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C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
VOL_3/VOL44
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LA HENRIADE
POËME EN DIX CHANTS
1723
CHANT DEUXIÈME
ARGUMENT
Henri le Grand raconte à la reine Élisabeth l’histoire des malheurs de la France : il remonte à leur origine, et entre dans le détail des massacres de la Saint-Barthélemy.
« Reine, l’excès des maux où la France est livrée 6+6 a
Est d’autant plus affreux que leur source est sacrée 6+6 a
C’est la religion dont le zèle inhumain 6+6 b
Met à tous les Français les armes à la main. 6+6 b
5 Je ne décide point entre Genève et Rome. 6+6 a
De quelque nom divin que leur parti les nomme, 6+6 a
J’ai vu des deux côtés la fourbe et la fureur ; 6+6 b
Et si la perfidie est fille de l’erreur, 6+6 b
Si, dans les différends où l’Europe se plonge, 6+6 a
10 La trahison, le meurtre est le sceau du mensonge, 6+6 a
L’un et l’autre parti, cruel également, 6+6 b
Ainsi que dans le crime est dans l’aveuglement. 6+6 b
Pour moi, qui, de l’État embrassant la défense, 6+6 a
Laissai toujours aux cieux le soin de leur vengeance, 6+6 a
15 On ne m’a jamais vu, surpassant mon pouvoir, 6+6 b
D’une indiscrète main profaner l’encensoir : 6+6 b
Et périsse à jamais l’affreuse politique 6+6 a
Qui prétend sur les cœurs un pouvoir despotique, 6+6 a
Qui veut, le fer en main, convertir les mortels, 6+6 b
20 Qui du sang hérétique arrose les autels, 6+6 b
Et, suivant un faux zèle, ou l’intérêt, pour guides, 6+6 a
Ne sert un Dieu de paix que par des homicides ! 6+6 a
« Plût à ce Dieu puissant, dont je cherche la loi, 6+6 b
Que la cour des Valois eût pensé comme moi ! 6+6 b
25 Mais l’un et l’autre Guise ont eu moins de scrupule. 6+6 a
Ces chefs ambitieux d’un peuple trop crédule, 6+6 a
Couvrant leurs intérêts de l’intérêt des cieux, 6+6 b
Ont conduit dans le piège un peuple furieux, 6+6 b
Ont armé contre moi sa piété cruelle. 6+6 a
30 J’ai vu nos citoyens s’égorger avec zèle, 6+6 a
Et, la flamme à la main, courir dans les combats 6+6 b
Pour de vains arguments qu’ils ne comprenaient pas. 6+6 b
Vous connaissez le peuple, et savez ce qu’il ose 6+6 a
Quand, du ciel outragé pensant venger la cause, 6+6 a
35 Les yeux ceints du bandeau de la religion, 6+6 b
Il a rompu le frein de la soumission. 6+6 b
Vous le savez, madame, et votre prévoyance 6+6 a
Étouffa dès longtemps ce mal en sa naissance. 6+6 a
L’orage en vos États à peine était formé ; 6+6 b
40 Vos soins l’avaient prévu, vos vertus l’ont calmé : 6+6 b
Vous régnez ; Londre est libre, et vos lois florissantes. 6+6 a
Médicis a suivi des routes différentes. 6+6 a
Peut-être que, sensible à ces tristes récits, 6+6 b
Vous me demanderez quelle était Médicis ; 6+6 b
45 Vous l’apprendrez du moins d’une bouche ingénue. 6+6 a
Beaucoup en ont parlé ; mais peu l’ont bien connue, 6+6 a
Peu de son cœur profond ont sondé les replis. 6+6 b
Pour moi, nourri vingt ans à la cour de ses fils, 6+6 b
Qui vingt ans sous ses pas vis les orages naître, 6+6 a
50 J’ai trop à mes périls appris à la connaître. 6+6 a
« Son époux, expirant dans la fleur de ses jours, 6+6 b
À son ambition laissait un libre cours. 6+6 b
Chacun de ses enfants, nourri sous sa tutelle, 6+6 a
Devint son ennemi dès qu’il régna sans elle. 6+6 a
55 Ses mains autour du trône, avec confusion, 6+6 b
Semaient la jalousie et la division, 6+6 b
Opposant sans relâche avec trop de prudence 6+6 a
Les Guises aux Condés, et la France à la France ; 6+6 a
Toujours prête à s’unir avec ses ennemis, 6+6 b
60 Et changeant d’intérêt, de rivaux, et d’amis ; 6+6 b
Esclave des plaisirs, mais moins qu’ambitieuse ; 6+6 a
Infidèle à sa secte, et superstitieuse ; 6+6 a
Possédant, en un mot, pour n’en pas dire plus, 6+6 b
Les défauts de son sexe, et peu de ses vertus. 6+6 b
65 Ce mot m’est échappé, pardonnez ma franchise : 6+6 a
Dans ce sexe, après tout, vous n’êtes point comprise ; 6+6 a
L’auguste Élisabeth n’en a que les appas ; 6+6 b
Le ciel, qui vous forma pour régir des États, 6+6 b
Vous fait servir d’exemple à tous tant que nous sommes ; 6+6 a
70 Et l’Europe vous compte au rang des plus grands hommes. 6+6 a
« Déjà François Second, par un sort imprévu, 6+6 b
Avait rejoint son père au tombeau descendu ; 6+6 b
Faible enfant, qui de Guise adorait les caprices, 6+6 a
Et dont on ignorait les vertus et les vices. 6+6 a
75 Charles, plus jeune encore, avait le nom de roi : 6+6 b
Médicis régnait seule ; on tremblait sous sa loi. 6+6 b
D’abord sa politique, assurant sa puissance, 6+6 a
Semblait d’un fils docile éterniser l’enfance ; 6+6 a
Sa main, de la discorde allumant le flambeau, 6+6 b
80 Signala par le sang son empire nouveau ; 6+6 b
Elle arma le courroux de deux sectes rivales. 6+6 a
Dreux, qui vit déployer leurs enseignes fatales, 6+6 a
Fut le théâtre affreux de leurs premiers exploits. 6+6 b
Le vieux Montmorency, près du tombeau des rois, 6+6 b
85 D’un plomb mortel atteint par une main guerrière, 6+6 a
De cent ans de travaux termina la carrière. 6+6 a
Guise auprès d’Orléans mourut assassiné. 6+6 b
Mon père malheureux, à la cour enchaîné, 6+6 b
Trop faible, et malgré lui servant toujours la reine, 6+6 a
90 Traîna dans les affronts sa fortune incertaine ; 6+6 a
Et, toujours de sa main préparant ses malheurs, 6+6 b
Combattit et mourut pour ses persécuteurs. 6+6 b
Condé, qui vit en moi le seul fils de son frère, 6+6 a
M’adopta, me servit et de maître et de père ; 6+6 a
95 Son camp fut mon berceau ; là, parmi les guerriers, 6+6 b
Nourri dans la fatigue à l’ombre des lauriers, 6+6 b
De la cour avec lui dédaignant l’indolence, 6+6 a
Ses combats ont été les jeux de mon enfance. 6+6 a
« Ô plaines de Jarnac ! ô coup trop inhumain ! 6+6 b
100 Barbare Montesquiou, moins guerrier qu’assassin, 6+6 b
Condé, déjà mourant, tomba sous ta furie ! 6+6 a
J’ai vu porter le coup ; j’ai vu trancher sa vie : 6+6 a
Hélas ! trop jeune encor, mon bras, mon faible bras 6+6 b
Ne put ni prévenir ni venger son trépas. 6+6 b
105 Le ciel, qui de mes ans protégeait la faiblesse, 6+6 a
Toujours à des héros confia ma jeunesse. 6+6 a
Coligny, de Condé le digne successeur, 6+6 b
De moi, de mon parti devint le défenseur. 6+6 b
Je lui dois tout, madame, il faut que je l’avoue ; 6+6 a
110 Et d’un peu de vertu si l’Europe me loue, 6+6 a
Si Rome a souvent même estimé mes exploits, 6+6 b
C’est à vous, ombre illustre, à vous que je le dois. 6+6 b
Je croissais sous ses yeux, et mon jeune courage 6+6 a
Fit longtemps de la guerre un dur apprentissage. 6+6 a
115 Il m’instruisait d’exemple au grand art des héros : 6+6 b
Je voyais ce guerrier, blanchi dans les travaux, 6+6 b
Soutenant tout le poids de la cause commune 6+6 a
Et contre Médicis et contre la fortune ; 6+6 a
Chéri dans son parti, dans l’autre respecté ; 6+6 b
120 Malheureux quelquefois, mais toujours redouté ; 6+6 b
Savant dans les combats, savant dans les retraites ; 6+6 a
Plus grand, plus glorieux, plus craint dans ses défaites 6+6 a
Que Dunois ni Gaston ne l’ont jamais été 6+6 b
Dans le cours triomphant de leur prospérité. 6+6 b
125 « Après dix ans entiers de succès et de pertes, 6+6 a
Médicis, qui voyait nos campagnes couvertes 6+6 a
D’un parti renaissant qu’elle avait cru détruit, 6+6 b
Lasse enfin de combattre et de vaincre sans fruit, 6+6 b
Voulut, sans plus tenter des efforts inutiles, 6+6 a
130 Terminer d’un seul coup les discordes civiles, 6+6 a
La cour de ses faveurs nous offrit les attraits ; 6+6 b
Et n’ayant pu nous vaincre, on nous donna la paix. 6+6 b
Quelle paix, juste Dieu ! Dieu vengeur que j’atteste, 6+6 a
Que de sang arrosa son olive funeste ! 6+6 a
135 Ciel ! faut-il voir ainsi les maîtres des humains 6+6 b
Du crime à leurs sujets aplanir les chemins ! 6+6 b
« Coligny, dans son cœur à son prince fidèle, 6+6 a
Aimait toujours la France en combattant contre elle : 6+6 a
Il chérit, il prévint l’heureuse occasion 6+6 b
140 Qui semblait de l’État assurer l’union. 6+6 b
Rarement un héros connaît la défiance : 6+6 a
Parmi ses ennemis il vint plein d’assurance ; 6+6 a
Jusqu’au milieu du Louvre il conduisit mes pas. 6+6 b
Médicis en pleurant me reçut dans ses bras, 6+6 b
145 Me prodigua longtemps des tendresses de mère, 6+6 a
Assura Coligny d’une amitié sincère, 6+6 a
Voulait par ses avis se régler désormais, 6+6 b
L’ornait de dignités, le comblait de bienfaits, 6+6 b
Montrait à tous les miens, séduits par l’espérance, 6+6 a
150 Des faveurs de son fils la flatteuse apparence. 6+6 a
Hélas ! nous espérions en jouir plus longtemps. 6+6 b
« Quelques-uns soupçonnaient ces perfides présents, 6+6 b
Les dons d’un ennemi leur semblaient trop à craindre. 6+6 a
Plus ils se défiaient, plus le roi savait feindre : 6+6 a
155 Dans l’ombre du secret, depuis peu Médicis 6+6 b
À la fourbe, au parjure, avait formé son fils, 6+6 b
Façonnait aux forfaits ce cœur jeune et facile ; 6+6 a
Et le malheureux prince, à ses leçons docile, 6+6 a
Par son penchant féroce à les suivre excité, 6+6 b
160 Dans sa coupable école avait trop profité. 6+6 b
« Enfin, pour mieux cacher cet horrible mystère, 6+6 a
Il me donna sa sœur, il m’appela son frère. 6+6 a
Ô nom qui m’as trompé ! vains serments ! nœud fatal ! 6+6 b
Hymen qui de nos maux fus le premier signal ! 6+6 b
165 Tes flambeaux, que du ciel alluma la colère, 6+6 a
Éclairaient à mes yeux le trépas de ma mère. 6+6 a
Je ne suis point injuste, et je ne prétends pas 6+6 b
À Médicis encore imputer son trépas : 6+6 b
J’écarte des soupçons peut-être légitimes, 6+6 a
170 Et je n’ai pas besoin de lui chercher des crimes. 6+6 a
Ma mère enfin mourut. Pardonnez à des pleurs 6+6 b
Qu’un souvenir si tendre arrache à mes douleurs. 6+6 b
Cependant tout s’apprête, et l’heure est arrivée 6+6 a
Qu’au fatal dénoûment la reine a réservée. 6+6 a
175 « Le signal est donné sans tumulte et sans bruit ; 6+6 b
C’était à la faveur des ombres de la nuit. 6+6 b
De ce mois malheureux l’inégale courrière 6+6 a
Semblait cacher d’effroi sa tremblante lumière : 6+6 a
Coligny languissait dans les bras du repos, 6+6 b
180 Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots. 6+6 b
Soudain de mille cris le bruit épouvantable 6+6 a
Vient arracher ses sens à ce calme agréable : 6+6 a
Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés 6+6 b
Courir des assassins à pas précipités ; 6+6 b
185 Il voit briller partout les flambeaux et les armes, 6+6 a
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes, 6+6 a
Ses serviteurs sanglants dans la flamme étouffés, 6+6 b
Les meurtriers en foule au carnage échauffés, 6+6 b
Criant à haute voix : « Qu’on n’épargne personne ; 6+6 a
190 C’est Dieu, c’est Médicis, c’est le roi qui l’ordonne ! » 6+6 a
Il entend retentir le nom de Coligny ; 6+6 b
Il aperçoit de loin le jeune Téligny, 6+6 b
Téligny dont l’amour a mérité sa fille, 6+6 a
L’espoir de son parti, l’honneur de sa famille, 6+6 a
195 Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats, 6+6 b
Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras. 6+6 b
« Le héros malheureux, sans armes, sans défense, 6+6 a
Voyant qu’il faut périr, et périr sans vengeance, 6+6 a
Voulut mourir du moins comme il avait vécu, 6+6 b
200 Avec toute sa gloire et toute sa vertu. 6+6 b
« Déjà des assassins la nombreuse cohorte 6+6 a
Du salon qui l’enferme allait briser la porte ; 6+6 a
Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux 6+6 b
Avec cet œil serein, ce front majestueux, 6+6 b
205 Tel que dans les combats, maître de son courage. 6+6 a
Tranquille il arrêtait ou pressait le carnage. 6+6 a
« À cet air vénérable, à cet auguste aspect, 6+6 b
Les meurtriers surpris sont saisis de respect ; 6+6 b
Une force inconnue a suspendu leur rage. 6+6 a
210 « Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage, 6+6 a
« Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs, 6+6 b
« Que le sort des combats respecta quarante ans ; 6+6 b
« Frappez, ne craignez rien ; Coligny vous pardonne ; 6+6 a
« Ma vie est peu de chose, et je vous l’abandonne 6+6 a
215 « J’eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous… » 6+6 b
Ces tigres à ces mots tombent à ses genoux : 6+6 b
L’un, saisi d’épouvante, abandonne ses armes ; 6+6 a
L’autre embrasse ses pieds, qu’il trempe de ses larmes 6+6 a
Et de ses assassins ce grand homme entouré 6+6 b
220 Semblait un roi puissant par son peuple adoré. 6+6 b
« Besme, qui dans la cour attendait sa victime, 6+6 a
Monte, accourt, indigné qu’on diffère son crime ; 6+6 a
Des assassins trop lents il veut hâter les coups ; 6+6 b
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous. 6+6 b
225 À cet objet touchant lui seul est inflexible ; 6+6 a
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible, 6+6 a
Aurait cru faire un crime et trahir Médicis, 6+6 b
Si du moindre remords il se sentait surpris. 6+6 b
À travers les soldats il court d’un pas rapide : 6+6 a
230 Coligny l’attendait d’un visage intrépide ; 6+6 a
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux 6+6 b
Lui plonge son épée, en détournant les yeux, 6+6 b
De peur que d’un coup d’œil cet auguste visage 6+6 a
Ne fît trembler son bras, et glaçât son courage. 6+6 a
235 Du plus grand des Français tel fut le triste sort, 6+6 b
On l’insulte, on l’outrage encore après sa mort, 6+6 b
Son corps, percé de coups, privé de sépulture, 6+6 a
Des oiseaux dévorants fut l’indigne pâture ; 6+6 a
Et l’on porta sa tête aux pieds de Médicis, 6+6 b
240 Conquête digne d’elle, et digne de son fils. 6+6 b
Médicis la reçut avec indifférence, 6+6 a
Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance, 6+6 a
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens, 6+6 b
Et comme accoutumée à de pareils présents. 6+6 b
245 « Qui pourrait cependant exprimer les ravages 6+6 a
Dont cette nuit cruelle étala les images ? 6+6 a
La mort de Coligny, prémices des horreurs, 6+6 b
N’était qu’un faible essai de toutes leurs fureurs. 6+6 b
D’un peuple d’assassins les troupes effrénées, 6+6 a
250 Par devoir et par zèle au carnage acharnées, 6+6 a
Marchaient le fer en main, les yeux étincelants, 6+6 b
Sur les corps étendus de nos frères sanglants. 6+6 b
Guise, était à leur tête, et, bouillant de colère, 6+6 a
Vengeait sur tous les miens les mânes de son père. 6+6 a
255 Nevers, Gondi, Tavanne, un poignard à la main, 6+6 b
Échauffaient les transports de leur zèle inhumain ; 6+6 b
Et, portant devant eux la liste de leurs crimes, 6+6 a
Les conduisaient au meurtre, et marquaient les victimes. 6+6 a
« Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris, 6+6 b
260 Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris, 6+6 b
Le fils assassiné sur le corps de son père, 6+6 a
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère, 6+6 a
Les époux expirant sous leurs toits embrasés, 6+6 b
Les enfants au berceau sur la pierre écrasés : 6+6 b
265 Des fureurs des humains c’est ce qu’on doit attendre. 6+6 a
Mais ce que l’avenir aura peine à comprendre, 6+6 a
Ce que vous-même encore à peine vous croirez, 6+6 b
Ces monstres furieux, de carnage altérés, 6+6 b
Excités par la voix des prêtres sanguinaires, 6+6 a
270 Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs frères ; 6+6 a
Et, le bras tout souillé du sang des innocents, 6+6 b
Osaient offrir à Dieu cet exécrable encens. 6+6 b
« Ô combien de héros indignement périrent ! 6+6 a
Resnel et Pardaillan chez les morts descendirent ; 6+6 a
275 Et vous, brave Guerchy, vous, sage Lavardin, 6+6 b
Digne de plus de vie et d’un autre destin. 6+6 b
Parmi les malheureux que cette nuit cruelle 6+6 a
Plongea dans les horreurs d’une nuit éternelle, 6+6 a
Marsillac et Soubise, au trépas condamnés, 6+6 b
280 Défendent quelque temps leurs jours infortunés. 6+6 b
Sanglants, percés de coups, et respirant à peine, 6+6 a
Jusqu’aux portes du Louvre on les pousse, on les traîne ; 6+6 a
Ils teignent de leur sang ce palais odieux, 6+6 b
En implorant leur roi, qui les trahit tous deux. 6+6 b
285 « Du haut de ce palais excitant la tempête, 6+6 a
Médicis à loisir contemplait cette fête : 6+6 a
Ses cruels favoris, d’un regard curieux, 6+6 b
Voyaient les flots de sang regorger sous leurs yeux, 6+6 b
Et de Paris en feu les ruines fatales 6+6 a
290 Étaient de ces héros les pompes triomphales. 6+6 a
« Que dis-je ! ô crime ! ô honte ! Ô comble de nos maux ! 6+6 b
Le roi, le roi lui-même, au milieu des bourreaux, 6+6 b
Poursuivant des proscrits les troupes égarées, 6+6 a
Du sang de ses sujets souillait ses mains sacrées : 6+6 a
295 Et ce même Valois que je sers aujourd’hui, 6+6 b
Ce roi qui par ma bouche implore votre appui, 6+6 b
Partageant les forfaits de son barbare frère, 6+6 a
À ce honteux carnage excitait sa colère. 6+6 a
Non qu’après tout Valois ait un cœur inhumain, 6+6 b
300 Rarement dans le sang il a trempé sa main ; 6+6 b
Mais l’exemple du crime assiégeait sa jeunesse ; 6+6 a
Et sa cruauté même était une faiblesse. 6+6 a
« Quelques-uns, il est vrai, dans la foule des morts, 6+6 b
Du fer des assassins trompèrent les efforts. 6+6 b
305 De Caumont, jeune enfant, l’étonnante aventure 6+6 a
Ira de bouche en bouche à la race future. 6+6 a
Son vieux père, accablé sous le fardeau des ans, 6+6 b
Se livrait au sommeil entre ses deux enfants ; 6+6 b
Un lit seul enfermait et les fils et le père. 6+6 a
310 Les meurtriers ardents, qu’aveuglait la colère, 6+6 a
Sur eux à coups pressés enfoncent le poignard 6+6 b
Sur ce lit malheureux la mort vole au hasard. 6+6 b
« L’Éternel en ses mains tient seul nos destinées ; 6+6 a
Il sait, quand il lui plaît, veiller sur nos années, 6+6 a
315 Tandis qu’en ses fureurs l’homicide est trompé. 6+6 b
D’aucun coup, d’aucun trait, Caumont ne fut frappé. 6+6 b
Un invisible bras, armé pour sa défense, 6+6 a
Aux mains des meurtriers dérobait son enfance ; 6+6 a
Son père, à son côté, sous mille coups mourant, 6+6 b
320 Le couvrait tout entier de son corps expirant ; 6+6 b
Et, du peuple et du roi trompant la barbarie, 6+6 a
Une seconde fois il lui donna la vie. 6+6 a
« Cependant que faisais-je en ces affreux moments ? 6+6 b
Hélas ! trop assuré sur la foi des serments, 6+6 b
325 Tranquille au fond du Louvre, et loin du bruit des armes, 6+6 a
Mes sens d’un doux repos goûtaient encor les charmes. 6+6 a
Ô nuit, nuit effroyable ! ô funeste sommeil ! 6+6 b
L’appareil de la mort éclaira mon réveil. 6+6 b
On avait massacré mes plus chers domestiques ; 6+6 a
330 Le sang de tous côtés inondait mes portiques : 6+6 a
Et je n’ouvris les yeux que pour envisager 6+6 b
Les miens que sur le marbre on venait d’égorger. 6+6 b
Les assassins sanglants vers mon lit s’avancèrent ; 6+6 a
Leurs parricides mains devant moi se levèrent ; 6+6 a
335 Je touchais au moment qui terminait mon sort ; 6+6 b
Je présentai ma tête, et j’attendis la mort. 6+6 b
« Mais, soit qu’un vieux respect pour le sang de leurs maîtres 6+6 a
Parlât encor pour moi dans le cœur de ces traîtres ; 6+6 a
Soit que de Médicis l’ingénieux courroux 6+6 b
340 Trouvât pour moi la mort un supplice trop doux ; 6+6 b
Soit qu’enfin, s’assurant d’un port durant l’orage, 6+6 a
Sa prudente fureur me gardât pour otage, 6+6 a
On réserva ma vie à de nouveaux revers, 6+6 b
Et bientôt de sa part on m’apporta des fers. 6+6 b
345 « Coligny, plus heureux et plus digne d’envie, 6+6 a
Du moins, en succombant, ne perdit que la vie ; 6+6 a
Sa liberté, sa gloire au tombeau le suivit… 6+6 b
Vous frémissez, madame, à cet affreux récit : 6+6 b
Tant d’horreur vous surprend ; mais de leur barbarie 6+6 a
350 Je ne vous ai conté que la moindre partie. 6+6 a
On eût dit que, du haut de son Louvre fatal, 6+6 b
Médicis à la France eût donné le signal ; 6+6 b
Tout imita Paris : la mort sans résistance 6+6 a
Couvrit en un moment la face de la France. 6+6 a
355 Quand un roi veut le crime, il est trop obéi ! 6+6 b
Par cent mille assassins son courroux fut servi ; 6+6 b
Et des fleuves français les eaux ensanglantées 6+6 a
Ne portaient que des morts aux mers épouvantées. 6+6 a
FIN DU CHANT DEUXIÈME
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