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6-6 mètre
VOL_2/VOL31
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
La Pucelle d'Orléans
1752
CHANT X
Argument
Agnès Sorel poursuivie par l'aumônier de Jean Chandos. Regrets de son amant, etc. Ce qui advint à la belle Agnès dans un couvent.
Eh quoi ! toujoursclouer une préface 4+6 a
A tous mes chants !la morale me lasse ; 4+6 a
Un simple faitconté naïvement, 4+6 a
Ne contenantque la vérité pure, 4+6 b
5 Narré succinct,sans frivole ornement, 4+6 a
Point trop d'esprit,aucun raffinement, 4+6 c
Voilà de quoidésarmer la censure. 4+6 b
Allons au fait,lecteur, tout rondement, 4+6 c
C'est mon avis.Tableau d'après nature, 4+6 a
10 S'il est bien fait,n'a besoin de bordure. 4+6 a
 Le bon roi Charle,allant vers Orléans, 4+6 a
Enflait le cœurde ses fiers combattants, 4+6 a
Les remplissaitde joie et d'espérance, 4+6 a
Et relevaitle destin de la France. 4+6 a
15 Il ne parlaitque d'aller aux combats, 4+6 a
Il étalaitune fière allégresse ; 4+6 b
Mais en secretil soupirait tout bas, 4+6 a
Car il étaitabsent de sa mtresse. 4+6 b
L'avoir laissée,avoir pu seulement 4+6 a
20 De son Agnèss'écarter un moment, 4+6 a
C'était un traitd'une vertu suprême, 4+6 a
C'était quitterla moitié de soi-même. 4+6 a
 Lorsqu'il se futau logis renfermé, 4+6 a
Et qu'en son cœuril eut un peu calmé 4+6 a
25 L'emportementdu démon de la gloire, 4+6 a
L'autre démonqui préside à l'amour 4+6 b
Vint à ses senss'expliquer à son tour ; 4+6 b
Il plaidait mieux :il gagna la victoire. 4+6 a
D'un air distrait,le bon prince écouta 4+6 a
30 Tous les proposdont on le tourmenta : 4+6 a
Puis en sa chambreen secret il alla, 4+6 a
, d'un cœur tristeet d'une main tremblante, 4+6 b
Il écrivitune lettre touchante, 4+6 b
Que de ses pleurstendrement il mouilla ; 4+6 a
35 Pour les sécherBonneau n'était pas là. 4+6 a
Certain butor,gentilhomme ordinaire, 4+6 a
Fut dépêché,chargé du doux billet. 4+6 b
Une heure après,ô douleur trop amère ! 4+6 a
Notre courrierrapporte le poulet. 4+6 b
40 Le roi, saisid'une alarme mortelle, 4+6 a
Lui dit : « Hélas !pourquoi donc reviens-tu ? 4+6 b
Quoi ! mon billet ?… — Sire, tout est perdu ; 4+6 b
Sire, armez-vousde force et de vertu. 4+6 c
Les Anglais… Sireah ! tout est confondu ; 4+6 c
45 Sireils ont prisAgnès et la Pucelle. » 4+6 a
 A ce proposdit sans ménagement, 4+6 a
Le roi tomba,perdit tout sentiment, 4+6 a
Et de ses sensil ne reprit l'usage 4+6 a
Que pour sentirl'effet de son tourment. 4+6 b
50 Contre un tel coupquiconque a du courage 4+6 a
N'est pas, sans doute,un véritable amant : 4+6 b
Le roi l'était ;un tel événement 4+6 b
Le transpeaitde douleur et de rage. 4+6 a
Ses chevaliersperdirent tous leurs soins 4+6 a
55 A l'arracherà sa douleur cruelle ; 4+6 b
Charles fut prêtd'en perdre la cervelle : 4+6 b
Son père, hélas !devint fou pour bien moins. 4+6 a
« Ah ! cria-t-il,que l'on m'enlève Jeanne, 4+6 a
Mes chevaliers,tous mes gens à soutane, 4+6 a
60 Mon directeuret le peu de pays 4+6 a
Que m'ont laissémes destins ennemis ! 4+6 a
Cruels Anglais,ôte-moi plus encore, 4+6 a
Mais laissez-moice que mon cœur adore. 4+6 a
Amour, Agnès,monarque malheureux ! 4+6 a
65 Que fais-je ici,m'arrachant les cheveux ? 4+6 a
Je l'ai perdue,il faudra que j'en meure ; 4+6 a
Je l'ai perdue,et pendant que je pleure, 4+6 a
Peut-être, hélas !quelque insolent Anglais 4+6 a
A son plaisirsubjugue ses attraits, 4+6 a
70 Nés seulementpour des baisers français. 4+6 a
Une autre boucheà tes lèvres charmantes 4+6 a
Pourrait ravirces faveurs si touchantes ! 4+6 a
Une autre maincaresser tes beautés ! 4+6 a
Un autreô ciel !que de calamités ! 4+6 a
75 Et qui sait même,en ce moment terrible, 4+6 a
A leurs plaisirssi tu n'es pas sensible ? 4+6 a
Qui sait, hélas !si ton tempérament 4+6 a
Ne trahit paston malheureux amant ? » 4+6 a
Le triste roi,de cette incertitude 4+6 a
80 Ne pouvant plussouffrir l'inquiétude, 4+6 a
Va sur ce casconsulter les docteurs, 4+6 a
Nécromanciens,devins, sorboniqueurs, 4+6 a
Juifs, jacobins,quiconque savait lire. 4+6 a
« Messieurs, dit-il,il convient de me dire 4+6 a
85 Si mon Agnèsest fidèle à sa foi, 4+6 a
Si pour moi seulsa belle âme soupire : 4+6 b
Gardez-vous biende tromper votre roi ; 4+6 a
Dites-moi tout ;de tout il faut m'instruire. » 4+6 b
Eux bien payésconsultèrent soudain 4+6 a
90 En grec, hébreu,syriaque, latin : 4+6 a
L'un du roi Charleexamine la main, 4+6 a
L'autre en carrédessine une figure ; 4+6 a
Un autre observeet Vénus, et Mercure ; 4+6 a
Un autre va,son psautier parcourant, 4+6 a
95 Disant amen,et tout bas murmurant ; 4+6 a
Cet autre-ciregarde au fond d'un verre, 4+6 a
Et celui-làfait des cercles à terre : 4+6 a
Car c'est ainsique dans l'antiquité 4+6 a
On a toujourscherché la vérité. 4+6 a
100 Aux yeux du princeils travaillent, ils suent ; 4+6 a
Puis, louant Dieu,tous ensemble ils concluent 4+6 a
Que ce grand roipeut dormir en repos, 4+6 a
Qu'il est le seul,parmi tous les héros, 4+6 a
A qui le ciel,par sa grâce infinie, 4+6 a
105 Daigne octroyerune fidèle amie ; 4+6 a
Qu'Agnès est sage,et fuit tous les amants : 4+6 a
Puis fiez-vousà messieurs les savants ! 4+6 a
 Cet aumônierterrible, inexorable, 4+6 a
Avait saisile moment favorable : 4+6 a
110 Malgré les cris,malgré les pleurs d'Agnès, 4+6 a
Il triomphaitde ses jeunes attraits, 4+6 a
Il ravissaitdes plaisirs imparfaits ; 4+6 a
Transports grossiers,volupté sans tendresse, 4+6 a
Triste unionsans douceur, sans caresse, 4+6 a
115 Plaisirs honteuxqu'Amour ne connt pas : 4+6 a
Car qui voudraittenir entre ses bras 4+6 a
Une beautéqui détourne la bouche, 4+6 a
Qui de ses pleursinonde votre couche ? 4+6 a
Un honnête hommea bien d'autres désirs : 4+6 a
120 Il n'est heureuxqu'en donnant des plaisirs. 4+6 a
Un aumôniern'est pas si difficile ; 4+6 a
Il va piquantsa monture indocile, 4+6 a
Sans s'informersi le jeune tendron 4+6 a
Sous son empirea du plaisir ou non. 4+6 a
125  Le page aimable,amoureux et timide, 4+6 a
Qui dans le bourgétait allé courir, 4+6 b
Pour dignementhonorer et servir 4+6 b
La déitéqui de son sort décide, 4+6 a
Revint enfin.Las ! il revint trop tard. 4+6 a
130 Il entre, il voitle damné de frappart, 4+6 a
Qui, tout en feu,dans sa brutale joie 4+6 a
Se démenaitet dévorait sa proie. 4+6 a
Le beau Monrose,à cet objet fatal, 4+6 a
Le fer en main,vole sur l'animal. 4+6 a
135 Du chapelainl'impudique furie 4+6 a
Cède au besoinde défendre sa vie ; 4+6 a
Du lit il saute,il empoigne un bâton, 4+6 a
Il s'en escrime,il accole le page. 4+6 b
Chacun des deuxest brave champion ; 4+6 a
140 Monrose est pleind'amour et de courage, 4+6 b
Et l'aumônierde luxure et de rage. 4+6 a
 Les gens heureuxqui gtent dans les champs 4+6 b
La douce paixfruit des jours innocents, 4+6 b
Ont vu souvent,près de quelque bocage, 4+6 a
145 Un loup cruel,affamé de carnage, 4+6 a
Qui de ses dentsdéchire la toison 4+6 a
Et boit le sangd'un malheureux mouton. 4+6 a
Si quelque chien,à l'oreille écourtée, 4+6 a
Au cœur superbe,à la gueule endentée, 4+6 a
150 Vient comme un trait,tout prêt à guerroyer, 4+6 a
Incontinentl'animal carnassier 4+6 a
Laisse tomberde sa gueule écumante 4+6 a
Sur le gazonla victime innocente ; 4+6 a
Il court au chien,qui, sur lui s'élançant, 4+6 a
155 A l'ennemilivre un combat sanglant ; 4+6 a
Le loup mordu,tout bouillant de colère, 4+6 a
Croit étranglerson superbe adversaire ; 4+6 a
Et le mouton,palpitant auprès d'eux, 4+6 a
Fait pour le chiende très-sincères vœux. 4+6 a
160 C'était ainsique l'aumônier nerveux, 4+6 a
D'un cœur faroucheet d'un bras formidable, 4+6 a
Se débattaitcontre le page aimable ; 4+6 a
Tandis qu'Agnès,demi-morte de peur, 4+6 a
Restait au lit,digne prix du vainqueur. 4+6 a
165  L'hôte et l'hôtesse,et toute la famille, 4+6 a
Et les valets,et la petite fille, 4+6 a
Montent au bruit ;on se jette entre-deux : 4+6 a
On fit sortitl'aumônier scandaleux ; 4+6 a
Et contre luichacun fut pour le page : 4+6 a
170 Jeunesse et grâceont partout l'avantage. 4+6 a
Le beau Monroseeut donc la liberté 4+6 a
De rester seulauprès de sa beauté ; 4+6 a
Et son rival,hardi dans sa détresse, 4+6 a
Sans s'étonneralla chanter sa messe. 4+6 a
175  Agnès honteuse,Agnès au désespoir 4+6 a
Qu'un sacristainà ce point l't pollue, 4+6 b
Et plus encorqu'un beau page l't vue 4+6 b
Dans le combatindignement vaincue, 4+6 b
Versait des pleurs,et n'osait plus le voir. 4+6 a
180 Elle t vouluque la mort la plus prompte 4+6 a
Fermât ses yeuxet terminât sa honte ; 4+6 a
Elle disait,dans son grand désarroi, 4+6 a
Pour tout discours :« Ah ! monsieur, tuez-moi. 4+6 a
— Qui, vous, mourir !lui répondit Monrose ; 4+6 a
185 Je vous perdrais !ce prêtre en serait cause ! 4+6 a
Ah ! croyez-moi,si vous aviez péché, 4+6 a
Il faudrait vivreet prendre patience : 4+6 b
Est-ce à nous deuxde faire pénitence ? 4+6 b
D'un vain remordsvotre cœur est touché, 4+6 a
190 Divine Agnès :quelle erreur est la vôtre, 4+6 a
De vous punirpour le péché d'un autre ! » 4+6 a
Si son discoursn'était pas éloquent, 4+6 a
Ses yeux l'étaient ;un feu tendre et touchant 4+6 a
Insinuaità la belle attendrie 4+6 a
195 Quelque désirde conserver la vie. 4+6 a
 Fallut dîner :car malgré nos chagrins 4+6 a
(Chétif mortel,j'en ai l'expérience), 4+6 b
Les malheureuxne font point abstinence ; 4+6 b
En enrageanton fait encor bombance ; 4+6 b
200 Voilà pourquoitous ces auteurs divins, 4+6 a
Ce bon Virgile,et ce bavard Homère, 4+6 a
Que tout savant,même en bâillant, révère, 4+6 a
Ne manquent point,au milieu des combats, 4+6 a
L'occasionde parler d'un repas. 4+6 a
205 La belle Agnèsdîna donc tête à tête, 4+6 a
Près de son lit,avec ce page honnête. 4+6 a
Tous deux d'abord,également honteux, 4+6 a
Sur leur assiettearrêtaient leurs beaux yeux ; 4+6 a
Puis enhardistous deux se regardèrent, 4+6 a
210 Et puis enfintous deux ils se lorgnèrent. 4+6 a
 Vous savez bienque dans la fleur des ans, 4+6 a
Quand la santébrille dans tous vos sens, 4+6 a
Qu'un bon dînerfait couler dans vos veines 4+6 a
Des passionsles semences soudaines, 4+6 a
215 Tout votre cœurcède au besoin d'aimer ; 4+6 a
Vous vous sentezdoucement enflammer 4+6 a
D'une chaleurbénigne et pétillante ; 4+6 a
La chair est faible,et le diable vous tente. 4+6 a
 Le beau Monrose,en ces temps dangereux 4+6 a
220 Ne pouvant pluscommander à ses feux, 4+6 a
Se jette aux piedsde la belle éplorée : 4+6 a
« O cher objet !ô mtresse adorée ! 4+6 a
C'est à moi seuldésormais de mourir ; 4+6 a
Ayez pitiéd'un cœur soumis et tendre : 4+6 b
225 Quoi ! mon amourne saurait obtenir 4+6 a
Ce qu'un barbarea bien osé vous prendre ! 4+6 b
Ah ! si le crimea pu le rendre heureux, 4+6 a
Que devez-vousà l'amour vertueux ! 4+6 a
C'est lui qui parle,et vous devez l'entendre. » 4+6 a
230 Cet argumentparaissait assez bon ; 4+6 b
Agnès sentitle poids de la raison. 4+6 b
Une heure encoreelle osa se défendre ; 4+6 a
Elle voulutreculer son bonheur, 4+6 a
Pour accorderle plaisir et l'honneur, 4+6 a
235 Sachant très-bienqu'un peu de résistance 4+6 a
Vaut encor mieuxque trop de complaisance. 4+6 a
Monrose enfin,Monrose fortuné 4+6 a
Eut tous les droitsd'un amant couronné ; 4+6 a
Du vrai bonheuril eut la jouissance. 4+6 a
240 Du prince Anglaisla gloire et la puissance 4+6 a
Ne s'étendaitque sur des rois vaincus, 4+6 b
Le fier Henrin'avait pris que la France, 4+6 a
Le lot du pageétait bien au-dessus. 4+6 b
 Mais que la joieest trompeuse et légère ! 4+6 a
245 Que le bonheurest chose passagère ! 4+6 a
Le charmant pageà peine avait gté 4+6 a
De ce torrentde pure volupté, 4+6 a
Que des Anglaisarrive une cohorte. 4+6 a
On monte, on entre,on enfonce la porte. 4+6 a
250 Couple enivréde caresses d'amour, 4+6 a
C'est l'aumônierqui vous joua ce tour. 4+6 a
Le douce Agnès,de crainte évanouie, 4+6 a
Avec Monroseest aussitôt saisie ; 4+6 a
C'est à Chandoson prétend les mener. 4+6 a
255 A quoi Chandosva-t-il les condamner ? 4+6 a
Tendres amants,vous craignez sa vengeance ; 4+6 a
Vous savez troppar votre expérience, 4+6 a
Que cet Anglaisest sans compassion. 4+6 a
Dans leurs beaux yeuxest la confusion ; 4+6 a
260 Le désespoirles presse et les dévore ; 4+6 a
Et cependantils se lorgnaient encore : 4+6 a
Ils rougissaientde s'être faits heureux ; 4+6 a
A Jean Chandosque diront-ils tous deux ? 4+6 a
Dans le cheminadvint que de fortune 4+6 a
265 Ce corps anglaisrencontra sur la brune 4+6 a
Vingt chevaliersqui pour Charles tenaient, 4+6 a
Et qui de nuiten ces quartiers rôdaient, 4+6 a
Pour découvrirsi l'on avait nouvelle 4+6 a
Touchant Agnès,et touchant la Pucelle. 4+6 a
270  Quand deux mâtins,deux coqs et deux amants, 4+6 a
Nez contre nez,se rencontrent aux champs ; 4+6 a
Lorsqu'un suppôtde la grâce efficace 4+6 a
Trouve un cou torsde l'école d'Ignace ; 4+6 a
Quand un enfantde Luther ou Calvin 4+6 a
275 Voit par hasardun prêtre ultramontain, 4+6 a
Sans perdre tempsun grand combat commence, 4+6 a
A coups de gueule,ou de plume, ou de lance. 4+6 a
Semblablementles gendarmes de France, 4+6 a
Tout du plus loinqu'ils virent les Bretons, 4+6 a
280 Fondent dessus,légers comme faucons. 4+6 a
Les gens anglaissont gens qui se défendent ; 4+6 a
Mille beaux coupsse donnent et se rendent. 4+6 a
Le fier coursierqui notre Agnès portait 4+6 a
Était actif,jeune, fringant comme elle ; 4+6 b
285 Il se cabrait,il ruait, il tournait ; 4+6 a
Après allait,sautillant sur la selle. 4+6 b
Bientôt au bruitdes cruels combattants 4+6 a
Il s'effarouche,il prend le mord aux dents. 4+6 a
Agnès en vainveut d'une main timide 4+6 a
290 Le gouvernerdans sa course rapide ; 4+6 a
Elle est trop faible :il lui fallut enfin 4+6 a
A son chevalremettre son destin. 4+6 a
 Le beau Monrose,au fort de la mêlée, 4+6 a
Ne peut savoir sa nymphe est allée ; 4+6 a
295 Le coursier voleaussi prompt que le vent ; 4+6 a
Et sans relâcheayant couru six mille, 4+6 b
Il s'arrêtadans un vallon tranquille 4+6 b
Tout vis-à-visla porte d'un couvent. 4+6 a
Un bois étaitprès de ce monastère : 4+6 a
300 Auprès du boisune onde vive et claire 4+6 a
Fuit et revient,et par de longs détours 4+6 a
Parmi des fleurs,elle poursuit son cours. 4+6 a
Plus loin s'élèveune colline verte, 4+6 a
A chaque automneenrichie et couverte 4+6 a
305 Des doux présentsdont Noé nous dota, 4+6 b
Lorsqu'à la finson grand coffre il quitta, 4+6 b
Pour réparerdu genre humain la perte, 4+6 a
Et que, lassédu spectacle de l'eau, 4+6 a
Il fit du vinpar un art tout nouveau. 4+6 a
310 Flore et Pomone,et la féconde haleine 4+6 a
Des doux zéphyrsparfument ces beaux champs ; 4+6 b
Sans se lasser,l'œil charmé s'y promène. 4+6 a
Le paradisde nos premiers parents 4+6 b
N'avait point eude vallons plus riants, 4+6 b
315 Plus fortunés ;et jamais la nature 4+6 a
Ne fut plus belle,et plus riche et plus pure. 4+6 a
L'air qu'on respireen ces lieux écartés 4+6 a
Porte la paixdans les cœurs agités, 4+6 a
Et, des chagrinscalmant l'inquiétude, 4+6 a
320 Fait aux mondainsaimer la solitude. 4+6 a
 Au bord de l'ondeAgnès se reposa, 4+6 a
Sur le couventses deux beaux yeux fixa, 4+6 a
Et de ses sensle trouble s'apaisa. 4+6 a
C'était, lecteur,un couvent de nonnettes. 4+6 a
325 « Ah ! dit Agnès,adorables retraites ! 4+6 a
Lieux le ciela versé ses bienfaits ! 4+6 a
Séjour heureuxd'innocence et de paix ! 4+6 a
Hélas ! du ciella faveur infinie 4+6 b
Peut-être icime conduit tout exprès, 4+6 a
330 Pour y pleurerles erreurs de ma vie. 4+6 b
De chastes sœurs,épouses de leur Dieu, 4+6 a
De leurs vertusembaument ce beau lieu ; 4+6 a
Et moi, fameuseentre les pécheresses, 4+6 a
J'ai consumémes jours dans les faiblesses. » 4+6 a
335 Agnès ainsi,parlant à haute voix, 4+6 a
Sur le portailapeut une croix : 4+6 a
Elle adora,d'humilité profonde, 4+6 a
Ce signe heureuxdu salut de ce monde ; 4+6 a
Et, se sentantquelque componction, 4+6 a
340 Elle comptaits'en aller à confesse ; 4+6 b
Car de l'amourà la dévotion 4+6 a
Il n'est qu'un pas ;l'un et l'autre est faiblesse. 4+6 b
 Or du moutierla vénérable abbesse 4+6 b
Depuis deux joursétait allée à Blois, 4+6 a
345 Pour du couventy soutenir les droits. 4+6 a
Ma sœur Besogneavait en son absence 4+6 a
Du saint troupeaula bénigne intendance. 4+6 a
Elle accourutau plus vite au parloir, 4+6 a
Puis fit ouvrirpour Agnès recevoir. 4+6 a
350 « Entrez, dit-elle,aimable voyageuse ; 4+6 a
Quel bon patron,quelle fête joyeuse 4+6 a
Peut ameneraux pieds de nos autels 4+6 a
Cette beautédangereuse aux mortels ? 4+6 a
Seriez-vous pointquelque ange ou quelque sainte 4+6 a
355 Qui des hauts cieuxabandonne l'enceinte, 4+6 a
Pour ici-basnous faire la faveur 4+6 a
De consolerles filles du Seigneur ? » 4+6 a
 Agnès répond :« C'est pour moi trop d'honneur. 4+6 a
Je suis, ma sœur,une pauvre mondaine ; 4+6 a
360 De grands péchésmes beaux jours sont ourdis ; 4+6 b
Et si jamaisje vais en paradis, 4+6 b
Je n'y seraisqu'auprès de Magdeleine. 4+6 a
De mon destinle caprice fatal, 4+6 a
Dieu, mon bon ange,et surtout mon cheval, 4+6 a
365 Ne sais comment,en ces lieux m'ont portée. 4+6 a
De grands remordsmon âme est agitée ; 4+6 a
Mon cœur n'est pointdans le crime endurci ; 4+6 a
J'aime le bien,j'en ai perdu la trace, 4+6 b
Je la retrouve,et je sens que la grâce 4+6 b
370 Pour mon salutveut que je couche ici. » 4+6 a
 Ma sœur Besogne,avec douceur prudente, 4+6 a
Encourageala belle pénitente : 4+6 a
Et, de la grâceexaltant les attraits, 4+6 a
Dans sa celluleelle conduit Agnès ; 4+6 a
375 Cellule propreet bien illuminée, 4+6 a
Pleine de fleurs,et galamment ornée, 4+6 a
Lit ample et doux :on dirait que l'Amour 4+6 a
A de ses mainsarrangé ce séjour. 4+6 a
Agnès tout baslouant la Providence, 4+6 a
380 Vit qu'il est douxde faire pénitence. 4+6 a
 Après souper(car je n'omettrai point 4+6 a
Dans mes récitsce noble et digne point), 4+6 a
Besogne dità la belle étrangère : 4+6 a
« Il est nuit close,et vous savez, ma chère, 4+6 a
385 Que c'est le temps les esprits malins 4+6 a
Rôdent partout,et vont tenter les saints. 4+6 a
Il nous faut faireune œuvre profitable ; 4+6 a
Couchons ensemble,afin que si le diable 4+6 a
Veut contre nousfaire ici quelque effort, 4+6 a
390 Nous trouvant deux,le diable en soit moins fort. » 4+6 a
La dame erranteaccepta la partie : 4+6 a
Elle se couche,et croit faire œuvre pie, 4+6 a
Croit qu'elle est sainte,et que le ciel l'absout ; 4+6 a
Mais son destinla poursuivait partout. 4+6 a
395  Puis-je au lecteurraconter sans vergogne 4+6 a
Ce que c'étaitque cette sœur Besogne ? 4+6 a
Il faut le dire,il faut tout publier. 4+6 a
Ma sœur Besogneétait un bachelier 4+6 a
Qui d'un Herculeeut la force en partage 4+6 a
400 Et d'Adonisle gracieux visage, 4+6 a
N'ayant encorque vingt ans et demi, 4+6 a
Blanc comme lait,et frais comme rosée. 4+6 b
La dame abbesse,en personne avisée, 4+6 b
En avait faitdepuis peu son ami. 4+6 a
405 Sœur bacheliervivait dans l'abbaye, 4+6 a
En cultivantson ouaille jolie : 4+6 a
Ainsi qu'Achille,en fille déguisé, 4+6 b
Chez Lycomèdeétait favorisé 4+6 b
Des doux baisersde sa Déidamie. 4+6 a
410  La pénitenteétait à peine au lit, 4+6 a
Avec sa sœur,soudain elle sentit 4+6 a
Dans la nonnainmétamorphose étrange. 4+6 a
Assurémentelle gagnait au change. 4+6 a
Crier, se plaindre,éveiller le couvent, 4+6 a
415 N'aurait étéqu'un scandale imprudent. 4+6 a
Souffrir en paix,soupirer et se taire, 4+6 a
Se résignerest tout ce qu'on peut faire ; 4+6 a
Puis rarementen telle occasion 4+6 a
On a le tempsde la réflexion. 4+6 a
420 Quand sœur Besogneà sa fureur claustrale 4+6 a
(Car on se lasse) eut mis quelque intervalle, 4+6 a
La belle Agnès,non sans contrition, 4+6 a
Fit en secretcette réflexion : 4+6 a
« C'est donc en vainque j'eus toujours en tête 4+6 a
425 Le beau projetd'être une femme honnête ; 4+6 a
C'est donc en vainque l'on fait ce qu'on peut : 4+6 a
N'est pas toujoursfemme de bien qui veut. » 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
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