Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VOL_2/VOL23
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
La Pucelle d'Orléans
1752
CHANT II
Argument
Jeanne, armée par saint Denys, va trouver Charles VII à Tours ; ce qu'elle fit en chemin, et comment elle eut son brevet de pucelle.
Heureux cent fois qui trouve un pucelage ! 4+6 a
C'est un grand bien ; mais de toucher un cœur 4+6 b
Est, à mon sens, le plus cher avantage. 4+6 a
Se voir aimé, c'est là le vrai bonheur. 4+6 b
5 Qu'importe, hélas ! d'arracher une fleur ? 4+6 b
C'est à l'amour à nous cueillir la rose. 4+6 a
De très-grands clercs ont gâté par leur glose 4+6 a
Un si beau texte ; ils ont cru faire voir 4+6 a
Que le plaisir n'est point dans le devoir. 4+6 a
10 Je veux contre eux faire un jour un beau livre ; 4+6 a
J'enseignerai le grand art de bien vivre ; 4+6 a
Je montrerai qu'en réglant nos désirs, 4+6 a
C'est du devoir que viennent nos plaisirs. 4+6 a
Dans cette honnête et savante entreprise, 4+6 a
15 Du haut des cieux saint Denys m'aidera ; 4+6 b
Je l'ai chanté, sa main me soutiendra. 4+6 b
En attendant, il faut que je vous dise 4+6 a
Quel fut l'effet de sa sainte entremise. 4+6 a
Vers les confins du pays champenois, 4+6 a
20 Où cent poteaux, marqués de trois merlettes, 4+6 b
Disaient aux gens : « En Lorraine vous êtes, » 4+6 b
Est un vieux bourg, peu fameux autrefois ; 4+6 a
Mais il mérite un grand nom dans l'histoire, 4+6 c
Car de lui vient le salut et la gloire 4+6 c
25 Des fleurs de lis et du peuple gaulois. 4+6 a
De Domremi chantons tous le village ; 4+6 a
Faisons passer son beau nom d'âge en âge. 4+6 a
O Domremi ! tes pauvres environs 4+6 a
N'ont ni muscats, ni pêches, ni citrons, 4+6 a
30 Ni mine d'or, ni bon vin qui nous damne ; 4+6 a
Mais c'est à toi que la France doit Jeanne. 4+6 a
Jeanne y naquit : certain curé du lieu, 4+6 a
Faisant partout des serviteurs à Dieu, 4+6 a
Ardent au lit, à table, à la prière, 4+6 a
35 Moine autrefois, de Jeanne fut le père ; 4+6 a
Une robuste et grasse chambrière 4+6 a
Fut l'heureux moule où ce pasteur jeta 4+6 a
Cette beauté, qui les Anglais dompta. 4+6 a
Vers les seize ans, en une hôtellerie 4+6 a
40 On l'engagea pour servir l'écurie, 4+6 a
A Vaucouleurs ; et déjà de son nom 4+6 a
La renommée remplissait le canton. 4+6 a
Son air est fier, assuré, mais honnête ; 4+6 a
Ses grands yeux noirs brillent à fleur de tête ; 4+6 a
45 Trente-deux dents d'une égale blancheur 4+6 a
Sont l'ornement de sa bouche vermeille, 4+6 b
Qui semble aller de l'une à l'autre oreille, 4+6 b
Mais bien bordée et vive en sa couleur, 4+6 a
Appétissante, et fraîche par merveille. 4+6 b
50 Ses tetons bruns, mais fermes comme un roc, 4+6 a
Tentent la robe, et le casque, et le froc. 4+6 a
Elle est active, adroite, vigoureuse, 4+6 a
Et d'une main potelée et nerveuse 4+6 a
Soutient fardeaux, verse cent brocs de vin, 4+6 a
55 Sert le bourgeois, le noble, et le robin ; 4+6 a
Chemin faisant, vingt soufflets distribue 4+6 a
Aux étourdis dont l'indiscrète main 4+6 b
Va tâtonnant sa cuisse ou gorge nue ; 4+6 a
Travaille et rit du soir jusqu'au matin, 4+6 b
60 Conduit chevaux, les panse, abreuve, étrille ; 4+6 c
Et les pressant de sa cuisse gentille, 4+6 c
Les monte à cru comme un soldat romain. 4+6 b
O profondeur ! ô divine sagesse ! 4+6 a
Que tu confonds l'orgueilleuse faiblesse 4+6 a
65 De tous ces grands si petits à tes yeux ! 4+6 a
Que les petits sont grands quand tu le veux ! 4+6 a
Ton serviteur Denys le bienheureux 4+6 a
N'alla rôder au palais des princesses, 4+6 a
N'alla chez vous, mesdames les duchesses ; 4+6 a
70 Denys courut, amis, qui le croirait ? 4+6 a
Chercher l'honneur, où ? dans un cabaret. 4+6 a
Il était temps que l'apôtre de France 4+6 a
Envers sa Jeanne usât de diligence. 4+6 a
Le bien public était en grand hasard. 4+6 a
75 De Satanas la malice est connue ; 4+6 b
Et, si le saint fût arrivé plus tard 4+6 a
D'un seul moment, la France était perdue. 4+6 b
Un cordelier qu'on nommait Grisbourdon, 4+6 a
Avec Chandos arrivé d'Albion, 4+6 a
80 Était alors dans cette hôtellerie ; 4+6 a
Il aimait Jeanne autant que sa patrie. 4+6 a
C'était l'honneur de la pénaillerie ; 4+6 a
De tous côtés allant en mission ; 4+6 b
Prédicateur, confesseur, espion ; 4+6 b
85 De plus, grand clerc en la sorcellerie, 4+6 a
Savant dans l'art en Égypte sacré, 4+6 a
Dans ce grand art cultivé chez les mages, 4+6 b
Chez les Hébreux, chez les antiques sages, 4+6 b
De nos savants dans nos jours ignoré. 4+6 a
90 Jours malheureux ! tout est dégénéré. 4+6 a
En feuilletant ses livres de cabale, 4+6 a
Il vit qu'aux siens Jeanne serait fatale, 4+6 a
Qu'elle portait dessous son court jupon 4+6 a
Tout le destin d'Angleterre et de France. 4+6 b
95 Encouragé par la noble assistance 4+6 b
De son génie, il jura son cordon, 4+6 a
Son Dieu, son diable, et saint François d'Assise 4+6 a
Qu'à ses vertus Jeanne serait soumise, 4+6 a
Qu'il saisirait ce beau palladion. 4+6 b
100 Il s'écriait en faisant l'oraison : 4+6 b
« Je servirai ma patrie et l'Église ; 4+6 a
Moine et Breton, je dois faire le bien 4+6 a
De mon pays, et plus encor le mien. » 4+6 a
Au même temps un ignorant, un rustre, 4+6 a
105 Lui disputait cette conquête illustre : 4+6 a
Cet ignorant valait un cordelier, 4+6 a
Car vous saurez qu'il était muletier ; 4+6 a
Le jour, la nuit, offrant sans fin, sans terme, 4+6 a
Son lourd service et l'amour le plus ferme. 4+6 a
110 L'occasion, la douce égalité, 4+6 a
Faisaient pencher Jeanne de son côté ; 4+6 a
Mais sa pudeur triomphait de la flamme 4+6 a
Qui par les yeux se glissait dans son âme. 4+6 a
Le Grisbourdon vit sa naissante ardeur : 4+6 a
115 Mieux qu'elle encore il lisait dans son cœur. 4+6 a
Il vint trouver ce rival si terrible ; 4+6 a
Puis il lui tint ce discours très-plausible : 4+6 a
« Puissant héros, qui passez au besoin 4+6 a
Tous les mulets commis à votre soin, 4+6 a
120 Vous méritez, sans doute, la pucelle ; 4+6 a
Elle a mon cœur comme elle a tous vos vœux ; 4+6 b
Rivaux ardents, nous nous craignons tous deux, 4+6 b
Et comme vous je suis amant fidèle. 4+6 a
Çà, partageons, et, rivaux sans querelle, 4+6 a
125 Tâtons tous deux de ce morceau friand 4+6 b
Qu'on pourrait perdre en se le disputant. 4+6 b
Conduisez-moi vers le lit de la belle ; 4+6 a
J'évoquerai le démon du dormir ; 4+6 c
Ses doux pavots vont soudain l'assoupir ; 4+6 c
130 Et tour à tour nous veillerons pour elle. » 4+6 a
Incontinent le père au grand cordon 4+6 a
Prend son grimoire, évoque le démon 4+6 a
Qui de Morphée eut autrefois le nom. 4+6 a
Ce pesant diable est maintenant en France : 4+6 a
135 Vers le matin, lorsque nos avocats 4+6 b
Vont s'enrouer à commenter Cujas, 4+6 b
Avec messieurs il ronfle à l'audience ; 4+6 a
L'après-dînée il assiste aux sermons 4+6 c
Des apprentis dans l'art de Massillon, 4+6 c
140 A leur trois points, à leurs citations 4+6 c
Aux lieux communs de leur belle éloquence ; 4+6 a
Dans le parterre il vient bâiller le soir. 4+6 a
Aux cris du moine il monte en son char noir, 4+6 a
Par deux hiboux traîné dans la nuit sombre. 4+6 a
145 Dans l'air il glisse, et doucement fend l'ombre. 4+6 a
Les yeux fermés, il arrive en bâillant, 4+6 a
Se met sur Jeanne, et tâtonne, et s'étend ; 4+6 a
Et secouant son pavot narcotique, 4+6 a
Lui souffle au sein vapeur soporifique. 4+6 a
150 Tel on nous dit que le moine Girard, 4+6 a
En confessant la gentille Cadière, 4+6 b
Insinuait de son souffle paillard 4+6 a
De diabloteaux une ample fourmilière. 4+6 b
Nos deux galants, pendant ce doux sommeil, 4+6 a
155 Aiguillonnés du démon du réveil, 4+6 a
Avaient de Jeanne ôté la couverture. 4+6 a
Déjà trois dés, roulant sur son beau sein, 4+6 b
Vont décider, au jeu de saint Guilain, 4+6 b
Lequel des deux doit tenter l'aventure, 4+6 a
160 Le moine gagne ; un sorcier est heureux : 4+6 a
Le Grisbourdon se saisit des enjeux ; 4+6 a
Il fond sur Jeanne. O soudaine merveille ! 4+6 a
Denys arrive, et Jeanne se réveille. 4+6 a
O Dieu ! qu'un saint fait trembler tout pécheur ! 4+6 a
165 Nos deux rivaux se renversent de peur. 4+6 a
Chacun d'eux fuit, emportant dans le cœur 4+6 a
Avec la crainte un désir de mal faire. 4+6 a
Vous avez vu, sans doute, un commissaire 4+6 a
Cherchant de nuit un couvent de Vénus ; 4+6 a
170 Un jeune essaim de tendrons demi-nus 4+6 a
Saute du lit, s'esquive, se dérobe 4+6 b
Aux yeux hagards du noir pédant en robe : 4+6 b
Ainsi fuyaient mes paillards confondus. 4+6 a
Denys s'avance et réconforte Jeanne, 4+6 a
175 Tremblante encor de l'attentat profane ; 4+6 a
Puis il lui dit : « Vase d'élection, 4+6 a
Le Dieu des rois, par tes mains innocentes, 4+6 b
Veut des Français venger l'oppression, 4+6 a
Et renvoyer dans les champs d'Albion 4+6 a
180 Des fiers Anglais les cohortes sanglantes. 4+6 b
Dieu fait changer, d'un souffle tout-puissant, 4+6 a
Le roseau frêle en cèdre du Liban, 4+6 a
Sécher les mers, abaisser les collines, 4+6 a
Du monde entier réparer les ruines. 4+6 a
185 Devant tes pas la foudre grondera ; 4+6 a
Autour de toi la terreur volera, 4+6 a
Et tu verras l'ange de la victoire 4+6 a
Ouvrir pour toi les sentiers de la gloire. 4+6 a
Suis-moi, renonce à tes humbles travaux ; 4+6 a
190 Viens placer Jeanne au nombre des héros. » 4+6 a
A ce discours terrible et pathétique, 4+6 a
Très-consolant et très-théologique, 4+6 a
Jeanne étonnée, ouvrant un large bec, 4+6 a
Crut quelque temps que l'on lui parlait grec. 4+6 a
195 La grâce agit : cette augustine grâce 4+6 a
Dans son esprit porte un jour efficace. 4+6 a
Jeanne sentit dans le fond de son cœur 4+6 a
Tous les élans d'une sublime ardeur. 4+6 a
Non, ce n'est plus Jeanne la chambrière ; 4+6 a
200 C'est un héros, c'est une âme guerrière. 4+6 a
Tel un bourgeois humble, simple, grossier, 4+6 a
Qu'un vieux richard a fait son héritier, 4+6 a
En un palais fait changer sa chaumière : 4+6 a
Son air honteux devient démarche fière ; 4+6 a
205 Les grands surpris admirent sa hauteur, 4+6 a
Et les petits l'appellent monseigneur. 4+6 a
Telle plutôt cette heureuse grisette 4+6 a
Que la nature ainsi que l'art forma 4+6 b
Pour le sérail ou bien pour l'Opéra, 4+6 b
210 Qu'une maman avisée et discrète 4+6 a
Au noble lit d'un fermier éleva, 4+6 c
Et que l'Amour, d'une main plus adrète, 4+6 a
Sous un monarque entre deux draps plaça. 4+6 c
Sa vive allure est un vrai port de reine, 4+6 a
215 Ses yeux fripons s'arment de majesté, 4+6 b
Sa voix a pris le ton de souveraine, 4+6 a
Et sur son rang son esprit s'est monté. 4+6 b
Or pour hâter leur auguste entreprise, 4+6 a
Jeanne et Denys s'en vont droit à l'église. 4+6 a
220 Lors apparut dessus le maître autel 4+6 b
(Fille de Jean ! quelle fut ta surprise !) 4+6 a
Un beau harnois tout frais venu du ciel. 4+6 b
Des arsenaux du terrible empyrée, 4+6 c
En cet instant, par l'archange Michel 4+6 b
225 La noble armure avait été tirée. 4+6 c
On y voyait l'armet de Débora ; 4+6 a
Ce clou pointu, funeste à Sisara ; 4+6 a
Le caillou rond, dont un berger fidèle 4+6 a
De Goliath entama la cervelle ; 4+6 a
230 Cette mâchoire avec quoi combattit 4+6 b
Le fier Samson qui ses cordes rompit 4+6 b
Lorsqu'il se vit vendu par sa donzelle ; 4+6 a
Le coutelet de la belle Judith, 4+6 a
Cette beauté si galamment perfide, 4+6 b
235 Qui, pour le ciel saintement homicide, 4+6 b
Son cher amant massacra dans son lit. 4+6 a
A ces objets la sainte émerveillée, 4+6 a
De cette armure est bientôt habillée ; 4+6 a
Elle vous prend et casque et corselet, 4+6 a
240 Brassards, cuissards, baudrier, gantelet, 4+6 a
Lance, clou, dague, épieu, caillou, mâchoire, 4+6 a
Marche, s'essaye, et brûle pour la gloire. 4+6 a
Toute héroïne a besoin d'un coursier ; 4+6 a
Jeanne en demande au triste muletier : 4+6 a
245 Mais aussitôt un âne se présente, 4+6 a
Au beau poil gris, à la voix éclatante, 4+6 a
Bien étrillé, sellé, bridé, ferré, 4+6 a
Portant arçons avec chanfrein doré, 4+6 a
Caracolant, du pied frappant la terre, 4+6 a
250 Comme un coursier de Thrace ou d'Angleterre. 4+6 a
Ce beau grison deux ailes possédait 4+6 a
Sur son échine, et souvent s'en servait. 4+6 a
Ainsi Pégase, au haut des deux collines, 4+6 a
Portait jadis neuf pucelles divines ; 4+6 a
255 Et l'hippogriffe, à la lune volant, 4+6 a
Portait Astolphe au pays de saint Jean. 4+6 a
Mon cher lecteur veut connaître cet âne, 4+6 b
Qui vint alors offrir sa croupe à Jeanne : 4+6 b
Il le saura, mais dans un autre chant. 4+6 a
260 Je l'avertis cependant qu'il révère 4+6 a
Cet âne heureux qui n'est pas sans mystère. 4+6 a
Sur son grison Jeanne a déjà sauté ; 4+6 a
Sur son rayon Denys est remonté : 4+6 a
Tous deux s'en vont vers les rives de Loire 4+6 a
265 Porter au roi l'espoir de la victoire. 4+6 a
L'âne tantôt trotte d'un pied léger, 4+6 a
Tantôt s'élève et fend les champs de l'air. 4+6 a
Le cordelier, toujours plein de luxure, 4+6 b
Un peu remis de sa triste aventure, 4+6 b
270 Usant enfin de ses droits de sorcier, 4+6 a
Change en mulet le pauvre muletier, 4+6 a
Monte dessus, chevauche, pique et jure 4+6 b
Qu'il suivra Jeanne au bout de la nature. 4+6 b
Le muletier, en son mulet caché, 4+6 a
275 Bât sur le dos, crut gagner au marché ; 4+6 a
Et du vilain l'âme terrestre et crasse 4+6 a
A peine vit qu'elle eût changé de place. 4+6 a
Jeanne et Denys s'en allaient donc vers Tours 4+6 a
Chercher ce roi plongé dans les amours. 4+6 a
280 Près d'Orléans comme ensemble ils passèrent, 4+6 a
L'ost des Anglais de nuit ils traversèrent. 4+6 a
Ces fiers Bretons, ayant bu tristement, 4+6 a
Cuvaient leur vin, dormaient profondément. 4+6 a
Tout était ivre, et goujats et vedettes ; 4+6 a
285 On n'entendait ni tambours ni trompettes : 4+6 a
L'un dans sa tente était couché tout nu, 4+6 a
L'autre ronflait sur son page étendu. 4+6 a
Alors Denys, d'une voix paternelle, 4+6 a
Tint ces propos tout bas à la pucelle : 4+6 a
290 « Fille de bien, tu sauras que Nisus, 4+6 a
Étant un soir aux tentes de Turnus, 4+6 a
Bien secondé de son cher Euryale, 4+6 b
Rendit la nuit aux Rutulois fatale. 4+6 b
Le même advint au quartier de Rhésus, 4+6 a
295 Quand la valeur du preux fils de Tydée, 4+6 a
Par la nuit noire et par Ulysse aidée, 4+6 a
Sut envoyer, sans danger, sans effort, 4+6 a
Tant de Troyens du sommeil à la mort. 4+6 a
Tu peux jouir de semblable victoire. 4+6 a
300 Parle, dis-moi, veux-tu de cette gloire ? » 4+6 a
Jeanne lui dit : « Je n'ai point lu l'histoire ; 4+6 a
Mais je serais de courage bien bas, 4+6 a
De tuer gens qui ne combattent pas. » 4+6 a
Disant ces mots, elle avise une tente 4+6 a
305 Que les rayons de la lune brillante 4+6 a
Faisaient paraître à ses yeux éblouis 4+6 a
Tente d'un chef ou d'un jeune marquis. 4+6 a
Cent gros flacons remplis d'un vin exquis 4+6 a
Sont tout auprès. Jeanne avec assurance 4+6 b
310 D'un grand pâté prend les vastes débris, 4+6 a
Et boit six coups avec monsieur Denys, 4+6 a
A la santé de son bon roi de France. 4+6 b
La tente était celle de Jean Chandos, 4+6 a
Fameux guerrier, qui dormait sur le dos. 4+6 a
315 Jeanne saisit sa redoutable épée, 4+6 a
Et sa culotte en velours découpée. 4+6 a
Ainsi jadis David, aimé de Dieu, 4+6 a
Ayant trouvé Saül en certain lieu, 4+6 a
Et lui pouvant ôter très-bien la vie, 4+6 a
320 De sa chemise il lui coupa partie, 4+6 a
Pour faire voir à tous les potentats 4+6 a
Ce qu'il put faire et ce qu'il ne fit pas. 4+6 a
Près de Chandos était un jeune page 4+6 a
De quatorze ans, mais charmant pour son âge, 4+6 a
325 Lequel montrait deux globes faits au tour, 4+6 a
Qu'on aurait pris pour ceux du tendre Amour. 4+6 a
Non loin du page était une écritoire, 4+6 a
Dont se servait le jeune homme après boire, 4+6 a
Quand tendrement quelques vers il faisait 4+6 a
330 Pour la beauté qui son cœur séduisait. 4+6 a
Jeanne prend l'encre, et sa main lui dessine 4+6 a
Trois fleurs de lis juste dessous l'échine ; 4+6 a
Présage heureux du bonheur des Gaulois, 4+6 a
Et monument de l'amour de ses rois. 4+6 a
335 Le bon Denys voyait, se pâmant d'aise, 4+6 a
Les lis français sur une fesse anglaise. 4+6 a
Qui fut penaud le lendemain matin ? 4+6 a
Ce fut Chandos, ayant cuvé son vin ; 4+6 a
Car s'éveillant, il vit sur ce beau page 4+6 a
340 Les fleurs de lis. Plein d'une juste rage, 4+6 a
Il crie alerte, il croit qu'on le trahit ; 4+6 a
A son épée il court auprès du lit ; 4+6 a
Il cherche en vain, l'épée est disparue ; 4+6 a
Point de culotte ; il se frotte la vue, 4+6 a
345 Il gronde, il crie, et pense fermement 4+6 a
Que le grand diable est entré dans le camp. 4+6 a
Ah ! qu'un rayon de soleil, et qu'un âne, 4+6 a
Cet âne ailé qui sur son dos à Jeanne, 4+6 a
Du monde entier feraient bientôt le tour ! 4+6 a
350 Jeanne et Denys arrivent à la cour. 4+6 a
Le doux prélat sait par expérience 4+6 a
Qu'on est railleur à cette cour de France. 4+6 a
Il se souvient des propos insolents 4+6 a
Que Richemont lui tint dans Orléans, 4+6 a
355 Et ne veut plus à pareille aventure 4+6 a
D'un saint évêque exposer la figure. 4+6 a
Pour son honneur il prit un nouveau tour ; 4+6 b
Il s'affubla de la triste encolure 4+6 a
Du bon Roger, seigneur de Baudricour, 4+6 b
360 Preux chevalier et ferme catholique, 4+6 c
Hardi parleur, loyal et véridique ; 4+6 c
Malgré cela, pas trop mal à la cour. 4+6 b
« Eh ! jour de dieu ! dit-il, parlant au prince, 4+6 a
Vous languissez au fond d'une province, 4+6 a
365 Esclave roi, par l'Amour enchaîné ! 4+6 a
Quoi ! votre bras indignement repose ! 4+6 b
Ce front royal, ce front n'est couronné 4+6 a
Que de tissus et de myrte et de rose ! 4+6 b
Et vous laissez vos cruels ennemis, 4+6 a
370 Rois dans la France et sur le trône assis ! 4+6 a
Allez mourir, ou faites la conquête 4+6 a
De vos États ravis par ces mutins : 4+6 b
Le diadème est fait pour votre tête, 4+6 a
Et les lauriers n'attendent que vos mains. 4+6 b
375 Dieu, dont l'esprit allume mon courage ; 4+6 a
Dieu, dont ma voix annonce le langage, 4+6 a
De sa faveur est prêt à vous couvrir. 4+6 a
Osez le croire, osez vous secourir : 4+6 a
Suivez du moins cette auguste amazone ; 4+6 a
380 C'est votre appui, c'est le soutien du trône ; 4+6 a
C'est par son bras que le maître des rois 4+6 a
Veut rétablir nos princes et nos lois. 4+6 a
Jeanne avec vous chassera la famille 4+6 a
De cet Anglais si terrible et si fort : 4+6 b
385 Devenez homme ; et, si c'est votre sort 4+6 b
D'être à jamais mené par une fille, 4+6 a
Fuyez au moins celle qui vous perdit, 4+6 a
Qui votre cœur dans ses bras amollit ; 4+6 a
Et, digne enfin de ce secours étrange, 4+6 a
390 Suivez les pas de celle qui vous venge. » 4+6 a
L'amant d'Agnès eut toujours dans le cœur, 4+6 a
Avec l'amour, un très-grand fond d'honneur. 4+6 a
Du vieux soldat le discours pathétique 4+6 a
A dissipé son sommeil léthargique, 4+6 a
395 Ainsi qu'un ange, un jour, du haut des airs, 4+6 a
De sa trompette ébranlant l'univers, 4+6 a
Rouvrant la tombe, animant la poussière, 4+6 a
Rappellera les morts à la lumière. 4+6 a
Charle éveillé, Charle bouillant d'ardeur, 4+6 a
400 Ne lui répond qu'en s'écriant : « Aux armes ! » 4+6 b
Les seuls combats à ses yeux ont des charmes. 4+6 b
Il prend sa pique, il brûle de fureur. 4+6 a
Bientôt après la première chaleur 4+6 a
De ces transports où son âme est en proie, 4+6 b
405 Il voulut voir si celle qu'on envoie 4+6 b
Vient de la part du diable ou du Seigneur, 4+6 a
Ce qu'il doit croire, et si ce grand prodige 4+6 a
Est en effet ou miracle ou prestige. 4+6 a
Donc se tournant vers la fière beauté, 4+6 a
410 Le roi lui dit d'un ton de majesté 4+6 a
Qui confondrait tout autre fille qu'elle : 4+6 a
« Jeanne, écoutez : Jeanne, êtes-vous pucelle ? » 4+6 a
Jeanne lui dit : « O grand sire, ordonnez 4+6 a
Que médecins, lunettes sur le nez, 4+6 a
415 Matrones, clercs, pédants, apothicaires, 4+6 a
Viennent sonder ces féminins mystères ; 4+6 a
Et si quelqu'un se connaît à cela, 4+6 a
Qu'il trousse Jeanne, et qu'il regarde là. » 4+6 a
A sa réponse et sage et mesurée, 4+6 a
420 Le roi vit bien qu'elle était inspirée. 4+6 a
« Or sus, dit-il, si vous en savez tant, 4+6 a
Fille de bien, dites-moi dans l'instant 4+6 a
Ce que j'ai fait cette nuit à ma belle ; 4+6 a
Mais parlez net. — Rien du tout, » lui dit-elle. 4+6 a
425 Le roi surpris soudain s'agenouilla, 4+6 a
Cria tous haut : « Miracle ! » et se signa. 4+6 a
Incontinent la cohorte fourrée, 4+6 a
Bonnet en tête, Hippocrate à la main, 4+6 b
Vint observer le pur et noble sein 4+6 b
430 De l'amazone à leurs regards livrée : 4+6 a
On la met nue, et monsieur le doyen, 4+6 a
Ayant le tout considéré très-bien, 4+6 a
Dessus, dessous, expédie à la belle 4+6 a
En parchemin un brevet de pucelle. 4+6 a
435 L'esprit tout fier de ce brevet sacré, 4+6 a
Jeanne soudain d'un pas délibéré 4+6 a
Retourne au roi, devant lui s'agenouille, 4+6 a
Et, déployant la superbe dépouille, 4+6 a
Que sur l'Anglais elle a prise en passant : 4+6 a
440 « Permets, dit-elle, ô mon maître puissant ! 4+6 a
Que, sous tes lois, la main de ta servante 4+6 a
Ose ranger la France gémissante. 4+6 a
Je remplirai les oracles divins : 4+6 a
J'ose à tes yeux jurer par mon courage, 4+6 b
445 Par cette épée, et par mon pucelage, 4+6 b
Que tu seras huilé bientôt à Reims : 4+6 a
Tu chasseras les anglaises cohortes 4+6 c
Qui d'Orléans environnent les portes. 4+6 c
Viens accomplir tes augustes destins ; 4+6 a
450 Viens, et de Tours abandonnant la rive, 4+6 a
Dès ce moment souffre que je te suive. » 4+6 a
Les courtisans, autour d'elle pressés, 4+6 a
Les yeux au ciel et vers Jeanne adressés, 4+6 a
Battent des mains, l'admirent, la secondent. 4+6 a
455 Cent cris de joie à son discours répondent. 4+6 a
Dans cette foule il n'est point de guerrier 4+6 a
Qui ne voulût lui servir d'écuyer, 4+6 a
Porter sa lance, et lui donner sa vie ; 4+6 a
Il n'en est point qui ne soit possédé 4+6 b
460 Et de la gloire, et de la noble envie 4+6 a
De lui ravir ce qu'elle a tant gardé. 4+6 b
Prêt à partir, chaque officier s'empresse : 4+6 a
L'un prend congé de sa vieille maîtresse ; 4+6 a
L'un, sans argent, va droit à l'usurier ; 4+6 a
465 L'autre à son hôte, et compte sans payer. 4+6 a
Denys a fait déployer l'oriflamme. 4+6 a
A cet aspect, le roi Charles s'enflamme 4+6 a
D'un noble espoir à sa valeur égal. 4+6 a
Cet étendard aux ennemis fatal, 4+6 a
470 Cette héroïne, et cet âne aux deux ailes, 4+6 a
Tout lui promet des palmes immortelles. 4+6 a
Denys voulut, en partant de ces lieux, 4+6 a
Des deux amants épargner les adieux. 4+6 a
On eût versé des larmes trop amères, 4+6 a
475 On eût perdu des heures toujours chères. 4+6 a
Agnès dormait, quoiqu'il fût un peu tard : 4+6 a
Elle était loin de craindre un tel départ. 4+6 a
Un songe heureux, dont les erreurs la frappent, 4+6 a
Lui retraçait des plaisirs qui s'échappent. 4+6 a
480 Elle croyait tenir entre ses bras 4+6 a
Le cher amant dont elle est souveraine ; 4+6 b
Songe flatteur, tu trompais ses appas : 4+6 a
Son amant fuit, et saint Denys l'entraîne. 4+6 b
Tel dans Paris un médecin prudent 4+6 a
485 Force au régime un malade gourmand, 4+6 a
A l'appétit se montre inexorable, 4+6 a
Et sans pitié le fait sortir de table. 4+6 a
Le bon Denys eut à peine arraché 4+6 a
Le roi de France à son charmant péché, 4+6 a
490 Qu'il courut vite à son ouaille chère, 4+6 a
A sa pucelle, à sa fille guerrière. 4+6 a
Il a repris son air de bienheureux, 4+6 a
Son ton dévot, ses plats et courts cheveux, 4+6 a
L'anneau bénit, la crosse pastorale, 4+6 a
495 Ses gants, sa croix, sa mitre épiscopale. 4+6 a
« Va, lui dit-il, sers la France et son roi ; 4+6 a
Mon œil bénin sera toujours sur toi. 4+6 a
Mais au laurier du courage héroïque 4+6 a
Joins le rosier de la vertu pudique. 4+6 a
500 Je conduirai tes pas dans Orléans. 4+6 a
Lorsque Talbot, le chef des mécréants, 4+6 a
Le cœur saisi du démon de luxure, 4+6 a
Croira tenir sa présidente impure, 4+6 a
Il tombera sous ton robuste bras. 4+6 a
505 Punis son crime, et ne l'imite pas. 4+6 a
Sois à jamais dévote avec courage. 4+6 a
Je pars, adieu ; pense à ton pucelage. » 4+6 a
La belle fit un serment solennel ; 4+6 a
Et son patron repartit pour le ciel. 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
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