Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VOL_3/VOL44
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LA HENRIADE
POËME EN DIX CHANTS
1723
CHANT DEUXIÈME
ARGUMENT
Henri le Grand raconte à la reine Élisabeth l’histoire des malheurs de la France : il remonte à leur origine, et entre dans le détail des massacres de la Saint-Barthélemy.
« Reine, l’excès des maux | où la France est livrée 6+6 a
Est d’autant plus affreux | que leur source est sacrée 6+6 a
C’est la religion | dont le zèle inhumain 6+6 b
Met à tous les Français | les armes à la main. 6+6 b
5 Je ne décide point | entre Genève et Rome. 6+6 a
De quelque nom divin | que leur parti les nomme, 6+6 a
J’ai vu des deux côtés | la fourbe et la fureur ; 6+6 b
Et si la perfidie | est fille de l’erreur, 6+6 b
Si, dans les différends | où l’Europe se plonge, 6+6 a
10 La trahison, le meurtre | est le sceau du mensonge, 6+6 a
L’un et l’autre parti, | cruel également, 6+6 b
Ainsi que dans le crime | est dans l’aveuglement. 6+6 b
Pour moi, qui, de l’État | embrassant la défense, 6+6 a
Laissai toujours aux cieux | le soin de leur vengeance, 6+6 a
15 On ne m’a jamais vu, | surpassant mon pouvoir, 6+6 b
D’une indiscrète main | profaner l’encensoir : 6+6 b
Et périsse à jamais | l’affreuse politique 6+6 a
Qui prétend sur les cœurs | un pouvoir despotique, 6+6 a
Qui veut, le fer en main, | convertir les mortels, 6+6 b
20 Qui du sang hérétique | arrose les autels, 6+6 b
Et, suivant un faux zèle, | ou l’intérêt, pour guides, 6+6 a
Ne sert un Dieu de paix | que par des homicides ! 6+6 a
« Plût à ce Dieu puissant, | dont je cherche la loi, 6+6 b
Que la cour des Valois | eût pensé comme moi ! 6+6 b
25 Mais l’un et l’autre Guise | ont eu moins de scrupule. 6+6 a
Ces chefs ambitieux | d’un peuple trop crédule, 6+6 a
Couvrant leurs intérêts | de l’intérêt des cieux, 6+6 b
Ont conduit dans le piège | un peuple furieux, 6+6 b
Ont armé contre moi | sa piété cruelle. 6+6 a
30 J’ai vu nos citoyens | s’égorger avec zèle, 6+6 a
Et, la flamme à la main, | courir dans les combats 6+6 b
Pour de vains arguments | qu’ils ne comprenaient pas. 6+6 b
Vous connaissez le peuple, | et savez ce qu’il ose 6+6 a
Quand, du ciel outragé | pensant venger la cause, 6+6 a
35 Les yeux ceints du bandeau | de la religion, 6+6 b
Il a rompu le frein | de la soumission. 6+6 b
Vous le savez, madame, | et votre prévoyance 6+6 a
Étouffa dès longtemps | ce mal en sa naissance. 6+6 a
L’orage en vos États | à peine était formé ; 6+6 b
40 Vos soins l’avaient prévu, | vos vertus l’ont calmé : 6+6 b
Vous régnez ; Londre est libre, | et vos lois florissantes. 6+6 a
Médicis a suivi | des routes différentes. 6+6 a
Peut-être que, sensible | à ces tristes récits, 6+6 b
Vous me demanderez | quelle était Médicis ; 6+6 b
45 Vous l’apprendrez du moins | d’une bouche ingénue. 6+6 a
Beaucoup en ont parlé ; | mais peu l’ont bien connue, 6+6 a
Peu de son cœur profond | ont sondé les replis. 6+6 b
Pour moi, nourri vingt ans | à la cour de ses fils, 6+6 b
Qui vingt ans sous ses pas | vis les orages naître, 6+6 a
50 J’ai trop à mes périls | appris à la connaître. 6+6 a
« Son époux, expirant | dans la fleur de ses jours, 6+6 b
À son ambition | laissait un libre cours. 6+6 b
Chacun de ses enfants, | nourri sous sa tutelle, 6+6 a
Devint son ennemi | dès qu’il régna sans elle. 6+6 a
55 Ses mains autour du trône, | avec confusion, 6+6 b
Semaient la jalousie | et la division, 6+6 b
Opposant sans relâche | avec trop de prudence 6+6 a
Les Guises aux Condés, | et la France à la France ; 6+6 a
Toujours prête à s’unir | avec ses ennemis, 6+6 b
60 Et changeant d’intérêt, | de rivaux, et d’amis ; 6+6 b
Esclave des plaisirs, | mais moins qu’ambitieuse ; 6+6 a
Infidèle à sa secte, | et superstitieuse ; 6+6 a
Possédant, en un mot, | pour n’en pas dire plus, 6+6 b
Les défauts de son sexe, | et peu de ses vertus. 6+6 b
65 Ce mot m’est échappé, | pardonnez ma franchise : 6+6 a
Dans ce sexe, après tout, | vous n’êtes point comprise ; 6+6 a
L’auguste Élisabeth | n’en a que les appas ; 6+6 b
Le ciel, qui vous forma | pour régir des États, 6+6 b
Vous fait servir d’exemple | à tous tant que nous sommes ; 6+6 a
70 Et l’Europe vous compte | au rang des plus grands hommes. 6+6 a
« Déjà François Second, | par un sort imprévu, 6+6 b
Avait rejoint son père | au tombeau descendu ; 6+6 b
Faible enfant, qui de Guise | adorait les caprices, 6+6 a
Et dont on ignorait | les vertus et les vices. 6+6 a
75 Charles, plus jeune encore, | avait le nom de roi : 6+6 b
Médicis régnait seule ; | on tremblait sous sa loi. 6+6 b
D’abord sa politique, | assurant sa puissance, 6+6 a
Semblait d’un fils docile | éterniser l’enfance ; 6+6 a
Sa main, de la discorde | allumant le flambeau, 6+6 b
80 Signala par le sang | son empire nouveau ; 6+6 b
Elle arma le courroux | de deux sectes rivales. 6+6 a
Dreux, qui vit déployer | leurs enseignes fatales, 6+6 a
Fut le théâtre affreux | de leurs premiers exploits. 6+6 b
Le vieux Montmorency, | près du tombeau des rois, 6+6 b
85 D’un plomb mortel atteint | par une main guerrière, 6+6 a
De cent ans de travaux | termina la carrière. 6+6 a
Guise auprès d’Orléans | mourut assassiné. 6+6 b
Mon père malheureux, | à la cour enchaîné, 6+6 b
Trop faible, et malgré lui | servant toujours la reine, 6+6 a
90 Traîna dans les affronts | sa fortune incertaine ; 6+6 a
Et, toujours de sa main | préparant ses malheurs, 6+6 b
Combattit et mourut | pour ses persécuteurs. 6+6 b
Condé, qui vit en moi | le seul fils de son frère, 6+6 a
M’adopta, me servit | et de maître et de père ; 6+6 a
95 Son camp fut mon berceau ; | là, parmi les guerriers, 6+6 b
Nourri dans la fatigue | à l’ombre des lauriers, 6+6 b
De la cour avec lui | dédaignant l’indolence, 6+6 a
Ses combats ont été | les jeux de mon enfance. 6+6 a
« Ô plaines de Jarnac ! | ô coup trop inhumain ! 6+6 b
100 Barbare Montesquiou, | moins guerrier qu’assassin, 6+6 b
Condé, déjà mourant, | tomba sous ta furie ! 6+6 a
J’ai vu porter le coup ; | j’ai vu trancher sa vie : 6+6 a
Hélas ! trop jeune encor, | mon bras, mon faible bras 6+6 b
Ne put ni prévenir | ni venger son trépas. 6+6 b
105 Le ciel, qui de mes ans | protégeait la faiblesse, 6+6 a
Toujours à des héros | confia ma jeunesse. 6+6 a
Coligny, de Condé | le digne successeur, 6+6 b
De moi, de mon parti | devint le défenseur. 6+6 b
Je lui dois tout, madame, | il faut que je l’avoue ; 6+6 a
110 Et d’un peu de vertu | si l’Europe me loue, 6+6 a
Si Rome a souvent même | estimé mes exploits, 6+6 b
C’est à vous, ombre illustre, | à vous que je le dois. 6+6 b
Je croissais sous ses yeux, | et mon jeune courage 6+6 a
Fit longtemps de la guerre | un dur apprentissage. 6+6 a
115 Il m’instruisait d’exemple | au grand art des héros : 6+6 b
Je voyais ce guerrier, | blanchi dans les travaux, 6+6 b
Soutenant tout le poids | de la cause commune 6+6 a
Et contre Médicis | et contre la fortune ; 6+6 a
Chéri dans son parti, | dans l’autre respecté ; 6+6 b
120 Malheureux quelquefois, | mais toujours redouté ; 6+6 b
Savant dans les combats, | savant dans les retraites ; 6+6 a
Plus grand, plus glorieux, | plus craint dans ses défaites 6+6 a
Que Dunois ni Gaston | ne l’ont jamais été 6+6 b
Dans le cours triomphant | de leur prospérité. 6+6 b
125 « Après dix ans entiers | de succès et de pertes, 6+6 a
Médicis, qui voyait | nos campagnes couvertes 6+6 a
D’un parti renaissant | qu’elle avait cru détruit, 6+6 b
Lasse enfin de combattre | et de vaincre sans fruit, 6+6 b
Voulut, sans plus tenter | des efforts inutiles, 6+6 a
130 Terminer d’un seul coup | les discordes civiles, 6+6 a
La cour de ses faveurs | nous offrit les attraits ; 6+6 b
Et n’ayant pu nous vaincre, | on nous donna la paix. 6+6 b
Quelle paix, juste Dieu ! | Dieu vengeur que j’atteste, 6+6 a
Que de sang arrosa | son olive funeste ! 6+6 a
135 Ciel ! faut-il voir ainsi | les maîtres des humains 6+6 b
Du crime à leurs sujets | aplanir les chemins ! 6+6 b
« Coligny, dans son cœur | à son prince fidèle, 6+6 a
Aimait toujours la France | en combattant contre elle : 6+6 a
Il chérit, il prévint | l’heureuse occasion 6+6 b
140 Qui semblait de l’État | assurer l’union. 6+6 b
Rarement un héros | connaît la défiance : 6+6 a
Parmi ses ennemis | il vint plein d’assurance ; 6+6 a
Jusqu’au milieu du Louvre | il conduisit mes pas. 6+6 b
Médicis en pleurant | me reçut dans ses bras, 6+6 b
145 Me prodigua longtemps | des tendresses de mère, 6+6 a
Assura Coligny | d’une amitié sincère, 6+6 a
Voulait par ses avis | se régler désormais, 6+6 b
L’ornait de dignités, | le comblait de bienfaits, 6+6 b
Montrait à tous les miens, | séduits par l’espérance, 6+6 a
150 Des faveurs de son fils | la flatteuse apparence. 6+6 a
Hélas ! nous espérions | en jouir plus longtemps. 6+6 b
« Quelques-uns soupçonnaient | ces perfides présents, 6+6 b
Les dons d’un ennemi | leur semblaient trop à craindre. 6+6 a
Plus ils se défiaient, | plus le roi savait feindre : 6+6 a
155 Dans l’ombre du secret, | depuis peu Médicis 6+6 b
À la fourbe, au parjure, | avait formé son fils, 6+6 b
Façonnait aux forfaits | ce cœur jeune et facile ; 6+6 a
Et le malheureux prince, | à ses leçons docile, 6+6 a
Par son penchant féroce | à les suivre excité, 6+6 b
160 Dans sa coupable école | avait trop profité. 6+6 b
« Enfin, pour mieux cacher | cet horrible mystère, 6+6 a
Il me donna sa sœur, | il m’appela son frère. 6+6 a
Ô nom qui m’as trompé ! | vains serments ! nœud fatal ! 6+6 b
Hymen qui de nos maux | fus le premier signal ! 6+6 b
165 Tes flambeaux, que du ciel | alluma la colère, 6+6 a
Éclairaient à mes yeux | le trépas de ma mère. 6+6 a
Je ne suis point injuste, | et je ne prétends pas 6+6 b
À Médicis encore | imputer son trépas : 6+6 b
J’écarte des soupçons | peut-être légitimes, 6+6 a
170 Et je n’ai pas besoin | de lui chercher des crimes. 6+6 a
Ma mère enfin mourut. | Pardonnez à des pleurs 6+6 b
Qu’un souvenir si tendre | arrache à mes douleurs. 6+6 b
Cependant tout s’apprête, | et l’heure est arrivée 6+6 a
Qu’au fatal dénoûment | la reine a réservée. 6+6 a
175 « Le signal est donné | sans tumulte et sans bruit ; 6+6 b
C’était à la faveur | des ombres de la nuit. 6+6 b
De ce mois malheureux | l’inégale courrière 6+6 a
Semblait cacher d’effroi | sa tremblante lumière : 6+6 a
Coligny languissait | dans les bras du repos, 6+6 b
180 Et le sommeil trompeur | lui versait ses pavots. 6+6 b
Soudain de mille cris | le bruit épouvantable 6+6 a
Vient arracher ses sens | à ce calme agréable : 6+6 a
Il se lève, il regarde, | il voit de tous côtés 6+6 b
Courir des assassins | à pas précipités ; 6+6 b
185 Il voit briller partout | les flambeaux et les armes, 6+6 a
Son palais embrasé, | tout un peuple en alarmes, 6+6 a
Ses serviteurs sanglants | dans la flamme étouffés, 6+6 b
Les meurtriers en foule | au carnage échauffés, 6+6 b
Criant à haute voix : | « Qu’on n’épargne personne ; 6+6 a
190 C’est Dieu, c’est Médicis, | c’est le roi qui l’ordonne ! » 6+6 a
Il entend retentir | le nom de Coligny ; 6+6 b
Il aperçoit de loin | le jeune Téligny, 6+6 b
Téligny dont l’amour | a mérité sa fille, 6+6 a
L’espoir de son parti, | l’honneur de sa famille, 6+6 a
195 Qui, sanglant, déchiré, | traîné par des soldats, 6+6 b
Lui demandait vengeance, | et lui tendait les bras. 6+6 b
« Le héros malheureux, | sans armes, sans défense, 6+6 a
Voyant qu’il faut périr, | et périr sans vengeance, 6+6 a
Voulut mourir du moins | comme il avait vécu, 6+6 b
200 Avec toute sa gloire | et toute sa vertu. 6+6 b
« Déjà des assassins | la nombreuse cohorte 6+6 a
Du salon qui l’enferme | allait briser la porte ; 6+6 a
Il leur ouvre lui-même, | et se montre à leurs yeux 6+6 b
Avec cet œil serein, | ce front majestueux, 6+6 b
205 Tel que dans les combats, | maître de son courage. 6+6 a
Tranquille il arrêtait | ou pressait le carnage. 6+6 a
« À cet air vénérable, | à cet auguste aspect, 6+6 b
Les meurtriers surpris | sont saisis de respect ; 6+6 b
Une force inconnue | a suspendu leur rage. 6+6 a
210 « Compagnons, leur dit-il, | achevez votre ouvrage, 6+6 a
« Et de mon sang glacé | souillez ces cheveux blancs, 6+6 b
« Que le sort des combats | respecta quarante ans ; 6+6 b
« Frappez, ne craignez rien ; | Coligny vous pardonne ; 6+6 a
« Ma vie est peu de chose, | et je vous l’abandonne… 6+6 a
215 « J’eusse aimé mieux la perdre | en combattant pour vous… » 6+6 b
Ces tigres à ces mots | tombent à ses genoux : 6+6 b
L’un, saisi d’épouvante, | abandonne ses armes ; 6+6 a
L’autre embrasse ses pieds, | qu’il trempe de ses larmes 6+6 a
Et de ses assassins | ce grand homme entouré 6+6 b
220 Semblait un roi puissant | par son peuple adoré. 6+6 b
« Besme, qui dans la cour | attendait sa victime, 6+6 a
Monte, accourt, indigné | qu’on diffère son crime ; 6+6 a
Des assassins trop lents | il veut hâter les coups ; 6+6 b
Aux pieds de ce héros | il les voit trembler tous. 6+6 b
225 À cet objet touchant | lui seul est inflexible ; 6+6 a
Lui seul, à la pitié | toujours inaccessible, 6+6 a
Aurait cru faire un crime | et trahir Médicis, 6+6 b
Si du moindre remords | il se sentait surpris. 6+6 b
À travers les soldats | il court d’un pas rapide : 6+6 a
230 Coligny l’attendait | d’un visage intrépide ; 6+6 a
Et bientôt dans le flanc | ce monstre furieux 6+6 b
Lui plonge son épée, | en détournant les yeux, 6+6 b
De peur que d’un coup d’œil | cet auguste visage 6+6 a
Ne fît trembler son bras, | et glaçât son courage. 6+6 a
235 Du plus grand des Français | tel fut le triste sort, 6+6 b
On l’insulte, on l’outrage | encore après sa mort, 6+6 b
Son corps, percé de coups, | privé de sépulture, 6+6 a
Des oiseaux dévorants | fut l’indigne pâture ; 6+6 a
Et l’on porta sa tête | aux pieds de Médicis, 6+6 b
240 Conquête digne d’elle, | et digne de son fils. 6+6 b
Médicis la reçut | avec indifférence, 6+6 a
Sans paraître jouir | du fruit de sa vengeance, 6+6 a
Sans remords, sans plaisir, | maîtresse de ses sens, 6+6 b
Et comme accoutumée | à de pareils présents. 6+6 b
245 « Qui pourrait cependant | exprimer les ravages 6+6 a
Dont cette nuit cruelle | étala les images ? 6+6 a
La mort de Coligny, | prémices des horreurs, 6+6 b
N’était qu’un faible essai | de toutes leurs fureurs. 6+6 b
D’un peuple d’assassins | les troupes effrénées, 6+6 a
250 Par devoir et par zèle | au carnage acharnées, 6+6 a
Marchaient le fer en main, | les yeux étincelants, 6+6 b
Sur les corps étendus | de nos frères sanglants. 6+6 b
Guise, était à leur tête, | et, bouillant de colère, 6+6 a
Vengeait sur tous les miens | les mânes de son père. 6+6 a
255 Nevers, Gondi, Tavanne, | un poignard à la main, 6+6 b
Échauffaient les transports | de leur zèle inhumain ; 6+6 b
Et, portant devant eux | la liste de leurs crimes, 6+6 a
Les conduisaient au meurtre, | et marquaient les victimes. 6+6 a
« Je ne vous peindrai point | le tumulte et les cris, 6+6 b
260 Le sang de tous côtés | ruisselant dans Paris, 6+6 b
Le fils assassiné | sur le corps de son père, 6+6 a
Le frère avec la sœur, | la fille avec la mère, 6+6 a
Les époux expirant | sous leurs toits embrasés, 6+6 b
Les enfants au berceau | sur la pierre écrasés : 6+6 b
265 Des fureurs des humains | c’est ce qu’on doit attendre. 6+6 a
Mais ce que l’avenir | aura peine à comprendre, 6+6 a
Ce que vous-même encore | à peine vous croirez, 6+6 b
Ces monstres furieux, | de carnage altérés, 6+6 b
Excités par la voix | des prêtres sanguinaires, 6+6 a
270 Invoquaient le Seigneur | en égorgeant leurs frères ; 6+6 a
Et, le bras tout souillé | du sang des innocents, 6+6 b
Osaient offrir à Dieu | cet exécrable encens. 6+6 b
« Ô combien de héros | indignement périrent ! 6+6 a
Resnel et Pardaillan | chez les morts descendirent ; 6+6 a
275 Et vous, brave Guerchy, | vous, sage Lavardin, 6+6 b
Digne de plus de vie | et d’un autre destin. 6+6 b
Parmi les malheureux | que cette nuit cruelle 6+6 a
Plongea dans les horreurs | d’une nuit éternelle, 6+6 a
Marsillac et Soubise, | au trépas condamnés, 6+6 b
280 Défendent quelque temps | leurs jours infortunés. 6+6 b
Sanglants, percés de coups, | et respirant à peine, 6+6 a
Jusqu’aux portes du Louvre | on les pousse, on les traîne ; 6+6 a
Ils teignent de leur sang | ce palais odieux, 6+6 b
En implorant leur roi, | qui les trahit tous deux. 6+6 b
285 « Du haut de ce palais | excitant la tempête, 6+6 a
Médicis à loisir | contemplait cette fête : 6+6 a
Ses cruels favoris, | d’un regard curieux, 6+6 b
Voyaient les flots de sang | regorger sous leurs yeux, 6+6 b
Et de Paris en feu | les ruines fatales 6+6 a
290 Étaient de ces héros | les pompes triomphales. 6+6 a
« Que dis-je ! ô crime ! ô honte ! | Ô comble de nos maux ! 6+6 b
Le roi, le roi lui-même, | au milieu des bourreaux, 6+6 b
Poursuivant des proscrits | les troupes égarées, 6+6 a
Du sang de ses sujets | souillait ses mains sacrées : 6+6 a
295 Et ce même Valois | que je sers aujourd’hui, 6+6 b
Ce roi qui par ma bouche | implore votre appui, 6+6 b
Partageant les forfaits | de son barbare frère, 6+6 a
À ce honteux carnage | excitait sa colère. 6+6 a
Non qu’après tout Valois | ait un cœur inhumain, 6+6 b
300 Rarement dans le sang | il a trempé sa main ; 6+6 b
Mais l’exemple du crime | assiégeait sa jeunesse ; 6+6 a
Et sa cruauté même | était une faiblesse. 6+6 a
« Quelques-uns, il est vrai, | dans la foule des morts, 6+6 b
Du fer des assassins | trompèrent les efforts. 6+6 b
305 De Caumont, jeune enfant, | l’étonnante aventure 6+6 a
Ira de bouche en bouche | à la race future. 6+6 a
Son vieux père, accablé | sous le fardeau des ans, 6+6 b
Se livrait au sommeil | entre ses deux enfants ; 6+6 b
Un lit seul enfermait | et les fils et le père. 6+6 a
310 Les meurtriers ardents, | qu’aveuglait la colère, 6+6 a
Sur eux à coups pressés | enfoncent le poignard 6+6 b
Sur ce lit malheureux | la mort vole au hasard. 6+6 b
« L’Éternel en ses mains | tient seul nos destinées ; 6+6 a
Il sait, quand il lui plaît, | veiller sur nos années, 6+6 a
315 Tandis qu’en ses fureurs | l’homicide est trompé. 6+6 b
D’aucun coup, d’aucun trait, | Caumont ne fut frappé. 6+6 b
Un invisible bras, | armé pour sa défense, 6+6 a
Aux mains des meurtriers | dérobait son enfance ; 6+6 a
Son père, à son côté, | sous mille coups mourant, 6+6 b
320 Le couvrait tout entier | de son corps expirant ; 6+6 b
Et, du peuple et du roi | trompant la barbarie, 6+6 a
Une seconde fois | il lui donna la vie. 6+6 a
« Cependant que faisais-je | en ces affreux moments ? 6+6 b
Hélas ! trop assuré | sur la foi des serments, 6+6 b
325 Tranquille au fond du Louvre, | et loin du bruit des armes, 6+6 a
Mes sens d’un doux repos | goûtaient encor les charmes. 6+6 a
Ô nuit, nuit effroyable ! | ô funeste sommeil ! 6+6 b
L’appareil de la mort | éclaira mon réveil. 6+6 b
On avait massacré | mes plus chers domestiques ; 6+6 a
330 Le sang de tous côtés | inondait mes portiques : 6+6 a
Et je n’ouvris les yeux | que pour envisager 6+6 b
Les miens que sur le marbre | on venait d’égorger. 6+6 b
Les assassins sanglants | vers mon lit s’avancèrent ; 6+6 a
Leurs parricides mains | devant moi se levèrent ; 6+6 a
335 Je touchais au moment | qui terminait mon sort ; 6+6 b
Je présentai ma tête, | et j’attendis la mort. 6+6 b
« Mais, soit qu’un vieux respect | pour le sang de leurs maîtres 6+6 a
Parlât encor pour moi | dans le cœur de ces traîtres ; 6+6 a
Soit que de Médicis | l’ingénieux courroux 6+6 b
340 Trouvât pour moi la mort | un supplice trop doux ; 6+6 b
Soit qu’enfin, s’assurant | d’un port durant l’orage, 6+6 a
Sa prudente fureur | me gardât pour otage, 6+6 a
On réserva ma vie | à de nouveaux revers, 6+6 b
Et bientôt de sa part | on m’apporta des fers. 6+6 b
345 « Coligny, plus heureux | et plus digne d’envie, 6+6 a
Du moins, en succombant, | ne perdit que la vie ; 6+6 a
Sa liberté, sa gloire | au tombeau le suivit… 6+6 b
Vous frémissez, madame, | à cet affreux récit : 6+6 b
Tant d’horreur vous surprend ; | mais de leur barbarie 6+6 a
350 Je ne vous ai conté | que la moindre partie. 6+6 a
On eût dit que, du haut | de son Louvre fatal, 6+6 b
Médicis à la France | eût donné le signal ; 6+6 b
Tout imita Paris : | la mort sans résistance 6+6 a
Couvrit en un moment | la face de la France. 6+6 a
355 Quand un roi veut le crime, | il est trop obéi ! 6+6 b
Par cent mille assassins | son courroux fut servi ; 6+6 b
Et des fleuves français | les eaux ensanglantées 6+6 a
Ne portaient que des morts | aux mers épouvantées. 6+6 a
FIN DU CHANT DEUXIÈME
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