, tout plie : 6+6 a
Ton roi, jeune Biron,Carrache à ces soldats 6+6 b
Dont les coups redoublésachevaient ton trépas ; 6+6 b
Tu vis : songe du moinsà lui rester fidèle. 6+6 a
Un bruit affreux s’entend.La Discorde cruelle, 6+6 a
335 Aux vertus du hérosopposant ses fureurs, 6+6 b
D’une rage nouvelleembrase les ligueurs. 6+6 b
Elle vole à leur tête,et sa bouche fatale 6+6 a
Fait retentir au loinsa trompette infernale. 6+6 a
Par ses sons trop connusd’Aumale est excité : 6+6 b
340 Aussi prompt que le traitdans les airs emporté, 6+6 b
Il cherchait le héros ;sur lui seul il s’élance ; 6+6 a
Des ligueurs en tumulteune foule s’avance : 6+6 a
Tels, au fond des forêts,précipitant leurs pas, 6+6 b
Ces animaux hardis,nourris pour les combats, 6+6 b
345 Fiers esclaves de l’homme,et nés pour le carnage, 6+6 a
Pressent un sanglier,en raniment la rage ; 6+6 a
Ignorant le danger,aveugles, furieux, 6+6 b
Le cor excite au loinleur instinct belliqueux ; 6+6 b
Les antres, les rochers,les monts en retentissent : 6+6 a
350 Ainsi contre Bourbonmille ennemis s’unissent ; 6+6 a
Il est seul contre tous,abandonné du sort, 6+6 b
Accablé par le nombre,entouré de la mort. 6+6 b
Louis, du haut des cieux,dans ce danger terrible, 6+6 a
Donne au héros qu’il aimeune force invincible ; 6+6 a
355 Il est comme un rocherqui, menaçant les airs, 6+6 b
Rompt la course des ventset repousse les mers. 6+6 b
Qui pourrait exprimerle sang et le carnage 6+6 a
Dont l’Eure, en ce moment,vit couvrir son rivage ! 6+6 a
Ô vous, mânes sanglantsdu plus vaillant des rois, 6+6 b
360 Éclairez mon esprit,et parlez par ma voix ! 6+6 b
Il voit voler vers luisa noblesse fidèle ; 6+6 a
Elle meurt pour son roi,son roi combat pour elle. 6+6 a
L’effroi le devançait,la mort suivait ses coups, 6+6 b
Quand le fougueux Egmonts’offrit à son courroux. 6+6 b
365 Longtemps cet étranger,trompé par son courage, 6+6 a
Avait cherché le roidans l’horreur du carnage 6+6 a
Dût sa téméritéle conduire au cercueil, 6+6 b
L’honneur de le combattreirritait son orgueil. 6+6 b
Viens, Bourbon, criait-il,viens augmenter ta gloire, 6+6 a
370 Combattons ; c’est à nousde fixer la victoire. 6+6 a
Comme il disait ces mots,un lumineux éclair, 6+6 b
Messager des destins,fend les plaines de l’air : 6+6 b
L’arbitre des combatsfait gronder son tonnerre ; 6+6 a
Le soldat sous ses piedssentit trembler la terre. 6+6 a
375 D’Egmont croit que les cieuxlui doivent leur appui, 6+6 b
Qu’ils défendent sa cause,et combattent pour lui ; 6+6 b
Que la nature entière,attentive à sa gloire, 6+6 a
Par la voix du tonnerreannonçait sa victoire. 6+6 a
D’Egmont joint le héros,il l’atteint vers le flanc ; 6+6 b
380 Il triomphait déjàd’avoir versé son sang. 6+6 b
Le roi, qu’il a blessé,voit son péril sans trouble ; 6+6 a
Ainsi que le dangerson audace redouble : 6+6 a
Son grand cœur s’applauditd’avoir, au champ d’honneur, 6+6 b
Trouvé des ennemisdignes de sa valeur. 6+6 b
385 Loin de le retarder,sa blessure l’irrite ; 6+6 a
Sur ce fier ennemiBourbon se précipite : 6+6 a
D’Egmont d’un coup plus sûrest renversé soudain ; 6+6 b
Le fer étincelantse plongea dans son sein. 6+6 b
Sous leurs pieds teints de sangles chevaux le foulèrent ; 6+6 a
390 Des ombres du trépasses yeux s’enveloppèrent, 6+6 a
Et son âme en courrouxs’envola chez les morts, 6+6 b
l’aspect de son pèreexcita ses remords. 6+6 b
Espagnols tant vantés,troupe jadis si fière, 6+6 a
Sa mort anéantitvotre vertu guerrière ; 6+6 a
395 Pour la première foisvous connûtes la peur. 6+6 b
L’étonnement, l’espritde trouble et de terreur, 6+6 b
S’empare, en ce moment,de leur troupe alarmée ; 6+6 a
Il passe en tous les rangs,il s’étend sur l’armée ; 6+6 a
Les chefs sont effrayés,les soldats éperdus ; 6+6 b
400 L’un ne peut commander,l’autre n’obéit plus. 6+6 b
Ils jettent leurs drapeaux,ils courent, se renversent, 6+6 a
Poussent des cris affreux,se heurtent, se dispersent : 6+6 a
Les uns, sans résistance,à leur vainqueur offerts, 6+6 b
Fléchissent les genoux,et demandent des fers ; 6+6 b
405 D’autres, d’un pas rapideévitant sa poursuite, 6+6 a
Jusqu’aux rives de l’Eureemportés dans leur fuite, 6+6 a
Dans ses profondes eauxvont se précipiter, 6+6 b
Et courent au trépasqu’ils veulent éviter. 6+6 b
Les flots couverts de mortsinterrompent leur course, 6+6 a
410 Et le fleuve sanglantremonte vers sa source. 6+6 a
Mayenne, en ce tumulte,incapable d’effroi, 6+6 b
Affligé, mais tranquille,et mtre encor de soi, 6+6 b
Voit d’un œil assurésa fortune cruelle, 6+6 a
Et, tombant sous ses coups,songe à triompher d’elle. 6+6 a
415 D’Aumale auprès de lui,la fureur dans les yeux, 6+6 b
Accusait les Flamands,la fortune et les cieux. 6+6 b
« Tout est perdu, dit-il ;mourons, brave Mayenne : 6+6 a
Quittez, lui dit son chef,une fureur si vaine ; 6+6 a
Vivez pour un partidont vous êtes l’honneur ; 6+6 b
420 Vivez pour réparersa perte et son malheur : 6+6 b
Que vous et Bois-Dauphin,dans ce moment funeste, 6+6 a
De nos soldats éparsassemblent ce qui reste. 6+6 a
Suivez-moi l’un et l’autreaux remparts de Paris : 6+6 b
De la Ligue en marchantramassez les débris : 6+6 b
425 De Coligny vaincusurpassons le courage. » 6+6 a
D’Aumale, en l’écoutant,pleure, et frémit de rage. 6+6 a
Cet ordre qu’il déteste,il va l’exécuter ; 6+6 b
Semblable au fier lionqu’un Maure a su dompter, 6+6 b
Qui, docile à son mtre,à tout autre terrible, 6+6 a
430 À la main qu’il conntsoumet sa tête horrible, 6+6 a
Le suit d’un air affreux,le flatte en rugissant, 6+6 b
Et part menacer,même en obéissant. 6+6 b
Mayenne cependant,par une fuite prompte, 6+6 a
Dans les murs de Pariscourait cacher sa honte. 6+6 a
435 Henri victorieuxvoyait de tous côtés 6+6 b
Les ligueurs sans défenseimplorant ses bontés. 6+6 b
Des cieux en ce momentles vtes s’entr’ouvrirent 6+6 a
Les mânes des Bourbonsdans les airs descendirent. 6+6 a
Louis au milieu d’eux,du haut du firmament, 6+6 b
440 Vint contempler Henridans ce fameux moment, 6+6 b
Vint voir comme il sauraituser de la victoire, 6+6 a
Et s’il achèveraitde mériter sa gloire. 6+6 a
Ses soldats près de lui,d’un œil plein de courroux, 6+6 b
Regardaient ces vaincuséchappés à leurs coups. 6+6 b
445 Les captifs en tremblant,conduits en sa présence, 6+6 a
Attendaient leur arrêtdans un profond silence. 6+6 a
Le mortel désespoir,la honte, la terreur, 6+6 b
Dans leurs yeux égarésavaient peint leur malheur. 6+6 b
Bourbon tourna sur euxdes regards pleins de grâce. 6+6 a
450 régnaient à la foisla douceur et l’audace. 6+6 a
« Soyez libres, dit-il ;vous pouvez désormais 6+6 b
Rester mes ennemis,ou vivre mes sujets. 6+6 b
Entre Mayenne et moireconnaissez un mtre ; 6+6 a
Voyez qui de nous deuxa mérité de l’être : 6+6 a
455 Esclaves de la Ligue,ou compagnons d’un roi, 6+6 b
Allez gémir sous elle,ou triomphez sous moi : 6+6 b
Choisissez. » À ces motsd’un roi couvert de gloire, 6+6 a
Sur un champ de bataille,au sein de la victoire, 6+6 a
On voit en un momentces captifs éperdus, 6+6 b
460 Contents de leur défaite,heureux d’être vaincus : 6+6 b
Leurs yeux sont éclairés,leurs cœurs n’ont plus de haine ; 6+6 a
Sa valeur les vainquit,sa vertu les enchne ; 6+6 a
Et, s’honorant déjàdu nom de ses soldats, 6+6 b
Pour expier leur crime,ils marchent sur ses pas. 6+6 b
465 Le généreux vainqueura cessé le carnage ; 6+6 a
Mtre de ses guerriers,il fléchit leur courage. 6+6 a
Ce n’est plus ce lionqui, tout couvert de sang, 6+6 b
Portait avec l’effroila mort de rang en rang ; 6+6 b
C’est un dieu bienfaisantqui, laissant son tonnerre, 6+6 a
470 Enchne la tempête,et console la terre. 6+6 a
Sur ce front menaçant,terrible, ensanglanté, 6+6 b
La paix a mis les traitsde la sérénité. 6+6 b
Ceux à qui la lumièreétait presque ravie, 6+6 a
Par ses ordres humainssont rendus à la vie ; 6+6 a
475 Et sur tous leurs dangers,et sur tous leurs besoins, 6+6 b
Tel qu’un père attentifil étendait ses soins. 6+6 b
Du vrai comme du fauxla prompte messagère, 6+6 a
Qui s’accrt dans sa course,et d’une aile légère, 6+6 a
Plus prompte que le temps,vole au delà des mers, 6+6 b
480 Passe d’un pôle à l’autre,et remplit l’univers ; 6+6 b
Ce monstre composéd’yeux, de bouches, d’oreilles, 6+6 a
Qui célèbre des roisla honte ou les merveilles, 6+6 a
Qui rassemble sous luila Curiosité, 6+6 b
L’Espoir, l’Effroi, le Doute,et la Crédulité, 6+6 b
485 De sa brillante voix,trompette de la gloire, 6+6 a
Du héros de la Franceannonçait la victoire. 6+6 a
Du Tage à l’Éridanle bruit en fut porté, 6+6 b
Le Vatican superbeen fut épouvanté. 6+6 b
Le Nord à cette voixtressaillit d’allégresse ; 6+6 a
490 Madrid frémit d’effroi,de honte, et de tristesse. 6+6 a
Ô malheureux Paris !infidèles ligueurs ! 6+6 b
Ô citoyens trompés !et vous, prêtres trompeurs ! 6+6 b
De quels cris douloureuxvos temples retentirent ! 6+6 a
De cendre en ce momentvos têtes se couvrirent. 6+6 a
495 Hélas ! Mayenne encorvient flatter vos esprits, 6+6 b
Vaincu, mais plein d’espoir,et mtre de Paris, 6+6 b
Sa politique habile,au fond de sa retraite, 6+6 a
Aux ligueurs incertainsdéguisait sa défaite. 6+6 a
Contre un coup si funesteil veut les rassurer ; 6+6 b
500 En cachant sa disgrâce,il croit la réparer. 6+6 b
Par cent bruits mensongersil ranimait leur zèle : 6+6 a
Mais, malgré tant de soins,la vérité cruelle, 6+6 a
Démentant à ses yeuxses discours imposteurs, 6+6 b
Volait de bouche en bouche,et glaçait tous les cœurs. 6+6 b
505 La Discorde en frémit,et redoublant sa rage : 6+6 a
« Non, je ne verrai pointdétruire mon ouvrage, 6+6 a
Dit-elle, et n’aurai point,dans ces murs malheureux, 6+6 b
Versé tant de poisons,allumé tant de feux, 6+6 b
De tant de flots de sangcimenté ma puissance, 6+6 a
510 Pour laisser à Bourbonl’empire de la France. 6+6 a
Tout terrible qu’il est,j’ai l’art de l’affaiblir ; 6+6 b
Si je n’ai pu le vaincre,on le peut amollir. 6+6 b
N’opposons plus d’effortsà sa valeur suprême : 6+6 a
Henri n’aura jamaisde vainqueur que lui-même. 6+6 a
515 C’est son cœur qu’il doit craindre,et je veux aujourd’hui 6+6 b
L’attaquer, le combattre,et le vaincre par lui. » 6+6 b
Elle dit ; et soudain,des rives de la Seine, 6+6 a
Sur un char teint de sang,attelé par la Haine, 6+6 a
Dans un nuage épaisqui fait pâlir le jour, 6+6 b
520 Elle part, elle vole,et va trouver l’Amour. 6+6 b
FIN DU CHANT HUITIÈME
mètre profil métrique : 6+6
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