Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VOL_2/VOL36
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
La Pucelle d'Orléans
1752
CHANT XV
Argument
Grand repas à l'hôtel de ville d'Orléans, suivi d'un assaut général. Charles attaque les Anglais. Ce qui arrive à la belle Agnès et à ses compagnons de voyage.
Censeurs malins, je vous méprise tous, 4+6 a
Car je connais mes défauts mieux que vous. 4+6 a
J'aurais voulu dans cette belle histoire, 4+6 b
Écrite en or au temple de Mémoire, 4+6 b
5 Ne présenter que des faits éclatants, 4+6 c
Et couronner mon roi dans Orléans 4+6 c
Par la Pucelle, et l'Amour, et la Gloire. 4+6 b
Il est bien dur d'avoir perdu mon temps 4+6 c
A vous parler de Cutendre et d'un page, 4+6 d
10 De Grisbourdon, de sa lubrique rage, 4+6 d
D'un muletier et de tant d'accidents 4+6 c
Qui font grand tort au fil de mon ouvrage. 4+6 d
Mais vous savez que ces événements 4+6 c
Furent écrits par Trithème le sage ; 4+6 d
15 Je le copie, et n'ai rien inventé. 4+6 e
Dans ces détails si mon lecteur s'enfonce, 4+6 f
Si quelquefois sa dure gravi 4+6 e
Juge mon sage avec sévérité, 4+6 e
A certains traits si le sourcil lui fronce, 4+6 f
20 Il peut, s'il veut, passer la pierre ponce 4+6 f
Sur la moitié de ce livre enchanté ; 4+6 e
Mais qu'il respecte au moins la vérité. 4+6 e
O vérité ! vierge pure et sacrée ! 4+6 g
Quand seras-tu dignement révérée ! 4+6 g
25 Divini qui seule nous instruis, 4+6 h
Pourquoi mets-tu ton palais dans un puits ? 4+6 h
Du fond du puits quand seras-tu tirée ? 4+6 g
Quand verrons-nous nos doctes écrivains, 4+6 i
Exempts de fiel, libres de flatterie, 4+6 j
30 Fidèlement nous apprendre la vie, 4+6 j
Les grands exploits de nos beaux paladins ? 4+6 i
Oh ! qu'Arioste étala de prudence, 4+6 k
Quand il cita l'archevêque Turpin ! 4+6 l
Ce témoignage à son livre divin 4+6 l
35 De tout lecteur attire la croyance. 4+6 k
Tout inquiet encor de son destin, 4+6 l
Vers Orléans Charle était en chemin, 4+6 l
Environné de sa troupe dorée, 4+6 g
D'armes, d'habits richement décorée, 4+6 g
40 Et demandant à Dunois des conseils, 4+6 m
Ainsi que font tous les rois ses pareils, 4+6 m
Dans le malheur dociles et traitables, 4+6 n
Dans la fortune un peu moins praticables. 4+6 n
Charles croyait qu'Agnès et Bonifoux 4+6 o
45 Suivaient de loin. Plein d'un espoir si doux, 4+6 o
L'amant royal souvent tourne la tête 4+6 p
Pour voir Agnès, et regarde, et s'arrête ; 4+6 p
Et quand Dunois, préparant ses succès, 4+6 m
Nomme Orléans, le roi lui nomme Agnès. 4+6 m
50 L'heureux bâtard, dont l'active prudence 4+6 k
Ne s'occupait que du bien de la France, 4+6 k
Le jour baissant, découvre un petit fort 4+6 q
Que négligeait le bon duc de Bedfort. 4+6 q
Ce fort touchait à la ville investie : 4+6 j
55 Dunois le prend, le roi s'y fortifie. 4+6 j
Des assiégeants c'étaient les magasins. 4+6 i
Le dieu sanglant qui donne la victoire, 4+6 b
Le dieu joufflu qui préside aux festins, 4+6 i
D'emplir ces lieux se disputaient la gloire, 4+6 b
60 L'un de canons, et l'autre de bons vins : 4+6 i
Tout l'appareil de la guerre effroyable, 4+6 r
Tous les apprêts des plaisirs de la table, 4+6 r
Se rencontraient dans ce petit château : 4+6 s
Quels vrais succès pour Dunois et Bonneau ! 4+6 s
65 Tout Orléans à ces grandes nouvelles 4+6 t
Rendit à Dieu des grâces solennelles. 4+6 t
Un Te Deum en faux-bourdon chan 4+6 e
Devant les chefs de la noble cité ; 4+6 e
Un long dîner où le juge et le maire, 4+6 u
70 Chanoine, évêque, et guerrier invité, 4+6 e
Le verre en main, tombèrent tous par terre ; 4+6 u
Un feu sur l'eau, dont les brillants éclairs 4+6 v
Dans la nuit sombre illuminent les airs, 4+6 v
Les cris du peuple, et le canon qui gronde, 4+6 w
75 Avec fracas annoncèrent au monde 4+6 w
Que le roi Charle, à ses sujets rendu 4+6 x
Va retrouver tout ce qu'il a perdu. 4+6 x
Ces chants de gloire et ces bruits d'allégresse 4+6 y
Furent suivis par des cris de détresse. 4+6 y
80 On n'entend plus que le nom de Betfort, 4+6 q
Alerte, aux murs, à la brèche, à la mort ! 4+6 q
L'Anglais usait de ces moments propices 4+6 z
Où nos bourgeois, en vidant les flacons, 4+6 a
Louaient leur prince, et dansaient aux chansons. 4+6 a
85 Sous une porte on plaça deux saucisses, 4+6 z
Non de boudin, non telles que Bonneau 4+6 s
En inventa, pour un ragoût nouveau ; 4+6 s
Mais saucissons dont la poudre fatale, 4+6 b
Se dilatant, s'enflant avec éclair, 4+6 c
90 Renverse tout, confond la terre et l'air ; 4+6 c
Machine affreuse, homicide, infernale, 4+6 b
Qui contenait dans son ventre de fer 4+6 c
Ce feu pétri des mains de Lucifer. 4+6 c
Par une mèche artistement posée, 4+6 g
95 En un moment la matière embrasée 4+6 g
S'étend, s'élève, et porte à mille pas 4+6 d
Bois, gonds, battants, et ferrure en éclats. 4+6 d
Le fier Talbot entre et se précipite. 4+6 e
Fureur, succès, gloire, amour, tout l'excite. 4+6 e
100 On voit de loin briller sur son armet 4+6 f
En or fri le chiffre de Louvet : 4+6 f
Car la Louvet était toujours la dame 4+6 g
De ses pensers ; et piquait sa grande âme ; 4+6 g
Il prétendait caresser ses beautés 4+6 h
105 Sur les débris des murs ensanglantés. 4+6 h
Ce beau Breton, cet enfant de la guerre, 4+6 u
Conduit sous lui les braves d'Angleterre. 4+6 u
« Allons, dit-il, généreux conquérants, 4+6 c
Portons partout et le fer et les flammes, 4+6 i
110 Buvons le vin des poltrons d'Orléans, 4+6 c
Prenons leur or, baisons toutes leurs femmes. » 4+6 i
Jamais César, dont les traits éloquents 4+6 c
Portaient l'audace et l'honneur dans les âmes, 4+6 i
Ne parla mieux à ses fiers combattants. 4+6 c
115 Sur ce terrain que la porte enflammée 4+6 g
Couvre en sautant d'une épaisse fumée, 4+6 g
Est un rempart, que La Hire et Poton 4+6 j
Ont éle de pierre et de gazon. 4+6 j
Un parapet, garni d'artillerie, 4+6 j
120 Peut repousser la première furie, 4+6 j
Les premiers coups du terrible Betfort. 4+6 q
Poton, La Hire, y paraissent d'abord. 4+6 q
Un peuple entier derrière eux s'évertue : 4+6 l
Le canon gronde ; et l'horrible mot : « Tue ! » 4+6 l
125 Est répé quand les bouches d'enfer 4+6 c
Sont en silence, et ne troublent plus l'air. 4+6 c
Vers le rempart les échelles dressées 4+6 m
Portent dé cent cohortes pressées ; 4+6 m
Et le soldat, le pied sur l'échelon, 4+6 j
130 Le fer en main, pousse son compagnon. 4+6 j
Dans ce péril, ni Poton ni La Hire 4+6 n
N'ont oublié leur esprit qu'on admire. 4+6 n
Avec prudence ils avaient tout prévu, 4+6 x
Avec adresse à tout ils ont pourvu. 4+6 x
135 L'huile bouillante et la poix embrasée, 4+6 g
De pieux pointus une forêt croisée, 4+6 g
De larges faux que leur tranchant effort 4+6 q
Fait ressembler à la faux de la Mort, 4+6 q
Et des mousquets qui lancent les tempêtes 4+6 o
140 De plomb volant sur les bretonnes têtes, 4+6 o
Tout ce que l'art et la nécessité, 4+6 e
Et le malheur, et l'intrépidité, 4+6 e
Et la peur même, ont pu mettre en usage, 4+6 d
Est emplo dans ce jour de carnage. 4+6 d
145 Que de Bretons bouillis, coupés, percés, 4+6 h
Mourants en foule, et par rangs entassés ! 4+6 h
Ainsi qu'on voit sous cent mains diligentes 4+6 p
Choir les épis des moissons jaunissantes. 4+6 p
Mais cet assaut fièrement se maintient ; 4+6 q
150 Plus il en tombe, et plus il en revient. 4+6 q
De l'hydre affreux les têtes menaçantes, 4+6 p
Tombant à terre, et toujours renaissantes, 4+6 p
N'effrayaient point le fils de Jupiter ; 4+6 c
Ainsi l'Anglais, dans les feux, sous le fer, 4+6 c
155 Après sa chute encor plus formidable, 4+6 r
Brave en montant le nombre qui l'accable. 4+6 r
Tu t'avançais sur ces remparts sanglants, 4+6 c
Fier Richemont, digne espoir d'Orléans. 4+6 c
Cinq cents bourgeois, gens de cœur et d'élite, 4+6 e
160 En chancelant marchent sous sa conduite, 4+6 e
Enluminés du gros vin qu'ils ont bu ; 4+6 x
Sa sève encor animait leur vertu ; 4+6 x
Et Richemont criait d'une voix forte : 4+6 r
« Pauvres bourgeois, vous n'avez plus de porte, 4+6 r
165 Mais vous m'avez, il suffit, combattons. » 4+6 a
Il dit, et vole au milieu des Bretons. 4+6 a
Déjà Talbot s'était fait un passage 4+6 d
Au haut du mur, et déjà dans sa rage 4+6 d
D'un bras terrible il porte le trépas. 4+6 d
170 Il fait de l'autre avancer ses soldats, 4+6 d
Criant Louvet ! d'une voix stentorée : 4+6 g
Louvet l'entend, et s'en tient honorée. 4+6 g
Tous les Anglais criaient aussi Louvet ! 4+6 f
Mais sans savoir ce que Talbot voulait. 4+6 f
175 O sots humains ! on sait trop vous apprendre 4+6 s
A répéter ce qu'on ne peut comprendre. 4+6 s
Charle, en son fort tristement replié, 4+6 e
D'autres Anglais par malheur entouré, 4+6 e
Ne peut marcher vers la ville attaquée ; 4+6 g
180 D'accablement son âme est suffoquée. 4+6 g
« Quoi ! disait-il, ne pouvoir secourir 4+6 t
Mes chers sujets que mon œil voit périr ! 4+6 t
Ils ont chan le retour de leur maître ; 4+6 u
J'allais entrer, et combattre, et peut-être 4+6 u
185 Les délivrer des Anglais inhumains : 4+6 i
Le sort cruel enchaîne ici mes mains. 4+6 i
— Non, lui dit Jeanne, il est temps de paraître. 4+6 u
Venez ; mettez, en signalant vos coups, 4+6 a
Ces durs Bretons entre Orléans et vous. 4+6 a
190 Marchez, mon prince, et vous sauvez la ville. 4+6 v
Nous sommes peu, mais vous en valez mille. » 4+6 v
Charles lui dit : « Quoi ! vous savez flatter ! 4+6 e
Je vaux bien peu ; mais je vais mériter 4+6 e
Et votre estime, et celle de la France, 4+6 k
195 Et des Anglais. » Il dit, pique, et s'avance. 4+6 k
Devant ses pas l'oriflamme est porté ; 4+6 e
Jeanne et Dunois volent à son côté. 4+6 e
Il est suivi de ses gens d'ordonnance ; 4+6 k
Et l'on entend à travers mille cris : 4+6 h
200 « Vivent le roi, Montjoie, et saint Denys ! » 4+6 h
Charles, Dunois, et la Barroise altière, 4+6 u
Sur les Bretons s'élancent par derrière : 4+6 u
Tels que, des monts qui tiennent dans leur sein 4+6 l
Les réservoirs du Danube et du Rhin, 4+6 l
205 L'aigle superbe, aux ailes étendues, 4+6 w
Aux yeux perçants, aux huit griffes pointues, 4+6 w
Planant en l'air, tombe sur des faucons 4+6 a
Qui s'acharnaient sur le cou des hérons. 4+6 a
Ce fut alors que l'audace anglicane, 4+6 x
210 Semblable au fer sur l'enclume battu, 4+6 x
Qui de sa trempe augmente la vertu, 4+6 x
Repoussa bien la valeur gallicane. 4+6 x
Les voyez-vous, ces enfants d'Albion, 4+6 j
Et ces soldats des fils de Clodion ? 4+6 j
215 Fiers, enflammés, de sang insatiables, 4+6 n
Ils ont vo comme un vent dans les airs. 4+6 v
Dès qu'ils sont joints, ils sont inébranlables, 4+6 n
Comme un rocher sous l'écume des mers. 4+6 v
Pied contre pied, aigrette contre aigrette, 4+6 p
220 Main contre main, œil contre œil, corps à corps, 4+6 y
En jurant Dieu, l'un sur l'autre on se jette ; 4+6 p
Et l'un sur l'autre on voit tomber les morts. 4+6 y
Oh ! que ne puis-je en grands vers magnifiques 4+6 z
Écrire au long tant de faits héroïques ! 4+6 z
225 Homère seul a le droit de conter 4+6 e
Tous les exploits, toutes les aventures, 4+6 a
De les étendre et de les répéter ; 4+6 e
De supputer les coups et les blessures, 4+6 a
Et d'ajouter aux grands combats d'Hector 4+6 b
230 De grands combats, et des combats encor : 4+6 b
C'est là sans doute un sûr moyen de plaire. 4+6 u
Mais je ne puis me résoudre à vous taire 4+6 u
D'autres dangers, dont un destin cruel 4+6 c
Circonvenait la belle Agnès Sorel, 4+6 c
235 Quand son amant s'avançait vers la gloire. 4+6 b
Dans le chemin, sur les rives de Loire, 4+6 b
Elle entretient le père Bonifoux, 4+6 o
Qui, toujours sage, insinuant, et doux, 4+6 o
Du tentateur lui contait quelque histoire 4+6 b
240 Divertissante, et sans réflexions, 4+6 a
Sous l'agrément déguisant ses leçons. 4+6 a
A quelques pas, La Trimouille et sa dame 4+6 g
S'entretenaient de leur fidèle flamme, 4+6 g
Et du dessein de vivre ensemble un jour 4+6 d
245 Dans leur château, tout entiers à l'amour. 4+6 d
Dans leur chemin la main de la nature 4+6 e
Tend sous leurs pieds un tapis de verdure, 4+6 e
Velours uni, semblable au pré fameux 4+6 f
Où s'exerçait la rapide Atalante. 4+6 g
250 Sur le duvet de cette herbe naissante, 4+6 g
Agnès approche et chemine avec eux. 4+6 f
Le confesseur suivit la belle errante. 4+6 g
Tous quatre allaient, tenant de beaux discours 4+6 h
De piété, de combats, et d'amours. 4+6 h
255 Sur les Anglais, sur le diable on raisonne. 4+6 i
En raisonnant on ne vit plus personne. 4+6 i
Chacun fondait doucement, doucement, 4+6 j
Homme et cheval, sous le terrain mouvant. 4+6 j
D'abord les pieds, puis le corps, puis la tête, 4+6 p
260 Tout disparut, ainsi qu'à cette fête 4+6 p
Qu'en un palais d'un auteur cardinal 4+6 k
Trois fois au moins par semaine on apprête, 4+6 p
A l'opéra, souvent joué si mal, 4+6 k
Plus d'un héros à nos regards échappe, 4+6 l
265 Et dans l'enfer descend par une trappe. 4+6 l
Monrose vit du rivage prochain 4+6 l
La belle Agnès, et fut tenté soudain 4+6 l
De venir rendre à l'objet qu'il observe 4+6 m
Tout le respect que son âme conserve. 4+6 m
270 Il passe un pont ; mais il devient perclus, 4+6 n
Quand la voyant son œil ne la vit plus. 4+6 n
Froid comme marbre, et blême comme gypse, 4+6 o
Il veut marcher, mais lui-même il s'éclipse. 4+6 o
Paul Tirconel, qui de loin l'aperçut, 4+6 p
275 A son secours à grand galop courut. 4+6 p
En arrivant sur la place funeste, 4+6 q
Paul Tirconel y fond avec le reste. 4+6 q
Ils tombent tous dans un grand souterrain 4+6 l
Qui conduisait aux portes d'un jardin 4+6 l
280 Tel que n'en eut Louis le quatorzième, 4+6 r
Aïeul d'un roi qu'on méprise et qu'on aime ; 4+6 r
Et le jardin conduisait au château, 4+6 s
Digne en tout sens de ce jardin si beau. 4+6 s
C'était… (mon cœur à ce seul mot soupire) 4+6 n
285 D'Hermaphrodix le formidable empire. 4+6 n
O Dorothée, Agnès, et Bonifoux ! 4+6 a
Qu'allez-vous faire, et que deviendrez-vous ? 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
logo du CRISCO logo de l'université