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12 longueur métrique
6-6 mètre
VOL_3/VOL46
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LA HENRIADE
POËME EN DIX CHANTS
1723
CHANT QUATRIÈME
ARGUMENT
D’Aumale était près de se rendre maître du camp de Henri III lorsque le héros, revenant d’Angleterre, combat les ligueurs, et fait changer la fortune. La Discorde console Mayenne et vole à Rome pour y chercher du secours. Description de Rome, où régnait alors Sixte-Quint. La Discorde y trouve la Politique ; elle revient avec elle à Paris, soulève la Sorbonne, anime les Seize contre le Parlement, et arme les moines. On livre à la main du bourreau des magistrats qui tenaient pour le parti des rois. Troubles et confusion horrible dans Paris.
Tandis que, poursuivantleurs entretiens secrets, 6+6 a
Et pesant à loisirde si grands intérêts, 6+6 a
Ils épuisaient tous deuxla science profonde 6+6 b
De combattre, de vaincre,et de régir le monde, 6+6 b
5 La Seine, avec effroi,voit sur ses bords sanglants 6+6 a
Les drapeaux de la Ligueabandonnés aux vents. 6+6 a
Valois, loin de Henri,rempli d’inquiétude, 6+6 b
Du destin des combatscraignait l’incertitude. 6+6 b
À ses desseins flottantsil fallait un appui ; 6+6 a
10 Il attendait Bourbon,sûr de vaincre avec lui. 6+6 a
Par ces retardementsles ligueurs s’enhardirent ; 6+6 b
Des portes de Parisleurs légions sortirent : 6+6 b
Le superbe d’Aumale,et Nemours, et Brissac, 6+6 a
Le farouche Saint-Paul,La Châtre, Canillac, 6+6 a
15 D’un coupable partidéfenseurs intrépides, 6+6 b
Épouvantaient Valoisde leurs succès rapides ; 6+6 b
Et ce roi, trop souventsujet au repentir, 6+6 a
Regrettait le hérosqu’il avait fait partir. 6+6 a
Parmi ces combattants,ennemis de leur mtre, 6+6 b
20 Un frère de Joyeuseosa longtemps partre. 6+6 b
Ce fut lui que Parisvit passer tour à tour 6+6 a
Du siècle au fond d’un cltre,et du cltre à la cour : 6+6 a
Vicieux, pénitent,courtisan, solitaire, 6+6 b
Il prit, quitta, repritla cuirasse et la haire. 6+6 b
25 Du pied des saints autelsarrosés de ses pleurs, 6+6 a
Il courut de la Ligueanimer les fureurs, 6+6 a
Et plongea dans le sangde la France éplorée 6+6 b
La main qu’à l’Éternelil avait consacrée. 6+6 b
Mais de tant de guerriers,celui dont la valeur 6+6 a
30 Inspira plus d’effroi,répandit plus d’horreur, 6+6 a
Dont le cœur fut plus fieret la main plus fatale, 6+6 b
Ce fut vous, jeune prince,impétueux d’Aumale, 6+6 b
Vous, né du sang lorrain,si fécond en héros, 6+6 a
Vous, ennemi des rois,des lois, et du repos. 6+6 a
35 La fleur de la jeunesseen tout temps l’accompagne : 6+6 b
Avec eux sans relâcheil fond dans la campagne ; 6+6 b
Tantôt dans le silence,et tantôt à grand bruit, 6+6 a
À la clarté des cieux,dans l’ombre de la nuit, 6+6 a
Chez l’ennemi surprisportant partout la guerre, 6+6 b
40 Du sang des assiégeantsson bras couvrait la terre. 6+6 b
Tels du front du Caucase,ou du sommet d’Athos, 6+6 a
D’ l’œil découvre au loinl’air, la terre, et les flots, 6+6 a
Les aigles, les vautours,aux ailes étendues, 6+6 b
D’un vol précipitéfendant les vastes nues, 6+6 b
45 Vont dans les champs de l’airenlever les oiseaux, 6+6 a
Dans les bois, sur les près,déchirent les troupeaux, 6+6 a
Et dans les flancs affreuxde leurs roches sanglantes 6+6 b
Remportent à grands crisces dépouilles vivantes. 6+6 b
Déjà plein d’espérance,et de gloire enivré, 6+6 a
50 Aux tentes de Valoisil avait pénétré. 6+6 a
La nuit et la surpriseaugmentaient les alarmes : 6+6 b
Tout pliait, tout tremblait,tout cédait à ses armes. 6+6 b
Cet orageux torrent,prompt à se déborder, 6+6 a
Dans son choc ténébreuxallait tout inonder. 6+6 a
55 L’étoile du matincommençait à partre : 6+6 b
Mornay, qui précédaitle retour de son mtre, 6+6 b
Voyait déjà les toursdu superbe Paris. 6+6 a
D’un bruit mêlé d’horreuril est soudain surpris ; 6+6 a
Il court, il apeoitdans un désordre extrême 6+6 b
60 Les soldats de Valois,et ceux de Bourbon même : 6+6 b
« Juste ciel ! est-ce ainsique vous nous attendiez ? 6+6 a
Henri va vous défendre ;il vient, et vous fuyez ! 6+6 a
Vous fuyez, compagnons !» Au son de sa parole, 6+6 b
Comme on vit autrefoisau pied du Capitole 6+6 b
65 Le fondateur de Rome,opprimé des Sabins, 6+6 a
Au nom de Jupiterarrêter ses Romains, 6+6 a
Au seul nom de Henriles Français se rallient ; 6+6 b
La honte les enflamme,ils marchent, ils s’écrient : 6+6 b
« Qu’il vienne, ce héros,nous vaincrons sous ses yeux. » 6+6 a
70 Henri dans le momentpart au milieu d’eux, 6+6 a
Brillant comme l’éclairau fort de la tempête : 6+6 b
Il vole aux premiers rangs,il s’avance à leur tête ; 6+6 b
Il combat, on le suitil change les destins : 6+6 a
La foudre est dans ses yeux,la mort est dans ses mains. 6+6 a
75 Tous les chefs ranimésautour de lui s’empressent ; 6+6 b
La victoire revient,les ligueurs disparaissent, 6+6 b
Comme aux rayons du jourqui s’avance et qui luit, 6+6 a
S’est dissipé l’éclatdes astres de la nuit. 6+6 a
C’est en vain que d’Aumalearrête sur ces rives 6+6 b
80 Des siens épouvantésles troupes fugitives ; 6+6 b
Sa voix pour un momentles rappelle aux combats : 6+6 a
La voix du grand Henriprécipite leurs pas ; 6+6 a
De son front menaçantla terreur les renverse ; 6+6 b
Leur chef les réunit,la crainte les disperse. 6+6 b
85 D’Aumale est avec euxdans leur fuite entrné ; 6+6 a
Tel que du haut d’un montde frimas couronné, 6+6 a
Au milieu des glaçonset des neiges fondues, 6+6 b
Tombe et roule un rocherqui menaçait les nues. 6+6 b
Mais que dis-je ! Il s’arrête,il montre aux assiégeants, 6+6 a
90 Il montre encor ce frontredouté si longtemps. 6+6 a
Des siens qui l’entrnaient,fougueux, il se dégage : 6+6 b
Honteux de vivre encore,il revole au carnage, 6+6 b
Il arrête un momentson vainqueur étonné ; 6+6 a
Mais d’ennemis bientôtil est environné. 6+6 a
95 La mort allait punirson audace fatale. 6+6 b
La Discorde le vit,et trembla pour d’Aumale. 6+6 b
La barbare qu’elle esta besoin de ses jours : 6+6 a
Elle s’élève en l’air,et vole à son secours. 6+6 a
Elle approche ; elle opposeau nombre qui l’accable 6+6 b
100 Son bouclier de fer,immense, impénétrable, 6+6 b
Qui commande au trépas,qu’accompagne l’horreur, 6+6 a
Et dont la vite inspireou la rage ou la peur. 6+6 a
Ô fille de l’enfer !Discorde inexorable, 6+6 b
Pour la première foistu parus secourable ! 6+6 b
105 Tu sauvas un héros,tu prolongeas son sort, 6+6 a
De cette même main,ministre de la mort, 6+6 a
De cette main barbare,accoutumée aux crimes, 6+6 b
Qui jamais jusque-làn’épargna ses victimes. 6+6 b
Elle entrne d’Aumaleaux portes de Paris, 6+6 a
110 Sanglant, couvert de coupsqu’il n’avait point sentis. 6+6 a
Elle applique à ses mauxune main salutaire ; 6+6 b
Elle étanche ce sangrépandu pour lui plaire : 6+6 b
Mais tandis qu’à son corpselle rend la vigueur, 6+6 a
De ses mortels poisonselle infecte son cœur. 6+6 a
115 Tel souvent un tyran,dans sa pitié cruelle, 6+6 b
Suspend d’un malheureuxla sentence cruelle ; 6+6 b
À ses crimes secretsil fait servir son bras, 6+6 a
Et, quand ils sont commis,il le rend au trépas. 6+6 a
Henri sait profiterde ce grand avantage, 6+6 b
120 Dont le sort des combatshonora son courage. 6+6 b
Des moments dans la guerreil connt tout le prix : 6+6 a
Il presse au même instantses ennemis surpris ; 6+6 a
Il veut que les assautssuccèdent aux batailles ; 6+6 b
Il fait tracer leur perteautour de leurs murailles. 6+6 b
125 Valois, plein d’espérance,et fort d’un tel appui, 6+6 a
Donne aux soldats l’exemple,et le reçoit de lui ; 6+6 a
Il soutient les travaux,il brave les alarmes. 6+6 b
La peine a ses plaisirs,le péril a ses charmes. 6+6 b
Tous les chefs sont unis,tout succède à leurs vœux ; 6+6 a
130 Et bientôt la Terreur,qui marche devant eux, 6+6 a
Des assiégés tremblantsdissipant les cohortes, 6+6 b
À leurs yeux éperdusallait briser leurs portes. 6+6 b
Que peut faire Mayenneen ce péril pressant ? 6+6 a
Mayenne a pour soldatsun peuple gémissant. 6+6 a
135 Ici, la fille en pleurslui redemande un père ; 6+6 b
Là, le frère effrayépleure au tombeau d’un frère. 6+6 b
Chacun plaint le présent,et craint pour l’avenir ; 6+6 a
Ce grand corps alarméne peut se réunir. 6+6 a
On s’assemble, on consulte,on veut fuir ou se rendre, 6+6 b
140 Tous sont irrésolus,nul ne veut se défendre : 6+6 b
Tant le faible vulgaire,avec légèreté, 6+6 a
Fait succéder la peurà la témérité ! 6+6 a
Mayenne, en frémissant,voit leur troupe éperdue : 6+6 b
Cent desseins partageaientson âme irrésolue, 6+6 b
145 Quand soudain la Discordeaborde ce héros, 6+6 a
Fait siffler ses serpents,et lui parle en ces mots : 6+6 a
« Digne héritier d’un nomredoutable à la France, 6+6 b
Toi qu’unit avec moile soin de ta vengeance, 6+6 b
Toi, nourri sous mes yeuxet formé sous mes lois, 6+6 a
150 Entends ta protectrice,et reconnais ma voix. 6+6 a
Ne crains rien de ce peupleimbécile et volage, 6+6 b
Dont un faible malheura glacé le courage ; 6+6 b
Leurs esprits sont à moi,leurs cœurs sont dans mes mains. 6+6 a
Tu les verras bientôt,secondant nos desseins, 6+6 a
155 De mon fiel abreuvés,à mes fureurs en proie, 6+6 b
Combattre avec audace,et mourir avec joie. 6+6 b
La Discorde aussitôt,plus prompte qu’un éclair, 6+6 a
Fend d’un vol assuréles campagnes de l’air. 6+6 a
Partout chez les Françaisle trouble et les alarmes 6+6 b
160 Présentent à ses yeuxdes objets pleins de charmes : 6+6 b
Son haleine en cent lieuxrépand l’aridité ; 6+6 a
Le fruit meurt en naissant,dans son germe infecté 6+6 a
Les épis renverséssur la terre languissent ; 6+6 b
Le ciel s’en obscurcit,les astres en pâlissent ; 6+6 b
165 Et la foudre en éclats,qui gronde sous ses pieds, 6+6 a
Semble annoncer la mortaux peuples effrayés. 6+6 a
Un tourbillon la porteà ces rives fécondes 6+6 b
Que l’Éridan rapidearrose de ses ondes. 6+6 b
Rome enfin se découvreà ses regards cruels ; 6+6 a
170 Rome, jadis son temple,et l’effroi des mortels ; 6+6 a
Rome, dont le destindans la paix, dans la guerre, 6+6 b
Est d’être en tous les tempsmtresse de la terre. 6+6 b
Par le sort des combatson la vit autrefois 6+6 a
Sur leurs trônes sanglantsenchner tous les rois ; 6+6 a
175 L’univers fléchissaitsous son aigle terrible. 6+6 b
Elle exerce en nos joursun pouvoir plus paisible : 6+6 b
On la voit sous son jougasservir ses vainqueurs, 6+6 a
Gouverner les esprits,et commander aux cœurs ; 6+6 a
Ses avis font ses lois,ses décrets sont ses armes. 6+6 b
180 Près de ce Capitole régnaient tant d’alarmes, 6+6 b
Sur les pompeux débrisde Bellone et de Mars, 6+6 a
Un pontife est assisau trône des césars ; 6+6 a
Des prêtres fortunésfoulent d’un pied tranquille 6+6 b
Les tombeaux des Catonset la cendre d’Émile. 6+6 b
185 Le trône est sur l’autel,et l’absolu pouvoir 6+6 a
Met dans les mêmes mainsle sceptre et l’encensoir. 6+6 a
Là, Dieu même a fondéson Église naissante, 6+6 b
Tantôt persécutée,et tantôt triomphante : 6+6 b
Là, son premier apôtre,avec la Vérité, 6+6 a
190 Conduisit la Candeuret la Simplicité. 6+6 a
Ses successeurs heureuxquelque temps l’imitèrent, 6+6 b
D’autant plus respectésque plus ils s’abaissèrent. 6+6 b
Leur front d’un vain éclatn’était point revêtu ; 6+6 a
La pauvreté soutintleur austère vertu ; 6+6 a
195 Et, jaloux des seuls biensqu’un vrai chrétien désire, 6+6 b
Du fond de leur chaumièreils volaient au martyre. 6+6 b
Le temps, qui corrompt tout,changea bientôt leurs mœurs ; 6+6 a
Le ciel, pour nous punir,leur donna des grandeurs. 6+6 a
Rome, depuis ce temps,puissante et profanée, 6+6 b
200 Au conseil des méchantsse vit abandonnée : 6+6 b
La trahison, le meurtre,et l’empoisonnement, 6+6 a
De son pouvoir nouveaufut l’affreux fondement. 6+6 a
Les successeurs du Christau fond du sanctuaire 6+6 b
Placèrent sans rougirl’inceste et l’adultère ; 6+6 b
205 Et Rome, qu’opprimaitleur empire odieux, 6+6 a
Sous ces tyrans sacrésregretta ses faux dieux. 6+6 a
On écouta depuisde plus sages maximes ; 6+6 b
On sut ou s’épargnerou mieux voiler les crimes. 6+6 b
De l’Église et du peupleon régla mieux les droits ; 6+6 a
210 Rome devint l’arbitre,et non l’effroi des rois ; 6+6 a
Sous l’orgueil imposantdu triple diadème, 6+6 b
La modeste vertureparut elle-même. 6+6 b
Mais l’art de ménagerle reste des humains 6+6 a
Est, surtout aujourd’hui,la vertu des Romains. 6+6 a
215 Sixte alors était roide l’Église et de Rome. 6+6 b
Si, pour être honorédu titre de grand homme, 6+6 b
Il suffit d’être faux,austère, et redouté, 6+6 a
Au rang des plus grands roisSixte sera compté. 6+6 a
Il devait sa grandeurà quinze ans d’artifices ; 6+6 b
220 Il sut cacher, quinze ans,ses vertus et ses vices : 6+6 b
Il sembla fuir le rangqu’il brûlait d’obtenir, 6+6 a
Et s’en fit croire indigneafin d’y parvenir. 6+6 a
Sous le puissant abride son bras despotique, 6+6 b
Au fond du Vaticanrégnait la Politique, 6+6 b
225 Fille de l’Intérêtet de l’Ambition, 6+6 a
Dont naquirent la Fraudeet la Séduction. 6+6 a
Ce monstre ingénieux,en détours si fertile, 6+6 b
Accablé de soucis,part simple et tranquille ; 6+6 b
Ses yeux creux et peants,ennemis du repos, 6+6 a
230 Jamais du doux sommeiln’ont senti les pavots ; 6+6 a
Par ses déguisements,à toute heure elle abuse 6+6 b
Les regards éblouisde l’Europe confuse : 6+6 b
Le Mensonge subtilqui conduit ses discours, 6+6 a
De la Vérité mêmeempruntant le secours, 6+6 a
235 Du sceau du Dieu vivantempreint ses impostures, 6+6 b
Et fait servir le cielà venger ses injures. 6+6 b
À peine la Discordeavait frappé ses yeux, 6+6 a
Elle court dans ses brasd’un air mystérieux ; 6+6 a
Avec un ris malinla flatte, la caresse ; 6+6 b
240 Puis prenant tout à coupun ton plein de tristesse : 6+6 b
« Je ne suis plus, dit-elle,en ces temps bienheureux 6+6 a
les peuples séduitsme présentaient leurs vœux, 6+6 a
la crédule Europe,à mon pouvoir soumise, 6+6 b
Confondait dans mes loisles lois de son Église. 6+6 b
245 Je parlais ; et soudainles rois humiliés 6+6 a
Du trône, en frémissant,descendaient à mes pieds ; 6+6 a
Sur la terre, à mon gré,ma voix soufflait les guerres ; 6+6 b
Du haut du Vaticanje lançais les tonnerres ; 6+6 b
Je tenais dans mes mainsla vie et le trépas ; 6+6 a
250 Je donnais, j’enlevais,je rendais les États. 6+6 a
Cet heureux temps n’est plus.Le sénat de la France 6+6 b
Éteint presque en mes mainsles foudres que je lance ; 6+6 b
Plein d’amour pour l’Église,et pour moi plein d’horreur, 6+6 a
Il ôte aux nationsle bandeau de l’erreur. 6+6 a
255 C’est lui qui, le premier,démasquant mon visage, 6+6 b
Vengea la vérité,dont j’empruntais l’image. 6+6 b
Que ne puis-je, ô Discorde !ardente à te servir, 6+6 a
Le séduire lui-même,ou du moins le punir ! 6+6 a
Allons, que tes flambeauxrallument mon tonnerre : 6+6 b
260 Commençons par la Franceà ravager la terre ; 6+6 b
Que le prince et l’Étatretombent dans nos fers. » 6+6 a
Elle dit, et soudains’élance dans les airs. 6+6 a
Loin du faste de Rome,et des pompes mondaines, 6+6 b
Des temples consacrésaux vanités humaines, 6+6 b
265 Dont l’appareil superbeimpose à l’univers, 6+6 a
L’humble Religionse cache en des déserts : 6+6 a
Elle y vit avec Dieudans une paix profonde ; 6+6 b
Cependant que son nom,profané dans le monde, 6+6 b
Est le prétexte saintdes fureurs des tyrans, 6+6 a
270 Le bandeau du vulgaire,et le mépris des grands. 6+6 a
Souffrir est son destin,bénir est son partage : 6+6 b
Elle prie en secretpour l’ingrat qui l’outrage ; 6+6 b
Sans ornement, sans art,belle de ses attraits, 6+6 a
Sa modeste beautése dérobe à jamais 6+6 a
275 Aux hypocrites yeuxde la foule importune 6+6 b
Qui court à ses autelsadorer la Fortune. 6+6 b
Son âme pour Henribrillait d’un saint amour ; 6+6 a
Cette fille des cieuxsait qu’elle doit un jour, 6+6 a
Vengeant de ses autelsle culte légitime, 6+6 b
280 Adopter pour son filsce héros magnanime : 6+6 b
Elle l’en croyait digne,et ses ardents soupirs 6+6 a
Hâtaient cet heureux temps,trop lent pour ses désirs. 6+6 a
Soudain la Politiqueet la Discorde impie 6+6 b
Surprennent en secretleur auguste ennemie. 6+6 b
285 Elle lève à son Dieuses yeux mouillés de pleurs : 6+6 a
Son Dieu, pour l’éprouver,la livre à leurs fureurs. 6+6 a
Ces monstres, dont toujourselle a souffert l’injure, 6+6 b
De ses voiles sacréscouvrent leur tête impure, 6+6 b
Prennent ses vêtementsrespectés des humains, 6+6 a
290 Et courent dans Parisaccomplir leurs desseins. 6+6 a
D’un air insinuant,l’adroite Politique 6+6 b
Se glisse au vaste seinde la Sorbonne antique ; 6+6 b
C’est là que s’assemblaientces sages révérés, 6+6 a
Des vérités du cielinterprètes sacrés, 6+6 a
295 Qui, des peuples chrétiensarbitres et modèles, 6+6 b
À leur culte attachés,à leur prince fidèles, 6+6 b
Conservaient jusqu’alorsune mâle vigueur, 6+6 a
Toujours impénétrableaux flèches de l’erreur. 6+6 a
Qu’il est peu de vertusqui résistent sans cesse ! 6+6 b
300 Du monstre déguiséla voix enchanteresse 6+6 b
Ébranle leurs espritspar ses discours flatteurs. 6+6 a
Aux plus ambitieuxelle offre des grandeurs ; 6+6 a
Par l’éclat d’une mitreelle éblouit leur vue : 6+6 b
De l’avare en secretla voix lui fut vendue ; 6+6 b
305 Par un éloge adroitle savant enchanté, 6+6 a
Pour prix d’un vain encenstrahit la vérité ; 6+6 a
Menacé par sa voix,le faible s’intimide. 6+6 b
On s’assemble en tumulte,en tumulte on décide. 6+6 b
Parmi les cris confus,la dispute, et le bruit, 6+6 a
310 De ces lieux, en pleurant,la Vérité s’enfuit. 6+6 a
Alors au nom de tousun des vieillards s’écrie : 6+6 b
« L’Église fait les rois,les absout, les châtie ; 6+6 b
En nous est cette Église,en nous seuls est sa loi : 6+6 a
Nous réprouvons Valois,il n’est plus notre roi. 6+6 a
315 Serments jadis sacrés,nous brisons votre chne ! » 6+6 b
À peine a-t-il parlé,la Discorde inhumaine 6+6 b
Trace en lettres de sangce décret odieux. 6+6 a
Chacun jure par elle,et signe sous ses yeux. 6+6 a
Soudain elle s’envole,et d’église en église 6+6 b
320 Annonce aux factieuxcette grande entreprise ; 6+6 b
Sous l’habit d’Augustin,sous le froc de François, 6+6 a
Dans les cltres sacrésfait entendre sa voix ; 6+6 a
Elle appelle à grands cristous ces spectres austères, 6+6 b
De leur joug rigoureuxesclaves volontaires. 6+6 b
325 « De la Religionreconnaissez les traits, 6+6 a
Dit-elle, et du Très Hautvengez les intérêts. 6+6 a
C’est moi qui viens à vous,c’est moi qui vous appelle. 6+6 b
Ce fer, qui dans mes mainsà vos yeux étincelle, 6+6 b
Ce glaive redoutableà nos fiers ennemis, 6+6 a
330 Par la main de Dieu mêmeen la mienne est remis. 6+6 a
Il est temps de sortirde l’ombre de vos temples : 6+6 b
Allez d’un zèle saintrépandre les exemples ; 6+6 b
Apprenez aux Français,incertains de leur foi, 6+6 a
Que c’est servir leur Dieuque d’immoler leur roi. 6+6 a
335 Songez que de Lévila famille sacrée, 6+6 b
Du ministère saintpar Dieu même honorée, 6+6 b
Mérita cet honneuren portant à l’autel 6+6 a
Des mains teintes du sangdes enfants d’Israël. 6+6 a
Que dis-je ? sont ces temps, sont ces jours prospères, 6+6 b
340 j’ai vu les Françaismassacrés par leurs frères ? 6+6 b
C’était vous, prêtres saints,qui conduisiez leurs bras ; 6+6 a
Coligny par vous seula reçu le trépas. 6+6 a
J’ai nagé dans le sang ;que le sang coule encore 6+6 b
Montrez-vous, inspirezce peuple qui m’adore ! 6+6 b
345 Le monstre au même instantdonne à tous le signal ; 6+6 a
Tous sont empoisonnésde son venin fatal ; 6+6 a
Il conduit dans Parisleur marche solennelle ; 6+6 b
L’étendard de la croixflottait au milieu d’elle. 6+6 b
Ils chantent ; et leurs cris,dévots et furieux, 6+6 a
350 Semblent à leur révolteassocier les cieux. 6+6 a
On les entend mêler,dans leurs vœux fanatiques, 6+6 b
Les imprécationsaux prières publiques. 6+6 b
Prêtres audacieux,imbéciles soldats, 6+6 a
Du sabre et de l’épéeils ont chargé leurs bras ; 6+6 a
355 Une lourde cuirassea couvert leur cilice. 6+6 b
Dans les murs de Pariscette infâme milice 6+6 b
Suit, au milieu des flotsd’un peuple impétueux, 6+6 a
Le Dieu, ce Dieu de paix,qu’on porte devant eux. 6+6 a
Mayenne, qui de loinvoit leur folle entreprise, 6+6 b
360 La méprise en secret,et tout haut l’autorise ; 6+6 b
Il sait combien le peuple,avec soumission, 6+6 a
Confond le fanatismeet la religion ; 6+6 a
Il connt ce grand art,aux princes nécessaire, 6+6 b
De nourrir la faiblesseet l’erreur du vulgaire. 6+6 b
365 À ce pieux scandaleenfin il applaudit ; 6+6 a
Le sage s’en indigne,et le soldat en rit. 6+6 a
Mais le peuple excitéjusques aux cieux envoie 6+6 b
Des cris d’emportement,d’espérance, et de joie ; 6+6 b
Et comme à son audacea succédé la peur, 6+6 a
370 La crainte en un momentfait place à la fureur. 6+6 a
Ainsi l’ange des mers,sur le sein d’Amphitrite, 6+6 b
Calme à son gré les flots,à son gré les irrite. 6+6 b
La Discorde a choisiseize séditieux, 6+6 a
Signalés par le crimeentre les factieux. 6+6 a
375 Ministres insolentsde leur reine nouvelle, 6+6 b
Sur son char tout sanglantils montent avec elle ; 6+6 b
L’Orgueil, la Trahison,la Fureur, le Trépas, 6+6 a
Dans des ruisseaux de sangmarchent devant leurs pas. 6+6 a
Nés dans l’obscurité,nourris dans la bassesse, 6+6 b
380 Leur haine pour les roisleur tient lieu de noblesse ; 6+6 b
Et jusque sous le daispar le peuple portés, 6+6 a
Mayenne, en frémissant,les voit à ses côtés : 6+6 a
Des jeux de la Discordeordinaires caprices, 6+6 b
Qui souvent rend égauxceux qu’elle rend complices. 6+6 b
385 Ainsi, lorsque les vents,fougueux tyrans des eaux, 6+6 a
De la Seine ou du Rhôneont soulevé les flots, 6+6 a
Le limon croupissantdans leurs grottes profondes 6+6 b
S’élève, en bouillonnant,sur la face des ondes ; 6+6 b
Ainsi, dans les fureursde ces embrasements 6+6 a
390 Qui changent les citésen de funestes champs, 6+6 a
Le fer, l’airain, le plomb,que les feux amollissent, 6+6 b
Se mêlent dans la flammeà l’or qu’ils obscurcissent. 6+6 b
Dans ces jours de tumulteet de sédition, 6+6 a
Thémis résistait seuleà la contagion ; 6+6 a
395 La soif de s’agrandir,la crainte, l’espérance, 6+6 b
Rien n’avait dans ses mainsfait pencher sa balance ; 6+6 b
Son temple était sans tache,et la simple Équité 6+6 a
Auprès d’elle, en fuyant,cherchait sa sûreté. 6+6 a
Il était dans ce templeun sénat vénérable, 6+6 b
400 Propice à l’innocence,au crime redoutable, 6+6 b
Qui, des lois de son princeet l’organe et l’appui, 6+6 a
Marchait d’un pas égalentre son peuple et lui. 6+6 a
Dans l’équité des roissa juste confiance 6+6 b
Souvent porte à leurs piedsles plaintes de la France : 6+6 b
405 Le seul bien de l’Étatfait son ambition ; 6+6 a
Il hait la tyrannieet la rébellion ; 6+6 a
Toujours plein de respect,toujours plein de courage, 6+6 b
De la soumissiondistingue l’esclavage ; 6+6 b
Et, pour nos libertéstoujours prompt à s’armer, 6+6 a
410 Connt Rome, l’honore,et la sait réprimer. 6+6 a
Des tyrans de la Ligueune affreuse cohorte 6+6 b
Du temple de Thémisenvironne la porte : 6+6 b
Bussi les conduisait ;ce vil gladiateur, 6+6 a
Monté par son audaceà ce coupable honneur, 6+6 a
415 Entre, et parle en ces motsà l’auguste assemblée 6+6 b
Par qui des citoyensla fortune est réglée : 6+6 b
« Mercenaires appuisd’un dédale de lois, 6+6 a
Plébéiens, qui pensezêtre tuteurs des rois, 6+6 a
Lâches, qui dans le troubleet parmi les cabales 6+6 b
420 Mettez l’honneur honteuxde vos grandeurs vénales ; 6+6 b
Timides dans la guerre,et tyrans dans la paix, 6+6 a
Obéissez au peuple,écoutez ses décrets. 6+6 a
Il fut des citoyensavant qu’il fût des mtres. 6+6 b
Nous rentrons dans les droitsqu’ont perdus nos ancêtres. 6+6 b
425 Ce peuple fut longtempspar vous-même abusé ; 6+6 a
Il s’est lassé du sceptre,et le sceptre est brisé. 6+6 a
Effacez ces grands nomsqui vous gênaient sans doute, 6+6 b
Ces mots de plein pouvoir,qu’on hait et qu’on redoute : 6+6 b
Jugez au nom du peuple ;et tenez au sénat, 6+6 a
430 Non la place du roi,mais celle de l’État : 6+6 a
Imitez la Sorbonne,ou craignez ma vengeance. 6+6 b
Le sénat réponditpar un noble silence. 6+6 b
Tels, dans les murs de Romeabattus et brûlants, 6+6 a
Ces sénateurs courbéssous le fardeau des ans 6+6 a
435 Attendaient fièrement,sur leur siège immobiles, 6+6 b
Les Gaulois et la mortavec des yeux tranquilles. 6+6 b
Bussi, plein de fureur,et non pas sans effroi : 6+6 a
Obéissez, dit-il,tyrans, ou suivez-moi… » 6+6 a
Alors Harlay se lève,Harlay, ce noble guide, 6+6 b
440 Ce chef d’un parlementjuste autant qu’intrépide ; 6+6 b
Il se présente aux Seize,il demande des fers, 6+6 a
Du front dont il auraitcondamné ces pervers. 6+6 a
On voit auprès de luiles chefs de la justice, 6+6 b
Brûlant de partagerl’honneur de son supplice, 6+6 b
445 Victimes de la foiqu’on doit aux souverains, 6+6 a
Tendre aux fers des tyransleurs généreuses mains. 6+6 a
Muse, redites-moices noms chers à la France ; 6+6 b
Consacrez ces hérosqu’opprima la licence, 6+6 b
Le vertueux de Thou,Molé, Scarron, Bayeul, 6+6 a
450 Potier, cet homme juste,et vous, jeune Longueil, 6+6 a
Vous en qui, pour hâtervos belles destinées, 6+6 b
L’esprit et la vertudevançaient les années. 6+6 b
Tout le sénat enfin,par les Seize enchné, 6+6 a
À travers un vil peupleen triomphe est mené 6+6 a
455 Dans cet affreux château,palais de la vengeance, 6+6 b
Qui renferme souventle crime et l’innocence. 6+6 b
Ainsi ces factieuxont changé tout l’État ; 6+6 a
La Sorbonne est tombée,il n’est plus de sénat… 6+6 a
Mais pourquoi ce concourset ces cris lamentables ? 6+6 b
460 Pourquoi ces instrumentsde la mort des coupables ? 6+6 b
Qui sont ces magistratsque la main d’un bourreau, 6+6 a
Par l’ordre des tyrans,précipite au tombeau ? 6+6 a
Les vertus dans Parisont le destin des crimes. 6+6 b
Brisson, Larcher, Tardif,honorables victimes, 6+6 b
465 Vous n’êtes point flétrispar ce honteux trépas : 6+6 a
Mânes trop généreux,vous n’en rougissez pas ; 6+6 a
Vos noms toujours fameuxvivront dans la mémoire ; 6+6 b
Et qui meurt pour son roimeurt toujours avec gloire. 6+6 b
Cependant la Discorde,au milieu des mutins, 6+6 a
470 S’applaudit du succèsde ses affreux desseins : 6+6 a
D’un air fier et content,sa cruauté tranquille 6+6 b
Contemple les effetsde la guerre civile ; 6+6 b
Dans ces murs tout sanglants,des peuples malheureux 6+6 a
Unis contre leur prince,et divisés entre eux, 6+6 a
475 Jouets infortunésdes fureurs intestines, 6+6 b
De leur triste patrieavançant les ruines ; 6+6 b
Le tumulte au dedans,le péril au dehors, 6+6 a
Et partout le débris,le carnage, et les morts. 6+6 a
FIN DU CHANT QUATRIÈME
mètre profil métrique : 6+6
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